La Clémence de Tito - Mozart - Direction Currentzis - TCE - 14/09/2017
La Clemenza di Tito
Wolfgang Amadeus Mozart
Opera seria, sur un livret de Caterino Mazzola,
Maximilian Schmitt Tito
Karina Gauvin Vitellia
Stéphanie D’Oustrac Sesto
Anna Lucia Richter Servilia
Jeanine De Bique Annio
Willard White Publio
Teodor Currentzis direction
MusicAeterna
Après avoir vu la retransmission de la Clémence de Tito donnée lors
de ce très bon cru 2017 du festival de Salzbourg, avec la mise en scène de
Peter Sellars dans l’espace exceptionnel du manège des Rochers, j’avoue avoir
vraiment eu envie d’entendre en direct ce diable de Currentzis jouant avec son
orchestre et ses chanteurs, même en version concert, même dans la salle peu
propice aux fantaisies du Théâtre des Champs Elysées.
Je voudrais d’abord préciser qu’à mes yeux (et mes oreilles) Téodor
Currentzis est un vrai chef d’orchestre iconoclaste, un musicien dont l’audace
est souvent critiquée et qu’il n'a rien à voir avec Harnoncourt, Rousset et
Gardiner qui nous ont fait redécouvrir Mozart avec des instruments d'époque et
une lecture intelligente de sa construction musicale. Ce fut une redécouverte
radicale pour moi qui ai joué Mozart avec un orchestre traditionnel et des
instruments fin 19è-20è comme cela se faisait toujours avant eux et comme cela
se fait en général encore aujourd'hui. Le Mitridate dirigé par Rousset à
Londres en juin était radicalement différent au moins sur cette question-clé
(mais de là, sur bien d'autres aussi) que celui dirigé par Rohrer un an avant
au TCE.
Currentzis ça n'est ni cette recherche d'authenticité, c'est
évident, ni l'adaptation banale de l'orchestre du 19ème ou du 20ème comme
"tout le monde".
C'est... Currentzis. Un musicien “visité”, passionné, enfant
terrible de la musique classique actuelle, qui transmet magnifiquement son sens
de la tragédie et sa passion.
Avec son orchestre, ses musiciens qui jouent debout en osmose totale
avec leur chef, ses quelques instruments d'époque qui jouent seuls, assurant le
continuo et ses choeurs qui chantent la messe (de Mozart bien sûr) et lui qui dirige et
chante avec eux en permanence.
Et il ne charcute pas la partition à la manière des chefs
"rossiniens" spécialistes du coupage de têtes qui dépassent, qui
enlèvent à peu près tout ce qui fait la richesse stylistique du compositeur
italien.
Je l'ai dit. Il rajoute du Mozart dans du Mozart et j'ai été bluffée
malgré toutes mes préventions à son égard.
Aurait-il dû présenter sa performance sous la forme conventionnelle
“d’après Mozart”? Je ne le crois pas (mais ça
se discute bien sûr). Car il s’agit bien de la Clémence de Tito écrite
par un Mozart pressé, en pleine création de la Flûte enchantée, et qui confia
une partie des écritures des récitatifs à ses élèves. Rien d’extraordinaire en
soi d’ailleurs, il supervisait probablement l’ensemble du travail. C’est à la
fois cette Clémence et une “autre” Clémence que Currentzis nous propose, c’est
enlevé, intense, sans temps morts, dramatique et humain mais c’est bien Mozart,
ce n’est pas “d’après” Mozart. Le musicien apporte là sa propre sensibilité, sa
connaissance musicologique, son talent personnel et surtout sa formidable
capacité à diriger une équipe totalement en fusion.
Alors, certes, cette soirée au TCE était un peu handicapée par
l'absence de la mise en scène de Sellars avec laquelle elle avait été créée. Soulignons
quand même l’utilisation subtile d’un jeu de lumières sur la scène qui rendait
compte d’une partie de la “magie” créée à Salzbourg et permettant un subtil jeu
des chanteurs incarnant leurs rôles et portant les costumes correspondant (en
gros) aux personnages incarnés. Ils restaient assis dans l’ombre le reste du
temps. Une version concertante qui a tenté de reproduire du mieux possible la
rare intensité dramatique créée avec cet opéra lors des représentations de
Salzbourg.
