Lucia di Lammermoor - Donizetti - 12 septembre 2017 - Théâtre des Champs Elysées

Lucia di Lammermoor

De Gaetano Donizetti


D’après le roman “la Fiancée de Lammermoor” de Walter Scott


En version concert
Théâtre des Champs Elysées
Mardi 12 septembre 2017

Chef d'orchestre Roberto Abbado
Chef de choeur Sandrine Lebec
~
Lucia Jessica Pratt
Edgardo Paolo Fanale
Enrico Luca Salsi
Raimondo Giovanni Zanellato
Arturo Xabier Anduaga
Alisa Valentine Lemercier
Normanno Kévin Amiel




Ce Lucia marquait la rentrée du Théâtre des Champs Elysées et on y croisait évidemment beaucoup d’amis “opéra”. La salle n’était pourtant pas pleine, sans doute parce que l’opéra est souvent donné ces derniers temps à Paris et que  la distribution, bien que prestigieuse, n’est pas forcément très connue du public mélomane de Paris.



Illustration pour le premier Lucia

Donnée en mémoire des 40 ans de la disparition de la diva des divas, Maria Callas, cette Lucia marquait aussi les débuts à Paris de la soprano australienne Jessica Pratt qui chante ce rôle difficile depuis une petite dizaine d’années sur plusieurs scènes internationales, avec succès.


La Callas en Lucia

Une conférence a eu lieu avant la représentation. Gérard Mannoni présentait la carrière de Maria Callas, ses rencontres avec la diva et qui insistait (à juste titre) sur le fait que si elle laisse un tel souvenir et reste "irremplaçable", c'est sans doute du fait de son investissement scénique complet, total, encore vrai quand la voix ne suivait plus toujours. L'opéra est un tout...
Les plus grands chanteurs sont capables de faire passer toutes les émotions d’un personnage même sans mise en scène, tant leur voix, ses accents, les traits de leur visage ou leurs gestes minimum “habitent” totalement le rôle. C’était évidemment le cas de la Callas qui d’un geste de la main indiquait son dépit, sa colère ou sa peine.
Mais il faut reconnaitre que pour certains opéras, le challenge est difficile et certains artistes n’y parviennent pas.
 Les limites d'une version concert sont visibles à mon avis pour un opéra qui nécessite autant de "théâtre" que Lucia. On me rétorquera qu’un opéra mis en scène à “contresens” (et hélas... il n’en manque pas), c’est bien pire et c’est sans doute vrai pour pour la fameuse scène de la folie de l’héroine ou pour celle de la mort du héros, l’impossiblité de se mouvoir sur scène ne facilite pas la tâches des chanteurs.



Jessica Pratt en Lucia (dans une version scénique, au Liceu de Barcelone)

Commençons par la belle prestation de Jessica Pratt. Son chant est magnifique, sa technique impeccable, sa voix remplit toute la salle sans forcer, avec un beau timbre mais.... que j'ai trouvé parfois "vide" d'expressivité et qui m'a peu touchée. Trop de technique et d'attentions à ne pas rater une partition très difficile peut (un peu) tuer l'émotion. Un contre-fa (?) pas très joli... et quelques aigus assez “plats” et peu tenus complétaient les limites d’une très belle interprète mais qui manque du “je-ne-sais-quoi” qui fait les Lucia bouleversantes. Mais peut-on totalement s'investir dans la scène de la folie en version... concert ? En tous cas si elle surpasse sans peine les dernières Lucia que j’ai eu l’occasion de voir et d’entendre, Diana Damrau à Londres, Pretty Yende à Paris, elle n’atteint pas le niveau d’émotions que m’avait donné la prestation inoubliable de Sonya Yoncheva pour ses débuts à la Bastille en 2013 sans parler de June Anderson vingt ans auparavant qui restera pour longtemps inégalée...
C’est terrible mais Lucia doit vous déchirer dans sa scène de la "folie", celle du dédoublement de la personnalité quand elle ne se rappelle plus son crime, l’assassinat du mari qu’on lui a imposé et qu’elle chante son amour pour celui qui ne sera jamais à elle...C’est impossible de ne juger qu’une prestation technique aussi virtuose soit-elle.
Maria Callas à qui il est rendu hommage ces jours-ci, avait fait de ce rôle l’un de ses personnages emblématiques les plus forts et les plus véridiques.



