Tournée Hugo Wolf - Diana Damrau/Jonas Kaufmann - Philharmonie de Paris - 14 février 2018




Italienisches Liederbuch


Hugo Wolf

avec
Diana Damrau, soprano
Jonas Kaufmann, ténor
Helmut Deutsch, piano

Mercredi 14 Février 2018 - Philharmonie de Paris (archi-pleine) 




C'était le "Valentine'day" et c'était un bien beau cadeau que ce concert Kaufmann/Damrau/Deutsch, septième concert de la tournée "Hugo Wolf" commencée à Baden Baden le 2 février.
Détails de la tournée et des "pièces" composant le cycle en bas de l'article.

« C’est bien un cœur chaleureux qui bat dans les jeunes corps de mes tout jeunes  enfants méridionaux qui, malgré les apparences, ne peuvent renier leurs origines allemandes. Oui, leur cœur bat en allemand même si le soleil brille pour eux en italien. » disait Hugo Wolf à propos de son « Italienisches Liederbuch », composé à plusieurs périodes, comme des salves successives peignant l’amour sous toutes ses formes.
Hugo Wolf compose, il n’écrit pas : il met en musique les courts poèmes traduits en allemand par Paul Heyse en 1860 à partir de chansons populaires italiennes. Esprit italien donc, mais paroles en allemand à partir desquelles Wolf va inscrire sa musique, nerveuse, saccadée, rarement « cantabile », plutôt de type récitatif, où le style et la qualité de l’interprétation sont des questions-clé.

Diana Damrau, Jonas Kaufmann et Helmut Deutsch ont choisi de regrouper ces tout petits Lieder très courts, qui ressemblent à des miniatures croquant les différentes phases d’une relation amoureuse, en quatre parties dans un ordre différent de l’original pour créer une atmosphère et imaginer une sorte de progression dans l’histoire contée.



Ainsi la première partie regroupe-t-elle plutôt les courtes pièces comportant les déclarations d’amour, avec alternance entre lui et elle. Il faut cependant mettre le premier Lied (Auch kleine Dinge können uns entzücken) à part puisqu’il présente précisément ces « petits riens » qui « peuvent être si chers », évoquant notamment les « perles si petites mais si précieuses » de l’Orient et sert donc d’ouverture au cycle de ces merveilleux « petits riens ».
Les deux suivants se répondent parfaitement. Nous sommes dans la déclaration d’amour réciproque, rien n’est trop beau. « Et créant la beauté il fit ton visage » : de lui à elle qui répond « Je me ferai faire une robe verte /C’est aussi de vert que le printemps orne le pré/De vert est habillé l’être cher à mon âme. ». Elle porte sur sa robe noire à petites roses une étole verte. Il se met une pochette du même vert. C’est à la fois romantique et espiègle, les chanteurs-acteurs font merveille pour illustrer cette première partie printanière et faire saisir l’atmosphère des douces déclarations d’amour. Pour lui elle est plus belle que les plus beaux monuments d’Italie, elle le supplie de la voir en cachette si leurs amours sont interdites…et ainsi de suite et autant de toutes petites images un peu comme ces tout petits tableaux qui croquent chacun une situation, une comparaison, une déclaration. 
Le dernier vers est délicieux « dites-lui que sur une journée de 24 heures, elle me manque pendant vingt-cinq ».



Après la courte pause, elle revient avec une étole rose. C’est le temps des épines. On s’écorche, on se cherche noise. « Oh si tu savais qu’à cause de toi, renégate, j’ai souffert la nuit », « Malheureux que je suis ». Il se plaint, elle réplique : « Tes visites chez moi, je t’en fais cadeau/Va voir l’amoureuse qui te plaît mieux !/Qui donc t’a appelé, qui t’a fait venir ? ». il y a de la colère « Que les abîmes engloutissent la petite maison de mon amour,Qu’à sa place s’ébatte la mer furieuse, Que le ciel y verse des billes de plomb » et de la réconciliation « Faisons maintenant la paix, mon cher amour/ Trop longtemps déjà nous nous disputons »
Beau final provisoire, en état de grâce, avec le magnifique « Wenn du, mein Liebster, steigst zum Himmel auf » (Quand, mon amour, tu monteras au ciel).