Et globalement, malgré ces limites, le travail fait est remarquable
au sens premier du terme.
Et, pour moi, séduisant.
Et je crois quand passe à Paris un artiste de cette trempe, il ne
faut pas le rater.
Le coup de poing ressenti par les festivaliers qui ont ovationné
l’oeuvre, a également saisi le public du TCE enthousiasmé.
Non au contraire, à mon avis.
Pour moi ce choix est un véritable enrichissement.
Currentzis a essentiellement coupé dans les “récitatifs”, surtout
dans le deuxième acte. Il a inséré des extraits de la Messe en ut mineur (
Benedictus, Laudamus te, Kyrie, Qui tollis ) et il a ajouté à la fin, alors que
la scène est toalement obscurcie la Musique funèbre maçonnique où seul le
choeur intervient.
Aucun de ces extraits n’est rajouté au hasard : c’est quand Titus
est fait césar et qu’il offre l’obole pour les victimes du Vésuve qu’éclate le « Benedictus »
avec son Hosannah triomphant admirablement chanté par un choeur qui est un
acteur en tant que tel, et représente la foule omniprésente de l’opéra de
Mozart tandis que le Kyrie sera comme une sorte de prière sacrificielle qui
suit l’annonce de l’attentat perpétré contre l’empereur. Le crime préparé par
un Sesto déchiré sera accompagné quant à lui de l’adagio du concerto en Ut
Mineur KV 456 tandis que le final – à pleurer d’émotion- est composé de la
musique funèbre maçonnique, choeurs d’hommes et orchestre.
Les tempi de Currentzis sont toujours un
peu déroutant mais là ils sont au service d’une
subtile et efficace montée dramatique avec deux duos, ceux de Secto et
d’Annio, puis de Servillia et Annio et surtout l’air de Sesto, « Parto,
parto, ma tu ben mio » dialoguant avec un très beau solo d’une clarinette
de basset, qui oscillent entre legato sublime, articulation hachée; captant,
captivant même l’attention du spectateur en permanence.
C’est sans doute dans ce duo voix-instrument que l’absence
de la mise en scène se fait le plus sentir. Je vous mets deux photos de la
scène à Salzbourg pour saisir la différence au moins visuelle....
Un continuo assure une sorte de soutien musical qui renvoit à la
beauté et à la pureté des instruments d’époque improvisant leur accompagnement.
On a là un pianoforte, une basse et un
théorbe, tous très bien joués. Un cor de basset et une clarinette de basset
solo s’ajoutent à l’ensemble de l’orchestre de Perm "MusicAeterna" composé d’instrumentistes
qui jouent debout avec un enthousiasme communicatif.
La distribution est globalement homogène avec des artistes très
investis.
Maximilian Schmitt campe un Tito, figure centrale mais discrète de
l’opéra, autour duquel toute l’intrigue tourne mais qui reste largement
extérieur aux péripéties. La voix est souvent un peu juste ou manquant de
souplesse mais globalement le personnage profondément humain, est très crédible
et très émouvant.
Karina Gauvin est une Vitellia excellente tragédienne, déjà vue et
entendue plusieurs fois dans ce rôle, toujours avec plaisir même si ses aigus
sont désormais un peu approximatifs et ses vocalises parfois savonnées.
Stéphanie D’Oustrac est un Sesto magnifique même si je lui ai préféré la
voix plus ronde de Marianne Crebassa (qui était Sesto à Salzbourg), totalement
“saisie” par son personnage dont elle restitue avec talent toutes les facettes
et contradictions.
Anna Lucia Richter est une Servilia délicieuse et une jeune soprano
très douée, dont il faut retenir le nom, car elle sait tout faire : jouer,
chanter, se mouvoir élégamment sur la scène, et donner toute l’expressivité
nécessaire au service d’une très belle et très sûre technique.
Jeanine De Bique est un Annio très beau également, parfois un peu
déstabilisée par la difficulté de son rôle mais généralement très performante.
Willard White est un Publio d’une grande gravité qui irradie lui
aussi la scène par sa présence.
Currentzis chante (silencieusement) avec chacun d’entre eux, les couvant
d’un amour évidement et profondément touchant...
Les petits plus du Blog.......
Quelques interprétations actuelles de l’air de Sesto
Salzbourg 2017, Marianne Crebassa
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