Le ténor Italien Paolo Fanale m'a touchée dans son dernier air, celui de la mort d’Egardo, alors que j'avais souffert pour lui auparavant dans la soirée (malgré son sourire ensoleillé et bien sympathique).
Je pense que l'arrivée en dernière minute du baryton Italien Luca Salsi dans le rôle d’Enrico n’a pas permis de longues répétitions des confrontations entre les deux personnages et la différence entre la sonorité de leurs voix respectives a posé problème à plusieurs reprises dans la soirée. N'empêche : quel style malgré une "petite" voix pas très riche dans les aigus, quelle élégance dans le phrasé italien, et quelle émotion pour sa "mort". Dommage qu’il ne soit pas tout à fait à son affaire dans un rôle qui nécessite davantage de “coffre” pour que le personnage s’affirme vraiment.


Luca Salsi devrait être décoré pour avoir accepté de débarquer en remplacement de dernière minute, lui qui est désormais l'un des grands barytons du circuit et qui démontre qu'il enchaine Giordano (Andrea Chénier à Munich), Verdi (Aida à Salzbourg) et Donizetti hier soir, sans avoir de réels problèmes techniques. Ce n'était pas parfait hier soir (et cela se comprend) mais quel plaisir que cette belle voix campant un excellent Enrico, un des meilleurs vus récemment, beauté du timbre (un des plus riches parmi les barytons actuels), force du legato dans l’interprétation et incarnation très convaincante du frère tyranique de Lucia qui causera sa perte.

J'ai trouvé Riccardo Zanellato (Raimondo) très en voix également et très convainquant, et été plutôt agréablement surprise par un Arturo (Xabier Anduaga) discret mais très bien chantant pour son court rôle.

Agréable tenue des petits rôles par Valentine Lemercier et Kévin Amiel.


Très inquiète du tempo très "mou" du chef Roberto Abbado, habitué portant à diriger cet opéra depuis longtemps, notamment lors de l'ouverture, mais suite à un échauffement en cours de route, il s’est nettement amélioré et nous a donné un excellent acte final, très musical et très émouvant. Je salue ici sa délicatesse envers les artistes qu’il a littéralement couvé du regard en permanence pour éviter que l’orchestre ne les mette en difficulté

Les choeurs sonnaient un peu "assourdis" de la place où j'étais et ne m’ont pas paru à la hauteur de l’ensemble, dommage.


Les petits plus du blog

Maria Callas en Lucia



June Anderson en Lucia



Jessica Pratt en Lucia





Extrait de “Madame Bovary” de Gustave Flaubert... savoureux, à lire absolument après avoir vu Lucia à l’opéra.

