Il Trittico - Puccini - 23 décembre 2017 - Opéra de Bavière, Munich



Il Trittico

Giacomo Puccini

Retransmission en direct de la séance du 23 décembre 2017 - Bayerische Staatsoper -

Direction musicale : Kiril Petrenko
Mise en scène : Lotte de Beer

Avec

"Il tabarro"

Michele : Wolfgang Koch
Luigi : Yonghoon Lee
Il Tinca : Kevin Conners
Il Talpa : Martin Snell
Giorgetta : Eva-Maria Westbroek
La Frugola : Heike Grötzinger


"Suor Angelica"
Suor Angelica : Ermonela Jaho
La zia principessa : Michaela Schuster
La badessa : Heike Grötzinger
La suora zelatrice : Helena Zubanovich
La maestra delle novizie : Jennifer Johnston
Suor Genovieffa : Anna El-Khashem
Suor Dolcina : Paula Iancic
La suora infirmiera : Alyona Abramowa

Choeur d'enfants de l'opéra de Bavière.


"Gianni Schicchi"
Gianni Schicchi : Ambrogio Maestri
Lauretta : Rosa Feola
Zita : Michaela Schuster
Rinuccio : Galeano Salas pour le chant, Pavol Breslik pour la scène
Gherardo : Dean Power
Nella : Selene Zanetti
Gherardino : Alban Mondon
Betto di Signa : Christian Rieger
Simone : Martin Snell
Marco : Sean Michael Plumb
La Ciesca : Jennifer Johnston
Maestro Spinelloccio : Donato Di Stefano
Ser Amantio di Nicolao : Andrea Borghini
Pinellino : Milan Siljanov
Guccio : Boris Prýgl

Puccini composa ce triptyque entre 1913 et 1918, année où il fut présenté pour la première fois au Metropolitan Opéra de New York. 
Trois opéras en un acte composent ce “Trittico”. Peu d’unité entre les trois si ce n’est le style musical de Puccini, qui s’éloigne du classicisme malgré de beaux morceaux lyriques pour explorer un genre musical de plus en plus violent avec des passages presque désarticulés qui évoquent l’atmosphère de haine impitoyable.
On peut aussi voir un fil rouge au travers de la mort présente dans les trois opéras mais sous des formes assez différentes.

L’atout fondamental ce de Trittico est la direction de Kiril Petrenko. C’est une lecture analytique de l’œuvre et de son écriture musicale complexe et très contemporaine. Chaque ensemble de mesures est comme juxtaposée, les ouvertures orchestrales se distinguent stylistiquement des parties lyriques de solistes et des morceaux dramatiques ou quasi-folkoriques qui alternent, l’utilisation des instruments donne parfois une impression de rupture que Petrenko exploite magnifiquement en valorisant autant les parties un peu « patchwork » chères à Puccini qu’il négocie avec beaucoup d’habileté, rendant ce sentiment de désordre dans l’ordre, que les parties où la tension dramatique est à son comble.

Il Tabarro est le plus noir des trois et, de loin, mon préféré. Son cadre –une péniche des bords de Seine en 1910-, son ambiance – celle d’un couple qui ne fonctionne pas et d’un amant espionné puis tué par un mari jaloux- sont dignes de ces films noirs des années 20-30. Puccini y fait alterner des morceaux orchestraux très agressifs avec des thèmes très couleur locale, chansonnettes en chœur, orgue de barbarie, valses musettes. Le tout est un habile mélange très intéressant, significatif de l’art du vérisme.  Le livret est de Giuseppe Adami et se base sur la Pièce de Didier Gold, "la Houppelande". Il n’y a pas de salut dans le drame final. 
Noir c’est noir.
Il Tabarro

La metteure en scène néerlandaise Lotte de Beer fait dans la simplicité efficace. 
Décor unique pour les trois opéras formé d’une sorte d’énorme cylindre à plusieurs anneaux, dont l’un des anneau peut tourner à 360 degrés sur lui-même. 

Une trappe d’accès à la cabine de la péniche pour Il Tabarro, ainsi que la vision de l’eau de la Seine au loin, et une brume récurrente qui vient envahir parfois le « tube ». Quelques caisses sur le sol. Rien d’autre. Costumes sobres également façon « Remorques » ou « Quai des Brumes » pour un drame traité avec beaucoup de sobriété scénique presque sous forme de « tableaux » alternant la douceur de l’orgue de barbarie, la joie des valses musette, la violence de l’amour de Luigi et Giorgetta, le désespoir et la haine incontrôlée de Michele.


Munich nous offre une belle distribution pour ce « Tabarro » même si on peut lui trouver quelques petites faiblesses : je saluerai d’abord la performance de Wolfgang Koch, qui habite son personnage avec beaucoup de conviction et d’intelligence. La voix et le timbre sont beaux. Son "Nulla! Silenzio!" est impressionnant.
Il était un excellent Sachs l’an dernier à Munich, il sera bientôt Klingsor dans Parsifal (où il a été souvent « Amfortas ») et Wotan/le Wanderer dans le Ring, toujours à Munich. 
Une valeur sûre du BSO qui excelle dans les rôles de barytons « héroïques » chez Wagner mais montre régulièrement son adéquation à d’autres répertoires, là Puccini, il y a deux ans il avait été un Comte remarqué dans Capriccio à Garnier, il chante souvent dans Strauss également. 

