Le Ring - L'Or du Rhin/La Walkyrie - Valéry Gergiev - 24 et 25 mars 2018 - Philharmonie de Paris

Le Ring (der Ring des Nibelungen)

Richard Wagner
(musique et livret)

Prologue et premier jour.

Samedi 24 mars et dimanche 25 mars à la Philharmonie de Paris

Orchestre du Mariinsky (Saint Petersbourg)
Chanteurs de la troupe du Mariinsky.
Valery Gergiev, direction


L'Or du Rhin (Das Rheingold)

Yuri Vorobiev, Wotan
Roman Burdenko, Alberich
Mikhail Vekua, Loge
Zhanna Dombrovskaia, Woglinda
Irina Vasilieva, Welgunda
Ekaterina Sergeeva, Flosshilda
Andrei Popov, Mime
Zlata Bulycheva, Erda
Mikhail Petrenko, Faffner
Vadim Kravets, Fasolt
Anna Kiknadze, Fricka
Ilya Bannik, Donner
Alexander Timchenko, Froh
Oxana Shylova, Freia



La Walkyrie (Die Walküre)

Mikhail Vekua, Siegmund
Yevgeny Nikitin, Wotan
Tatiana Pavlovskaya, Brünnhilde
Elena Stikhina, Sieglinde
Ekaterina Sergeeva, Fricka
Mikhail Petrenko, Hunding
Natalia Yevstafieva, Waltraute
Zhanna Dombrovskaia, Gerhilde
Anna Kiknadze, Grimgerde
Varvara Solovyova, Siegrune
Irina Vasilieva, Ortlinde
Evelina Agabalaeva, Roßweiße
Oxana Shylova, Helmwige
Yekaterina Krapivina, Schwertleite
Marina Mishuk, chef de chant



Le “Ring” (l’anneau) est une oeuvre à part. 
Par son gigantisme déjà : quatre opéras, tous très longs à part le Prologue, pour une tétralogie qui met en scène les dieux dans une vaste fresque qui relève tout autant du récit épique que du feuilleton avec ses rebondissements, ses intrigues, les grandeurs et les bassesses du genre humain même déifié. J’ajouterai que Wagner est un peu le précurseur de “Previously in ...”, ce petit résumé en images de nos séries US préférées, tant dans chaque opéra les personnages racontent avec force de détails ce qui s’est passé dans l’épisode précédent. Bref,  si vous avez raté le début...

Il est évidemment possible de voir les opéras de ce Ring séparément.

Le plus souvent donné “seul” est d’ailleurs la Walkyrie, du fait de certains de ses airs fort célèbres (la chevauchée) mais aussi, sans doute, parce qu’avec peu de personnages, il donne des pages sublimes à ses interprètes : le ténor (Siegmund), les deux sopranos très contrastées (Sieglinde et Brünnhilde), la mezzo (Fricka), le baryton-basse (Wotan) et la basse (Hunting).
Les adieux de Wotan à sa fille qu’il condamne au sommeil profond pour la punir d’avoir enfrunt sa loi, sont sans doute une des plus belles partitions jamais écrites, musique et paroles. Les échanges entre le père, qui se veut autoritaire mais se révèle rempli de compassion pour le sort de sa fille Brünnhilde, comme plein de regrets d’avoir du sacrifier son fils Siegmund, et la fille, fière et magnifique dans sa générosité et sa “soumission rebelle”, donnent un final grandiose à un opéra qui dure plus de quatre heures sans une longueur.




Mais il y a aussi le bel affrontement entre Wotan et sa femme Fricka (une vraie scène de ménage...), la rencontre entre Siegmund et sa soeur jumelle Sieglinde, enfants des écarts de Wotan, et amoureux l’un de l’autre, le beau chant du ténor qui alterne sans cesse entre passages héroiques de son récit des aventures des Wälse (“Wälse” est un long cri doublé qui nécessite un souffle très long et très maitrisé, “Notung” est une partie chanté fort et avec énergie en arrachant l’épée magique) et douceur lyrique sous forme d’un magnifique Lied de sa déclaration d’amour à sa soeur (Winterstürme).