La foule stationnait contre le mur, parquée symétriquement entre des balustrades. À l’angle des rues voisines, de gigantesques affiches répétaient en caractères baroques : « Lucie de Lamermoor… Lagardy… Opéra…, etc. » Il faisait beau ; on avait chaud ; la sueur coulait dans les frisures, tous les mouchoirs tirés épongeaient les fronts rouges ; et parfois un vent tiède, qui soufflait de la rivière, agitait mollement la bordure des tentes en coutil suspendues à la porte des estaminets. Un peu plus bas, cependant, on était rafraîchi par un courant d’air glacial qui sentait le suif, le cuir et l’huile. C’était l’exhalaison de la rue des Charrettes, pleine de grands magasins noirs où l’on roule des barriques.
De peur de paraître ridicule, Emma voulut, avant d’entrer, faire un tour de promenade sur le port, et Bovary, par prudence, garda les billets à sa main, dans la poche de son pantalon, qu’il appuyait contre son ventre.
Un battement de cœur la prit dès le vestibule. Elle sourit involontairement de vanité, en voyant la foule qui se précipitait à droite par l’autre corridor, tandis qu’elle montait l’escalier des premières. Elle eut plaisir, comme un enfant, à pousser de son doigt les larges portes tapissées ; elle aspira de toute sa poitrine l’odeur poussiéreuse des couloirs, et, quand elle fut assise dans sa loge, elle se cambra la taille avec une désinvolture de duchesse.
La salle commençait à se remplir, on tirait les lorgnettes de leurs étuis, et les abonnés, s’apercevant de loin, se faisaient des salutations. Ils venaient se délasser dans les beaux-arts des inquiétudes de la vente ; mais, n’oubliant point les affaires, ils causaient encore cotons, trois-six ou indigo. On voyait là des têtes de vieux, inexpressives et pacifiques, et qui, blanchâtres de chevelure et de teint, ressemblaient à des médailles d’argent ternies par une vapeur de plomb. Les jeunes beaux se pavanaient au parquet, étalant, dans l’ouverture de leur gilet, leur cravate rose ou vert pomme ; et madame Bovary les admirait d’en haut, appuyant sur des badines à pomme d’or la paume tendue de leurs gants jaunes.
Cependant, les bougies de l’orchestre s’allumèrent ; le lustre descendit du plafond, versant, avec le rayonnement de ses facettes, une gaieté subite dans la salle ; puis les musiciens entrèrent les uns après les autres, et ce fut d’abord un long charivari de basses ronflant, de violons grinçant, de pistons trompettant, de flûtes et de flageolets qui piaulaient. Mais on entendit trois coups sur la scène ; un roulement de timbales commença, les instruments de cuivre plaquèrent des accords, et le rideau, se levant, découvrit un paysage.
C’était le carrefour d’un bois, avec une fontaine, à gauche, ombragée par un chêne. Des paysans et des seigneurs, le plaid sur l’épaule, chantaient tous ensemble une chanson de chasse ; puis il survint un capitaine qui invoquait l’ange du mal en levant au ciel ses deux bras ; un autre parut ; ils s’en allèrent, et les chasseurs reprirent.
Elle se retrouvait dans les lectures de sa jeunesse, en plein Walter Scott. Il lui semblait entendre, à travers le brouillard, le son des cornemuses écossaises se répéter sur les bruyères. D’ailleurs, le souvenir du roman facilitant l’intelligence du libretto, elle suivait l’intrigue phrase à phrase, tandis que d’insaisissables pensées qui lui revenaient, se dispersaient, aussitôt, sous les rafales de la musique. Elle se laissait aller au bercement des mélodies et se sentait elle-même vibrer de tout son être comme si les archets des violons se fussent promenés sur ses nerfs. Elle n’avait pas assez d’yeux pour contempler les costumes, les décors, les personnages, les arbres peints qui tremblaient quand on marchait, et les toques de velours, les manteaux, les épées, toutes ces imaginations qui s’agitaient dans l’harmonie comme dans l’atmosphère d’un autre monde. Mais une jeune femme s’avança en jetant une bourse à un écuyer vert. Elle resta seule, et alors on entendit une flûte qui faisait comme un murmure de fontaine ou comme des gazouillements d’oiseau. Lucie entama d’un air brave sa cavatine en sol majeur ; elle se plaignait d’amour, elle demandait des ailes. Emma, de même, aurait voulu, fuyant la vie, s’envoler dans une étreinte. Tout à coup, Edgar-Lagardy parut.
Il avait une de ces pâleurs splendides qui donnent quelque chose de la majesté des marbres aux races ardentes du Midi. Sa taille vigoureuse était prise dans un pourpoint de couleur brune ; un petit poignard ciselé lui battait sur la cuisse gauche, et il roulait des regards langoureusement en découvrant ses dents blanches. On disait qu’une princesse polonaise, l’écoutant un soir chanter sur la plage de Biarritz, où il radoubait des chaloupes, en était devenue amoureuse. Elle s’était ruinée à cause de lui. Il l’avait plantée là pour d’autres femmes, et cette célébrité sentimentale ne laissait pas que de servir à sa réputation artistique. Le cabotin diplomate avait même soin de faire toujours glisser dans les réclames une phrase poétique sur la fascination de sa personne et la sensibilité de son âme. Un bel organe, un imperturbable aplomb, plus de tempérament que d’intelligence et plus d’emphase que de lyrisme, achevaient de rehausser cette admirable nature de charlatan, où il y avait du coiffeur et du toréador.
