Wozzeck - Alban Berg - festival de Salzbourg - 27 août 2017

Wozzeck


Opéra d’Alban Berg

D’après la pièce Woyzeck de Georg Büchner

Séance du 27 Août 2017 - Festival de Salzbourg.

William Kentridge | Mise en scène
Luc De Wit | Co-metteur en scène
Sabine Theunissen | Décors
Greta Goiris | Costumes
Catherine Meyburgh | Montage vidéo
Urs Schönebaum | Création lumières
Kim Gunning | Opératrice vidéo

avec
Matthias Goerne | Wozzeck
John Daszak | Drum Major
Mauro Peter | Andres
Gerhard Siegel | Captain
Jens Larsen | Doctor
Tobias Schabel | First Apprentice
Huw Montague Rendall | Second Apprentice
Heinz Göhrig | Madman
Asmik Grigorian | Marie
Frances Pappas | Margret

Salzburger Festspiele und Theater Kinderchor
Wolfgang Götz | Chef de chœur
Concert Association of the Vienna State Opera Chorus
Ernst Raffelsberger | Chef de chœur
Orchestre philharmonique de Vienne
Vladimir Jurowski | Chef d'orchestre


Wozzeck époustouflant au festival de Salzbourg avec la direction bouleversante du jeune chef Vladimir Jurowski qui valorise l’écriture musicale dramatique et noire de Berg et en fait un éblouissant hymne funèbre à peine éclairé par la magistrale prestation de la soprano Asmik Grigorian, lumineuse Marie, avec ses grosses chaussures, sa robe d’un rouge vermillon éclatant et son interprétation fabuleuse.
Deux révélations à ne rater sous aucun prétexte pour une oeuvre superbement traitée par l’artiste sud-africain William Kentridge (qui, rappelons-le, avait “mis en scène et en décors” un Winterreise chanté par Mathias Goerne). 
Respectant l’unité musicale voulue par Alban Berg pour l’ensemble de l’oeuvre, il joue à partir d’un décor unique sur la projections d’images sur écrans multiples, évoquant les thèmes de Munch ou les personnages torturés d’Egon Schiele, au travers de ses multiples dessins figés ou animés manière vieux films muets. 
Outre ce décor en planches et estrades, qui déploie des accessoires adéquats en fonction des scènes, chaque personnage est très typé, un peu comme dans un film expressionniste de Fritz Lang, le docteur avec un énorme stéthoscope d’époque, le capitaine avec son casque plumé, le fou avec sa tête bandée... Les thèmes de la première guerre mondiale sont omniprésents : masque à gaz caractéristiques, béquilles d’autrefois parfois géantes, un projecteur qui projette films et images, avec avions qui tombent en vrille, explosions dans des tranchées, soldats morts et j’en oublie forcément.
L’enfant est une marionnette de taille réelle, affublée d’un masque à gaz, et manipulée successivement par une infirmière puis un infirmier d’antan.
L’ensemble, création de Kentridge, est saisissant et, pour ne rien gâcher, il se révèle excellent directeur d’acteurs avec l’aide de De Witt, puisque l’autre grande réussite de ce Wozzeck exceptionnel, c’est le jeu de chacun et de chacune, sans temps morts dans une belle exploitation de l’espace, le tout magnifiquement servi par Vladimir Jurowski. Je le répète car je crois n’avoir jamais entendu Wozzeck aussi bien rendu musicalement qu’avec cet orchestre.


Sa lecture de la singulière partition d’Alban Berg épouse parfaitement les intentions du compositeurs. Il en modernise les thèmes sans hésiter à en accentuer les traits mais aussi à rendre lyriques et romantiques les passages qui le sont, formant ainsi les contrastes d’une oeuvre sans temps morts mais composée de multiples tableaux.
S’il ne fallait souligner qu’un seul trait de génie du chef d’orchestre Russe, je choisirai les deux plus belles scènes de l’opéra ainsi interprété, située dans l'acte III : la magnifique première invention (“l’invention sur un thème”) où le thème est d’abord joué par un alto soliste puis chanté (en sprechgesang) par Asmik Grigorian-Marie qui lit l’histoire de Marie Madeleine dans la Bible avant d’entonner son air avec un talent phénoménal. 
Deuxième formidable réussite : l’interlude qui ponctue l’assassinat de Marie, formé d’un très beau pianissimo au cor suivi d’un crescendo de l’orchestre avec roulement de tambours précédant un deuxième crescendo des percussions qui terminent littéralement déchainées. C’est magistralement réalisé tout comme d’ailleurs le fameux interlude en si mineur qui termine quasiment l’opéra, sorte d’apothéose orchestrale.
Je précise pour les réticents à la musique contemporaine, que Wozzeck est généralement considéré comme le premier opéra “atonal” (c’est à dire qui n’est pas écrit dans une tonalité particulière) ce qui ne signifie pas qu’il est “cacophonique” bien au contraire. C’est une oeuvre magistrale sur le plan de l’invention musicale et on peut apprécier sa modernité quand il est aussi bien interprété.
Berg voulait rendre compte de la fatalité qui accablait les pauvres et les miséreux toujours victimes des puissants (l’armée, la science). Son opéra fut interdit par les nazis.



Question plateau vocal, je l’ai dit, j’ai été subjuguée par l’interprète fantastique de Marie dont je n’avais jamais entendu parler auparavant : la soprano Asmik Grigorian. Elle joue aussi bien qu’elle chante, le style difficile de Berg ne lui pose aucun problème, ses aigus sont lumineux et splendides, elle peut descendre dans le médium et dans le grave, pratiquer les sauts d’octaves, le tout sans difficulté et dans un très bel allemand, parfaitement compréhensible. Lituanienne, elle chante souvent à Vilnius (Manon Lescaut ou Tatianna) mais a déjà fait ses débuts sur plusieurs scènes internationales. Sa prestation à Salzbourg devrait être remarquée.



Le Wozzech de Mathias Goerne est bien joué et très bien chanté mais le baryton manque parfois un peu de puissance (surtout face à sa partenaire) pour incarner de manière totalement convaincante le pauvre Wozzeck torturé par le docteur, raillé par le capitaine, objet de moqueries incessantes et travaillé par ses démons. Sa voix qui excelle dans le Lied (de Schubert dont il est le roi ) ne me parait pas convenir aussi parfaitement pas aussi à la musique de Berg. Par contre son jeu halluciné est impressionnant de justesse.
Il demeure un peu en deçà cependant de mon dernier Wozzeck de référence, Simon Keenlyside  entendu à la Bastille dans la mise en scène de Marthaler.

Excellents Gerhard Siegel en Capitaine et Jens Larsen en docteur, tous deux absolument parfaits de truculence et de cruauté, bien chantant et aux interprétations scéniques dignes de tous les éloges.
Eloges aussi pour John Daszak et son tambour major aux allures de soldat mécanique et
Mauro Peter pour son Andres virulent.
Compliments aussi à Heinz Göhrig pour son “fou” un petit rôle très emblématique de cet  oeuvre qui glace le sang.


Je crois qu’on peut considérer sans hésiter, malgré de très légères réserves, que l’ensemble de l’équipe est magnifique et que cette performance que vous pouvez revoir sur Arte Concert, mérite vraiment le déplacement...et pourra peut-être convertir les réticents à la musique de Berg (qui a également composé le superbe Lulu) de sa beauté et finalement de son classicisme dans cette oeuvre où il voulait utiliser toutes les formes musicales lyriques en les réinventant à sa manière, comme un puzzle reconstitué.


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