Mais il faut faire au moins une fois l’expérience du cycle entier du Ring, pour mieux ressentir la progression dramatique et surtout musicale. Car le propre de Wagner outre sa maitrise phénoménale des contrastes “cordes” et “cuivres” (et son utilisation très variées des cordes), c’est le lancinant leitmotiv qui caractérise les situations et les personnages et au travers de quelques notes du “thème” de chacun, évoque leur présence, leur souvenir, leur arrivée prochaine...
Ainsi le prologue (l’or du Rhin) présente-t-il à peu près tous les thèmes tout en mettant en scène le “début de l’histoire”, c’est à dire ce qui se noue avec le vol de l’Or du Rhin aux filles du Rhin, et qui ne se dénouera qu’à l’issue du Crépuscule des dieux, la malédiction annoncée à la fin du Prologue, se réalisant dans un final inoubliable. 




Wagner tire son inspiration des récits des Nibelungen (Das Nibelungenlied, poème épique germanique du Moyen Age) des dieux germaniques et nordiques et de leur mythologie.
Il conçoit son oeuvre comme un tout : récit, théâtre, musique, peinture ...et met en scène plus de trente personnages, compose pour les identifier plus de 80 leitmotivs (et leurs variantes), écrit plus de 8000 vers. L’oeuvre totale dure 15 heures... Et n’oublions pas que le Fespielhaus de Bayreuth fut construit dans l’objectif de disposer d’une salle, d’une scène, d’une fosse, correspondant à la représentation idéale de cette oeuvre monumentale.

L’orchestre requis est également hors norme pour l’époque comprenant notamment un nombre de cuivres et de percussions considérable. S’y rajoutent d’ailleurs deux instruments qui évoquent la tempête, l’orage : la caisse roulante (Rührtrommel) et la machine à tonnerre (Donnermachine).

Valery Gergiev

 Mais revenons à l’Or du Rhin, le Prologue, dont l’intrigue campe le décor en quelques sortes : Alberich, un nibelung, vole l’Or gardé par les filles du Rhin avec l’aide de son frère Mime, forgeron, et veut forger un anneau qui le rendra invincible et richissime. Sur le conseil de Loge, Wotan lui vole l’anneau pour payer les géants Fafner et Fasolt qui construisent le Walhalla, future demeure des dieux où Wotan règnera en maitre absolu. Wotan voudrait garder l’anneau pour lui mais Erda, déesse mère de la Terre, lui conseille de se tenir éloigné de cet anneau qu’Alberich a maudit. La malédiction conduit au premier meurtre, celui de Fasolt par Fafner tandis que Wotan fuit vers le Walhalla avec Fricka sa femme et que Donner, dieu du tonnerre, se lamente de la catastrophe du Rhin qui annonce le crépuscule des dieux. Alberich a réduit les nibelungen en esclavage (Nacht un Nebel niemand gleich)

L'Or du Rhin, CD Gergiev

Le premier jour du Ring, la Walkyrie, se déroule d’abord sur terre, dans la forêt où arrive Siegmund, le fils de Wotan, dans la maison où vit Sieglinde, qui se rélèlera être sa soeur jumelle. Leur découverte mutuelle aboutit à leur accouplement. A l’acte 2, au Walhalla, Fricka reproche à Wotan ses aventures et dénonce le couple incestueux qu’il a engendré, lui demandant de faire tuer Siegmund par l’une de ses “filles” Walkyries, pour l’empêcher de procréer. Wotan ordonne alors à Brunnhilde, sa Walkyrie préférée, de désarmer Siegmund dans son combat avec Hunting, le mari de Sieglinde, pour provoquer sa mort. Brünnhilde descend sur terre s’acquitter de sa tâche mais le plaidoyer de Siegmund la dissuade de commettre ce crime. Wotan arrivera à la dernière minute pour provoquer la mort de son fils. Wotan punit Brunnhilde en l’endormant au sommet d’un rocher entouré de flammes pour que seul un héros puisse la réveiller et l’épouser. Ce sera Siegfried, fils des jumeaux, dans le prochain épisode...



La Walkyrie  enregistrement Gergiev

Valery Gergiev est un habitué de Wagner. Il a d’ailleurs enregistré un Or du Rhin et une Walkure (à la distribution prestigieuse) sous son propre label.
Je l’ai personnellement entendu deux fois en version concert pour la Walkure.
L’expérience du Ring à la Philharmonie avait ceci d’original, que , pour l’essentiel, Gergiev nous proposait une version “Mariinsky” nous faisant découvrir la plupart des interprètes, tous membres de la troupe de l’opéra de Saint Petersbourg.