Dès la première scène, il enthousiasma. Il pressait Lucie dans ses bras, il la quittait, il revenait, il semblait désespéré : il avait des éclats de colère, puis des râles élégiaques d’une douceur infinie, et les notes s’échappaient de son cou nu, pleines de sanglots et de baisers. Emma se penchait pour le voir, égratignant avec ses ongles le velours de sa loge. Elle s’emplissait le cœur de ces lamentations mélodieuses qui se traînaient à l’accompagnement des contrebasses, comme des cris de naufragés dans le tumulte d’une tempête. Elle reconnaissait tous les enivrements et les angoisses dont elle avait manqué mourir. La voix de la chanteuse ne lui semblait être que le retentissement de sa conscience, et cette illusion qui la charmait quelque chose même de sa vie. Mais personne sur la terre ne l’avait aimée d’un pareil amour. Il ne pleurait pas comme Edgar, le dernier soir, au clair de lune, lorsqu’ils se disaient : « À demain ; à demain !… » La salle craquait sous les bravos ; on recommença la strette entière ; les amoureux parlaient des fleurs de leur tombe, de serments, d’exil, de fatalité, d’espérances, et quand ils poussèrent l’adieu final, Emma jeta un cri aigu, qui se confondit avec la vibration des derniers accords.
– Pourquoi donc, demanda Bovary, ce seigneur est-il à la persécuter ?
– Mais non, répondit-elle ; c’est son amant.
– Pourtant il jure de se venger sur sa famille, tandis que l’autre, celui qui est venu tout à l’heure, disait :
« J’aime Lucie et je m’en crois aimé. » D’ailleurs, il est parti avec son père, bras dessus, bras dessous. Car c’est bien son père, n’est-ce pas, le petit laid qui porte une plume de coq à son chapeau ?
Malgré les explications d’Emma, dès le duo récitatif où Gilbert expose à son maître Ashton ses abominables manœuvres, Charles, en voyant le faux anneau de fiançailles qui doit abuser Lucie, crut que c’était un souvenir d’amour envoyé par Edgar. Il avouait, du reste, ne pas comprendre l’histoire, – à cause de la musique – qui nuisait beaucoup aux paroles.
– Qu’importe ? dit Emma ; tais-toi !
– C’est que j’aime, reprit-il en se penchant sur son épaule, à me rendre compte, tu sais bien.
– Tais-toi ! tais-toi ! fit-elle impatientée.
Lucie s’avançait, à demi soutenue par ses femmes, une couronne d’oranger dans les cheveux, et plus pâle que le satin blanc de sa robe. Emma rêvait au jour de son mariage ; et elle se revoyait là-bas, au milieu des blés, sur le petit sentier, quand on marchait vers l’église. Pourquoi donc n’avait-elle pas, comme celle-là, résisté, supplié ? Elle était joyeuse, au contraire, sans s’apercevoir de l’abîme où elle se précipitait… Ah ! si, dans la fraîcheur de sa beauté, avant les souillures du mariage et la désillusion de l’adultère, elle avait pu placer sa vie sur quelque grand cœur solide, alors la vertu, la tendresse, les voluptés et le devoir se confondant, jamais elle ne serait descendue d’une félicité si haute. Mais ce bonheur-là, sans doute, était un mensonge imaginé pour le désespoir de tout désir. Elle connaissait à présent la petitesse des passions que l’art exagérait. S’efforçant donc d’en détourner sa pensée, Emma voulait ne plus voir dans cette reproduction de ses douleurs qu’une fantaisie plastique bonne à amuser les yeux, et même elle souriait intérieurement d’une pitié dédaigneuse, quand au fond du théâtre, sous la portière de velours, un homme apparut en manteau noir.
Son grand chapeau à l’espagnole tomba dans un geste qu’il fit ; et aussitôt les instruments et les chanteurs entonnèrent le sextuor. Edgar, étincelant de furie, dominait tous les autres de sa voix plus claire. Ashton lui lançait en notes graves des provocations homicides, Lucie poussait sa plainte aiguë, Arthur modulait à l’écart des sons moyens, et la basse-taille du ministre ronflait comme un orgue, tandis que les voix de femmes, répétant ses paroles, reprenaient en chœur, délicieusement. Ils étaient tous sur la même ligne à gesticuler ; et la colère, la vengeance, la jalousie, la terreur, la miséricorde et la stupéfaction s’exhalaient à la fois de leurs bouches entrouvertes. L’amoureux outragé brandissait son épée nue ; sa collerette de guipure se levait par saccades, selon les mouvements de sa poitrine, et il allait de droite et de gauche, à grands pas, faisant sonner contre les planches les éperons vermeils de ses bottes molles, qui s’évasaient à la cheville. Il devait avoir, pensait-elle, un intarissable amour, pour en déverser sur la foule à si larges effluves. Toutes ses velléités de dénigrement s’évanouissaient sous la poésie du rôle qui l’envahissait, et, entraînée vers l’homme par l’illusion du personnage, elle tâcha de se figurer sa vie, cette vie retentissante, extraordinaire, splendide, et qu’elle aurait pu mener cependant, si le hasard l’avait voulu. Ils se seraient connus, ils se seraient aimés ! Avec lui, par tous les royaumes de l’Europe, elle aurait voyagé de capitale en capitale, partageant ses fatigues et son orgueil, ramassant les fleurs qu’on lui jetait, brodant elle-même ses costumes ; puis, chaque soir, au fond d’une loge, derrière la grille à treillis d’or, elle eût recueilli, béante, les expansions de cette âme qui n’aurait chanté que pour elle seule ; de la scène, tout en jouant, il l’aurait regardée. Mais une folie la saisit : il la regardait, c’est sûr ! Elle eut envie de courir dans ses bras pour se réfugier en sa force, comme dans l’incarnation de l’amour même, et de lui dire, de s’écrier : « Enlève-moi, emmène-moi, partons ! À toi, à toi ! toutes mes ardeurs et tous mes rêves ! »
Le rideau se baissa.




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