Après l’entracte, elle a vêtu une étole noire et lui tente de la reconquérir en extase alors qu’elle se montre plus versatile. Les échanges sont souvent de nature spirituelle, Dieu est invoqué, c’est un le temps de l’amour éternel, mais aussi celui de la mort.
Et c’est à lui que revient ce qui constitue à mon sens, le plus beau passage « Sterb’ ich, so hüllt in Blumen meine Glieder [Si je meurs, qu’on m’entoure de fleurs] qu’il chante avec son style à nul autre pareil, en mezza voce et longues notes filées absolument superbes. Comme dans un souffle, toute l’émotion qu’il porte traverse les rangs de la Philharmonie en extase.



La dernière partie (étole rouge vif) enfin, est à nouveau plus tendue, comme serait les facettes du bilan d’un couple avec ses regrets « Comme j’ai perdu mon temps à t’aimer ! /Si j’avais adoré Dieu pendant tout ce temps /J’aurais ma place réservée au paradis », son amertume « Heureux aveugles qui ne voyez point Les charmes qui déchaînent nos passions », ses petites mesquineries « Tu me dis que je ne suis pas une princesse /Mais tu n’es pas né non plus sur le trône d’Espagne. » et se termine par ce petit pamphlet qu’elle chante pour lui rappeler un peu à la manière du catalogue, ses propres amoureux….

L’investissement des trois artistes était absolument formidable hier soir du début à la fin.
Diana Damrau a une très jolie voix de soprano légère qu’elle sait plier aux règles du Lied en atténuant la portée et en donnant du « chanter-parler » sans effets d’opéra à sa voix et à son style. Elle n’en fait pas trop, titillant son partenaire ou le regardant avec amour ou avec colère, exactement dans le ton. L’entente entre elle et Kaufmann est optimale et tellement crédible, qu’on se prend au jeu du couple qui se charme et se déchire. 

Quant à Jonas Kaufmann, son talent dans le Lied n’est plus à démontrer. Il avait donné une interprétation très émouvante du Winterreise il y a quelques années au TCE, dans une concentration telle et une communion telle avec le public, que l’on ressortait presque éreinté.
Là le jeu se prête moins à l’émotion intense et davantage à la soirée de charme. Il prouve sans grand effort apparent, que ce jeu lui convient parfaitement également. La voix est superbe, plus « opéra » que celle de sa partenaire (ce qui créée parfois une légère différence de style amusante), mais sans emphase ni grandiloquence qui n’auraient pas sa place dans le cycle. Cela a été dit par d’autres critiques mais je ne peux qu’insister sur ce constat, fait à plusieurs reprises ces derniers mois : Kaufmann a retrouvé tous ses beaux moyens d’antan et le charme de l’artiste et de l’homme, sachant si bien traduire ces infinies perles de la vie et de l’amour, a conquis la grande salle de la Philharmonie malgré la probable méconnaissance totale du public à l’égard du compositeur Hugo Wolf. Devenu célèbre grâce au choix d’un artiste opiniâtre qui ne recule jamais devant l’audace de ses choix.



Mais il ne faut pas oublier le compagnon, l’ex professeur, le vétéran Helmut Deutsch qui ne fait pas qu’accompagner mais a travaillé avec les chanteurs le sens à donner à cette succession de miniatures. Et c’est tout simplement formidable…


Un Bis  a été offert au public après une longue ovation et des rappels : Unterm Fenster de Schumann en duo, pour rire et pour finir sur une note gaie très appréciée. Les longs cycles de Lieder ne laissent en général pas de place aux « bis ».


Détail du récital dans l'ordre donné par les artistes
Première Partie
I. Auch kleine Dinge [Même de petits riens]
IV. Gesegnet sei, den durch die Welt entsund [Béni soit le Créateur]
XXXIX. Gesegnet sei das Grün [Béni soit le vert]
III. Ihr seid die Allerschönste [Tu es partout la plus belle]
XXI. Man sagt mir, deine Mutter woll’n es nicht [On me dit ta mère ne veut pas]
XLI. Heut’ Nacht erhob ich mich um Mitternacht [Cette nuit, je me levai à minuit]
XL. O wär’ dein Haus durchsichtig wie ein Glas [Oh, si ta maison était de verre]
XXVII. Schon streckt’ ich aus im Bett die müden Glieder [Tandis qu’au lit j’étends
mes membres fatigués]
XVIII. Heb’ auf dein blondes Haupt [Relève ta tête blonde]
XX. Mein Liebster singt am Haus [Mon amoureux chante dehors]
XXII. Ein Ständchen Euch zu bringen [Pour vous offrir une petite sérénade]