Pour l’Or du Rhin, ce choix s’est avéré un coup de maitre avec une très grande homogénéité de la distribution, des chanteurs très investis dans leur rôle, bien au delà de ce qu’on voit souvent dans une version concert, montrant une interaction très efficace entre eux et avec l’orchestre.
Deux heures trente sans entracte et sans ennui, avec des interludes musicaux remplis de couleurs et un “concours” entre les basses russes tous bien décidés à donner le meilleur d’eux-même, y compris dans des rôles parfois assez courts. C’est rare d’entendre un Or du Rhin aussi homogène et aussi brillamment distribué. Le Mariinsky donne le meilleur dès le Prologue et l’on retrouve d’ailleurs plusieurs chanteurs lors de la Walkyrie du lendemain dans des rôles différents.



La représentation avait pourtant commencé assez mollement, comme si l’orchestre prenait ses marques, pour prendre rapidement un rythme plus soutenu, notamment une très grande intensité donnée par les chanteurs eux-même, et se terminer en apothéose saluée par une standing ovation.
Il faudrait citer tout le monde (voir la distribution) tant chacun a brillé ce soir là mais j’insisterai surtout sur Roman Burdenko (Alberich) que l’on reverra d’ailleurs dans Siegfried puis le Crépuscule à la rentrée, et qui domine sa partition avec une telle insolence et sûreté qu’il magnétise littéralement la scène, donnant un personnage menaçant et inquiétant idéal. Le chant est superbe, très longue ligne de souffle indispensable chez Wagner et très belle couleurs expressives dans les airs. Ensuite je retiendrai les magnifiques incarnations de Erda(Zlata Bulycheva), Fricka (Anna Kiknadze) et l’émouvante Freia de Oxana Shylova (on se surprenait à être tenté de bondir sur le plateau pour la sauver des griffes des Géants). Et puis bien sûr le ténor à tout faire Michail Vekua, qui chantait un Loge avec le physique de l’emploi et la “tchatche” du personnage avant de prendre le rôle de Siegmund le lendemain en changeant radicalement de registre et en maitrisant bien les contrastes casse-gueule de la partition du ténor. Il sera les deux Siegfried à la rentrée. Etonnant Mime de Andrei Popov, un nom à retenir également et magnifique Fafner de la basse Michail Petrenko, plus connu sous nos contrées et qui chante fort souvent également Hunting, comme ce sera le cas le lendemain à la PP.

Loge puis Siegmund

Mais il ne faudrait oublier personne, y compris par exemple la troisième fille du Rhin (Ekaterina Sergeeva), qui fera une Fricka “classe” et inoubliable le lendemain... Bref, vous l’aurez compris, tous ces chanteurs de la troupe du Mariinky nous ont surpris par la fraicheur de leur interprétation, la beauté de leur diction, leur compréhension magnifique de la “prosodie” wagnérienne et leurs efforts pour se surpasser.

Fafner puis Hunting

La Walkyrie du lendemain a comporté malheureusement un écueil de taille : le naufrage vocal de Evguieny Nikitin en Wotan.
Gergiev nous offrait pourtant un magnifique acte 1, largement servi par son propre orchestre boosté par les ovations de la veille et qui faisait un sans-faute dynamique et intense, et par les interprètes fortement investis tous les trois : Michail Petrenko et Michail Vekua déjà nommés, et la délicieuse mais volontaire Sieglinde de Elena Stikhina, une des plus belles Sieglinde entendues ces dernières années.


Sieglinde

L’arrivée de Fricka confirmait l’excellent choix de distribution du maestro Russe, malheureusement pas celle de Wotan. Dès les premières mesures, le baryton basse Russe ne parvient pas à donner l’ampleur et le souffle nécessaire à son personnage. Il sait faire transparaitre les hésitations et les fêlures de Wotan mais n’a pas l’ampleur voulue pour dominer l’orchestre, pourtant savamment dirigé par un Gergiev qui a un respect absolu des chanteurs et surtout, du dialogue wagnérien qui fait la force de l’écriture de ce Ring.

Fricka la belle...

Son état vocal va empirer au cours de la représentation, pour finir par des adieux où l’ensemble du public retient son souffle dans la crainte que la voix ne lâche définitivement. Mais Nikitin tient sur un fil, jusqu’à la dernière note, qui meurt littéralement, tandis que Gergiev, mettant la main sur sa bouche pour signifier à l’orchestre qu’il doit se faire tout doux, redonne couleur et vigueur aux instruments entre deux airs de Wotan. On ne peut que regretter que quelques spectateurs aient trouvé bon de le huer aux saluts. La performance d'un chanteur mérite toujours le respect même si elle est critiquables lors de telle ou telle représentation. Précisons que Nikitin avait chanté la veille au soir à Baden Baden dans Parsifal le rôle de Klingsor ce qui a sans doute contribué à mettre en péril sa voix...

