Retour sur "La Bohème" - Puccini - 21 décembre 2017 - ONP Bastille



Retour sur

La Bohème

Puccini

Séance du 21 décembre 2017 – Opéra de Paris Bastille

Distribution « B »
Rodolfo : Benjamin Bernheim
Mimi : Nicole Carr
les autres : voir
http://passionoperaheleneadam.blogspot.fr/2017/12/la-boheme-giacomo-puccini-onp-bastille.html

Pourquoi ce retour sur la Bohème : d'abord pour parler de l'extraordinaire prestation du ténor Benjamin Bernheim qui chante Rodolfo ce 21 décembre, ensuite pour revenir sur certaines polémiques et donner une appréciation globale de cette deuxième vue.

Quelques explications sur la mise en scène :
Il y a eu beaucoup d’incompréhensions par rapport aux intentions de Guth dans cette mise en scène originale et inattendue. j’avais donné quelques clés ce compréhension dès mon retour de la Première mais j'ai l'impression que la manière dont est partie une critique absolument unanime et violemment négative le même soir, a fortement influencé tout le monde.
Tant pis pour Guth, c'est forcément qu'il n'a pas su communiquer suffisamment auparavant....et sa mise en scène n'est pas non plus suffisamment explicite de toute évidence.
je voudrais malgré tout souligner que sa référence à Murger (Scènes de la vie de Bohème, roman d’où est tiré le livret) n'est absolument pas la clé de sa mise en scène : dans le bouquin, la réminiscence est celle de gens âgés se rappelant de leur jeunesse. Rien de tel avec Guth justement.
Ce n'est pas la clé parce que sa première image, sa première idée en écoutant en boucle la musique pour savoir dans quel cadre il situerait sa Bohème, a été l'Espace et le roman Solaris.
Dans ce roman, les héros sont dans une station qui a perdu contact avec la Terre. En frôlant la planète Solaris, ils ont des visions de leurs proches morts tragiquement qui renaissent en quelque sorte et reviennent à leurs côtés. Ce ne sont pas des gens âges, désabusés. Ce sont des adultes qui à l'occasion de l'apparition d'un fantôme, en l'occurrence Mimi pour Rodolfo, va se remémorer son histoire avec elle.
Elle apparait d'abord dans la station spatiale comme dans Solaris, à la manière de ces fantômes que l'hypothèse surnaturelle de SF fait revivre.


Et au dernier acte, la dernière image est d'une toute autre lecture que celle de la mort de Gilda ans le Rigoletto mis en scène par le même Claus Guth : Mimi meurt allongée, dans les bras de Rodolfo étudiant (souvenir de sa mort) tandis que Rodolfo cosmonaute meurt sur Solaris voyant, du coup, le fantôme réincarné de Mimi disparaitre et s'éloigner comme il était apparu lors des premières images.
Lors de sa conférence publique à l’opéra Garnier quelques jours avant la Première, Claus Guth n'avait parlé de la référence Murger que sous la forme : "Après tout dans le roman aussi, il y a un flash back" ce qui n'est pas la même chose que "je suis parti du roman" ce qu'il n'a, pour moi, absolument pas fait.
Et la nostalgie de Rodolfo voyant Mimi apparaitre puis se remémorant son passé, n'est pas celle de quelqu'un qui n'est plus jeune, mais celle de quelqu'un qui va mourir encore jeune inéluctablement, qui retrouve Mimi à ses côtés le temps de sa survie ce qui rend terriblement poignant le souvenir de sa mort tragique et fatale. Au contraire il mesure toute l'horreur de la mort brutale contre laquelle il n'a rien pu dix ou vingt ans auparavant, et contre laquelle il ne pourra rien aujourd'hui.

Impressions après la séance du 21 décembre :
Sans revenir davantage en détail sur la mise en scène, je soulignerais les quelques modifications de cette séance du 21 décembre, dont notamment le fait que l'orchestre reprend dès l'ouverture du rideau à l'acte 3 (évitant du coup les huées des premières séances) tandis que le texte que Rodolfo, astronaute perdu dans l'espace, tape sur son ordinateur comme journal de bord, explique leur "nouvelle" situation : ils ont dû atterrir sur cette planète glacée et inhospitalière, la capsule devenant invivable, ils vont mourir, deux d’entre eux sont déjà morts etc etc