Pause

XLII. Nicht länger kann ich singen [Je ne puis chanter plus longtemps]
XLIII. Schweig einmal still [Tais-toi donc]
XLIV. O wüßtest du, wieviel ich deinetwegen [Oh ! si tu savais qu’à cause de toi]
VI. Wer rief dich denn? [Qui donc t’a appelé ?]
XXXI. Wie soll ich fröhlich sein [Comment serais-je heureuse]
X. Du denkst mit einem Fädchen mich zu fangen [Tu crois qu’avec un fil]
XIV. Geselle, woll’n wir uns in Kutten hüllen [Ami, prendrons-nous la bure]
XLV. Verschling’ der Abgrund meines Liebsten Hütte [Que les abîmes engloutissent
la petite maison de mon amour]
VIII. Nun laß uns Frieden schließen [Faisons maintenant la paix]
XXIX. Wohl kenn’ ich Euren Stand [Je connais votre rang]
XXXVIII. Wenn du mich mit den Augen streifst [Quand tes yeux me caressent]
XXXVI. Wenn du, mein Liebster, steigst zum Himmel auf [Quand, mon amour,
tu monteras au ciel]

ENTRACTE

Seconde Partie
XXIII. Was für ein Lied soll dir gesungen werden? [Quelle chanson faut-il te chanter ?]
XIX. Wir haben beide lange Zeit geschwiegen [Nous avons tous deux gardé
un long silence]
XXXIV. Und steht Ihr früh am Morgen auf [Quand vous vous levez tôt de votre lit]
XVI. Ihr jungen Leute [Vous autres, jeunes gens]
IX. Daß doch gemalt all deine Reize wären [Si seulement ta splendeur était peinte]
II. Mir ward gesagt [On m’a dit]
XVII. Und willst du dein Liebsten sterben stehen [Si tu veux voir mourir ton amoureux]
XXXIII. Sterb’ ich, so hüllt in Blumen meine Glieder [Si je meurs, qu’on m’entoure
de fleurs]

Pause

XV. Mein Liebster ist so klein [Mon amoureux est si petit]
XXXV. Benedeit die sel’ge Mutter [Bénie soit la mère bienheureuse]
XXIV. Ich esse nun mein Brot nicht trocken mehr [Je ne mange plus mon pain sec]
VII. Der Mond hat eine schwere Klag’ erhoben [Grave complainte de la lune]
XXV. Mein Liebster hat zu Tische mich geladen [Mon amoureux m’a invitée à table]
XXVI. Ich ließ mir sagen und mir ward erzählt [Je me suis laissé dire et on m’a conté]
XI. Wie lange schon war immer mein Verlangen [Depuis longtemps il me tardait]
XXXVII. Wie viele Zeit verlor ich, dich zu lieben! [Comme j’ai perdu mon temps
à t’aimer !]
XXXII. Was soll der Zorn, mein Schatz [Pourquoi cette colère, mon amour]
V. Selig ihr Blinden [Heureux aveugles]
XII. Nein, junger Herr [Non, jeune homme]
XIII. Hoffärtig seid Ihr, schönes Kind [Vous êtes bien altière, belle enfant]
XXVIII. Du sagst mir, daß ich keine Fürstin sei [Tu me dis que je ne suis pas
une princesse]
XXX. Laß sie nur geh’n [Laisse-la donc aller]
XLVI. Ich hab in Penna einen Liebsten wohnen [J’ai un amour à Penna]


Composition : du 25 septembre au 14 novembre 1890, du 29 novembre
au 23 décembre 1891, et du 25 mars au 29 avril 1896, sur des poèmes traduits
et publiés par Paul Heyse (1830-1914).
 


Villes accueillant le récital :
Février 2018

Baden Baden (Festspielhaus), le 2
Munich (Philharmonie), le 4
Berlin (Philharmonie), le 6
Hamburg (Elbphilharmonie), le 8
Frankfurt, (Alte Oper) : le 10
Vienne (Musikverein), le 12
Paris, (Philharmonie), le 14
Londres (Barbican), le 16
Essen (Philharmonie), le 18
Luxembourg (Philharmonie), le 20
Budapest (Müpa), le 22
Barcelone (Palau de la musica), le 24





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