Eva-Maria Westbroek est une excellente Giorgetta également, très touchante, elle offre surtout une très belle prestation dans le medium et le grave, les aigus étant parfois alourdis par un léger vibrato, décidément persistant, elle incarne très bien son personage ambivalent et sa grande beauté rajoute à la crédibilité de son jeu. 

J’ai  été moins convaincue par le Luigi de Yonghoon Lee dont le timbre est inégal, souvent terne sauf quand il donne de la voix (notamment dans le duo avec Westbroek,  E ben altro il mio sogno), le jeu reste également souvent un peu frustre. C'est l'éternel problème du ténor Coréen que de manquer du charisme nécessaire à ces rôles véristes. C'était déjà la critique qu'on pouvait lui faire lors de son Turridu à Paris aux côtés de Elina Garanca dans Cavaliera Rusticana. On ne croit pas trop à la torride passion qu'il suscite...

Les seconds rôles sont de très bonne qualité comme toujours à Munich. La Frugola de Heike Grötzinger est fort intéressante... 

Il Tabarro


Suor Angelica ne vaut guère mieux qu'Il Tabarro sur le plan de la dureté de l’argument. Mais au moins la fin est-elle supposée heureuse et rédemptrice alors que le fond de l'opéra est franchement cruel et sinistre : cette pauvre fille tombée enceinte à qui on a volé son enfant il y a sept ans et qu’on a enfermé dans un couvent pour la punir. Sa riche famille ne vient la voir que pour lui extorquer une renonciation à son héritage au profit de sa sœur et lui apprendre que son enfant est mort. Elle se suicide réalisant qu’elle se damne par la même occasion. Mais la Vierge lui apparaitra tandis que son enfant se jette dans ses bras. Le livret est de Giovacchino Forzano. 
C’est l’opéra de ce triptyque qui eut le moins de succès et il faut reconnaitre qu’il n’est pas aussi brillant musicalement que les deux autres et son thème est assez "primaire" avec pas mal de bondieuseries. Le seul air vraiment intéressant est le “Senza mamma » déchirant d’Angelica réalisant que son fils est mort sans l’avoir revue.

Pour qu’il présente malgré tout un intérêt il faut tout à la fois la mise en scène sobre de Lotte de Beer qui garde le décor de “Il Tabarro” pour l’essentiel, le fond du long tube servant pour les apparitions diverses, et qui joue une sobriété très réussie puisqu’elle permet de mieux se concentrer sur les personnages et notamment les différentes nonnes. Mais il faut surtout de grandes interprètes chanteuses et actrices pour la confrontation entre la tante et Angelica. Et de ce côté là Munich nous offre le meilleur.
L'interprétation de Ermonella Jaho, à qui on pourra reprocher un excès de "vérisme" dans son expression outrée du personnage,  accroche pourtant vraiment l'attention, surtout lors sa rencontre au sommet avec Michaela Schusster qui est est impressionnante de justesse. L'affrontement entre les deux femmes que tout sépare, est magistral et c'est LE moment vraiment intéressant de cet opéra. Le reste de la distribution est intéressant pour sa qualité vocale globale.

Schusster et Jaho


A noter aussi la jolie voix de Anna El-Khashem et l'interprétation engagée de Helena Zubanovich.

la mort de soeur Angelica

Gianni Schicchi est une farce assez grinçante qui eut énormément de succès dès sa parution au contraire des deux autres. Ce détournement d’héritage comique dont le livret fut écrit par Giovacchino Forzano à partir d’une histoire racontée dans l’Enfer de Dante, comprend surtout de fameux ensembles et quelques airs célèbres comme le O mio babbino caro chanté par Lauretta.

A Munich, le rôle de Gianni Schicchi est évidemment parfaitement incarné par Ambroglio Maestri à qui tous les rôles truculents de ce type conviennent à merveille (il est un inoubliable Falstaff en particulier). Il occupe le plateau sans pour autant le dominer car l’ensemble de la troupe joue et chante parfaitement bien à l’unisson. C’est enlevé et joyeux même si la mise en scène et surtout le décor, conviennent moins bien à cette partie du triptyque qui semble finalement arriver un peu curieusement après ces très noirs prédécesseurs.
Gianni Schichi

Pavol Breslik se contente de jouer ce soir-là ayant perdu sa voix peu avant la représentation. C’est le jeune ténor Galeano Salas qui chante depuis les coulisses le rôle de Rinuccio. Je l'avais découvert  dix jours avant à Munich, dans Lucia, chantant le rôle du mari assassiné. Belle voix et courageuse reprise de rôle “au vol” un soir de retransmission en direct, il a été chaleureusement applaudi à juste titre.
Charmante Lauretta de Rosa Feola, une soprano à très belle voix qui a, en plus, le physique parfait pour l’emploi et à nouveau Michaela Schuster, qui fait carton plein ce soir en chantant dans deux des trois opéras....



Une nouvelle production réussie et passionnante au moins pour l’interprétation qu’en fait Petrenko, et pour la qualité et le sérieux de l’ensemble des interprètes.





Les saluts

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