Heureusement la Brünnhilde de Tatiana Pavlovskaya, est à la hauteur et même plus, surprenante elle aussi par sa justesse, sa fraicheur, son sens des contrastes et des nuances et sa profonde humanité, tout comme ses soeurs Walkyries qui nous donnent une chevauchée magnifique.

Brünnhilde et Wotan



Il m’est venu, bien évidemment, toute sorte de comparaisons avec les interprètes des autres Walkyries dirigées par Gergiev : les représentations de Baden Baden en 2016 d’abord, avec Skelton puis Shager en Siegmund, Pape en Wotan, Herlizius en Brunnhilde et Westbroek en Sieglinde (et déjà Petrenko en Hunting), ou celle de l’enregistrement studio du Mariinsky de 2013 avec Jonas Kaufmann, René Pape, Nina Stemme et Anja Kampe.

Autant Baden Baden (prévu initialement avec Kaufmann) souffrait de beaucoup d’imperfections y compris dans la direction Gergiev, souvent relâchée et peu enthousiaste, autant le CD réunissait probablement ce qu’on fait de mieux aujourd’hui dans chacun des rôles et donnait une sorte de mètre étalon qu’on espère retrouver cet été à Munich -où la distribution est presque la même- , avec un “plus” évident, la direction analytique et colorée de Kiril Petrenko.

Mais, hors Wotan, la distribution de dimanche avait quelque chose de nouveau et d’extrêmement réjouissant, nous dévoilant finalement des pépites cachées du chant russe, dont la réalité et la richesse incroyable, le talent même, est souvent dissimulé derrières quelques stars russes internationales glamour (plus ou moins...).

A suivre avec les deux derniers jours du Ring à la rentrée.
Les photos des saluts sont de MariaStuarda que je remercie. 

A noter, ma petite remarque sur l'acoustique : disposition des chanteurs, comme pour cette Pucelle d'Orléans l'an dernier, derrière l'orchestre, cette fois exclusivement côté gauche quant on regarde l'orchestre depuis le parterre, cuivres et percussions à l'opposé, très bon équilibre du son, chanteurs très puissants et jamais couverts.

Précisions sur certains des chanteurs :
La plupart de ces magnifiques chanteurs sont des membres de la troupe du Mariinsky (d'où une grande cohésion et une grande complicité évidente sur scène) comme Vadim Kravets, qui peut chanter tout aussi bien Figaro, Jochanaan, Escamillo que Fasolt. Entre deux Fasolt, l'un à Saint-Petersbourg et celui d'hier à Paris, il chantait d'ailleurs Don Giovanni.
De la même manière, et appartenant à la même troupe, le ténor Mikhail Vekua, qui sera Tristan dans le CD à sortir de Gergiev, était Loge hier (c'était marrant, je trouvais qu'il avait le physique de l'emploi), sera Siegmund le dimanche, et chante Siegfried, Faust, Samson, Enée, Don Carlo et Don Carlos etc.
Roman Burdenko, extraordinaire Alberich et également membre de la Troupe, n'est "sorti" de Saint Petersbourg quasiment que pour un mémorable Dunois à Genève puis à la PP l'an dernier dans "la pucelle d'Orléans" de Tchaikovski dont nous avions rendu compte avec enthousiasme ici même. Au Mariinsky il chante Michonnet et Rodrigo (entre autres)
A noter également le cas de Michail Petrenko qui s'est fait un "nom" en Hunding, et qu'on voit donc un peu plus souvent hors les murs mais qui chante toute sorte d'autres rôles au Mariinsky également.
Quant à Andrei Popov, très impressionnant Mime (y compris dans le jeu d'acteur malgré la version scénique), et qui chantait Chekalinsky dans la Dame de Pique dirigée par Jansons à Amsterdam (voir les CR), il chantera dans "The fiery angel" à Aix cet été et dans Lady macbeth de Mzensk" à l'ONP l'an prochain.


Le petit plus du Blog (mes coups de coeur perso...) :

L'Or du Rhin, Bayreuth, Direction Boulez, mise en scène Chéreau


La mort de Siegfried (le Crépuscule)



La chevauchée des Walkyries dirigée par Dudamel




Jonas Kaufmann à propos du Ring dirigé et enregistré par Gergiev




Kaufmann-Westbroek, acte 1 scène 3, la Walkyrie, Amsterdam juin 17.


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