Les chanteurs de la distribution B que j’ai vus hier  appartenaient aussi à la A mis à part l’interprète de Rodolfo (Sonya Yoncheva n’a en effet assuré que la Première, annulant toutes les séances suivantes). Ils se sont manifestement mieux appropriés l'espace au fur et à mesure des séances, que ce soit dans la station spatiale, comme sur la planète glacée et l'ensemble est beaucoup plus animé, dynamique que lors de la Première.
Lors de cette deuxième vision je reste convaincue du caractère poétique du choix fait par Guth, de la beauté des décors, des costumes et des situations, du goût de Guth pour les histoires nostalgiques racontées de façon romantique et pour les souvenirs d'enfance et les spectacles de cabaret.


Question musique, il faut d'abord retenir une fois encore, la magistrale leçon de Dudamel, qui fait redécouvrir les détails de la partition, ses couleurs, ses thèmes, ses leitmotivs même comme jamais je ne les avais entendu (et pourtant entre le disque et la scène, des Bohèmes j'en ai quelques unes au compteur....). Le jeune chef Vénézuélien dirige rarement l’opéra, il a acquis ses lettres de noblesse dans la symphonie, celle de Mahler ou de Chostakovitch notamment. Mais le moins qu’on puisse dire, est qu’il est très attendu dans ce genre opératique, où il se révèle l’un des plus fins chefs entendus ces dernières années, de la veine du sublime Salonen ou de Pappano. L’orchestre de l’opéra de Paris, avec Salonen récemment dans « la maison des morts », avec Dudamel ces derniers jours dans la Bohème, est presque méconnaissable. En tous cas il prend beaucoup de plaisir à jouer si bien manifestement et surtout en si grande osmose avec le plateau vocal.
L’ attention que porte Dudamel aux chanteurs est en effet remarquable (j'étais bien placée grâce à un replacement très avantageux) et finalement, il colle très étroitement à la mise en scène de Guth sans le moindre décalage.



Question chant, Benjamin Bernheim domine vraiment le plateau. J’avais pris une place pour la distribution B pour l’entendre. Je l’apprécie depuis un petit moment ( Capriccio à Garnier, Cassio à Salzbourg, un récital à Paris). Il a confirmé tout le bien que je pense de lui . Non seulement il a une projection impressionnante, supérieure à celle des tous les autres artistes de la scène, mais surtout, il a un timbre magnifique, une technique irréprochable, notamment une diction parfaite et une capacité à nuancer sans casser sa ligne de chant qui nous promet de futurs rôles encore plus impressionnants s'il ne fait pas de choix inconsidérés.
Curieux qu'il soit de distribution B alors que son prédécesseur, Atalla Ayan, n'est pas plus connu et pour ce qu'il l'est (par moi qui l'avait déjà entendu deux fois en Alfredo), il n'a rien de remarquable si ce n'est une propension à ne pas respecter la mesure et à avoir du mal à tenir sa ligne de manière stable.
Benjamin Bernheim c'est à un tout autre niveau : certes, ce n'est pas un ténor de contre notes, mais c'est un ténor aux harmoniques très riches sur toute la tessiture ce qui fait que son chant se déploie dans les graves, le médium et les aigus sans discontinuer. Il s'autorise du coup un superbe legato, des diminuendi et des crescendi parfaitement maitrisés et je dois dire que ses airs et ses duos furent  certainement les plus beaux moments de la soirée.

Nicole Car ne vaut pas Yoncheva, elle a de jolis moments, joue de manière émouvante mais c'est une toute petite Mimi...

Artur Ruciński
est un Marcelo assez bien chantant dans l'ensemble mais sa projection est assez couverte par celle de Bernheim dans leurs duos et curieusement, j'ai trouvé sa voix plus claire que celle du ténor ce qui ne rendait pas très bien dans l'équilibre des deux voix.

Aida Garifulina est charmante, jolie voix, très beaux moments, elle m'a paru supérieure à Nicole Car en Musetta. Plus de nuances, une incarnation plus subtile de son personnage.

Salle pas entièrement remplie mais normalement pleine, gros succès aux saluts, surtout pour Gustavo Dudamel.... le public ne semble pas du tout partager les très violentes descentes en flamme du spectacle que les premières critiques nous ont données et adopter assez majoritairement le parti pris de cette Bohème en forme de rêve éveillé avec son petit parfum d’enfance et d’innocence perdue dans un monde qui disparait….


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