Lady Macbeth de Mzensk - Chostakovich - ROH - Avril 2018

Lady Macbeth de Mzensk

de Dmitri Chostakovich



Livret de : Dmitri Chostakovich et Alexander Preys


Mise en scène de : Richard Jones
Décor de : John Macfarlane
Costume de :Nicky Gillibrand
Lumières : Mimi Jordan Sherin
Chorégraphie : Linda Dobell
Chef d'orchestre : Antonio Pappano

Katerina Ismailova : Eva-Maria Westbroek
Sergueï : Brandon Jovanovich
Boris Ismailov : John Tomlinson
Zinovy Ismailov : John Daszak
Sonyetchka : Aigul Akhmetshina
Aksinya : Rosie Aldridge
Paysan : Peter Bronder
le Pope : Wojtek Gierlach
Inspecteur de police : Mikhail Svetlov
Le Maitre d'école : Thomas Atkins
Vieux bagnard : Paata Burchuladze
La bagnarde :Miranda Keys
Régisseur / Second contremaitre : Hubert Francis
le Portier : Jonathan Fisher

Choeurs
Royal Opera Chorus
Chef des choeurs : Vasko Vassilev
Orchestre : Orchestra of the Royal Opera House



Reprise au Royal opéra House,  9 avril 2018

Reprise très réussie de Lady Macbeth de Mzensk au ROH dans la mise en scène de Jones (qui a plus de 10 ans) qui, décidément, adore construire des maisons et retapisser les murs...
Cette reprise londonienne vaut d'abord pour la direction Pappano, l'orchestre, les chœurs magnifiques, la fantastique et audacieuse spatialisation de groupes d'instruments très bien maitrisée et l'ensemble musical "choc" de cet opéra génial par ailleurs et quelques pépites dans le plateau vocal globalement de qualité avec John Tomlinson, Eva Marie Westbroek et Brandon Jovanovitch.



Le titre original de l’opéra est "Леди Макбет Мценского уезда" ce qui signifie littéralement "Lady Macbeth du district de Mzensk" mais comme beaucoup de titres russes, c'est long et la version raccourcie est souvent adoptée avec des transcriptions diverses du russe d’ailleurs sous la forme de Mzensk (en France) mais plutôt Mtsensk en Allemagne ou au Royaume Uni.
L'opéra de Chostakovitch est tiré d'un roman éponyme de Nicolai Leskov (publié en 1865). Nikolaï Leskov  s'est inspiré d'un fait divers qu'il a étoffé pour faire de Katerina Ismailova une sorte de criminelle en série. Son titre renvoie à la tragédie de Shakespeare à cause du rôle de Lady dans la fomentation des meurtres. Certains aspects très noirs du roman ont été supprimés par Chostakovitch qui voulait rendre son héroïne davantage victime de la condition de la femme que criminelle cynique et sans scrupule. Dans le roman les deux amants tuaient également le jeune neveu de Ekaterina, Fiodor en l’étouffant sous son oreiller alors qu’il était alité et malade.
Le titre choisi renvoie aussi à un roman de Tourgeniev paru quelques années avant (1859) et qui s'intitulait "Le Hamlet du district de Chtchigry". Une manière de dire à l'époque "nous au village aussi l'on a, de beaux assassinats".
Ces "romans" étaient brefs et assez percutants, et généralement publiés dans des revues.
Chostakovitch, lui, voulait faire une série d'opéras sur la condition de la femme dont "Lady Macbeth" serait le premier.
Staline ayant détesté son opéra, il n'a pas pu donner suite à son projet. Son Lady ne fut pas joué pendant 30 ans et Chostakovitch dut en faire une version édulcorée “Katerina Ismailova” assez rarement donnée de nos jours où l’original a repris largement le dessus.

L’histoire est sombre et sans espoir, mêmes les relations amoureuses entre Katerina et Serguei qui font découvrir à Katerina la jouissance, sont rapidement entachées par le meurtre sordide du mari, un mariage hâtif gâché par la découverte du corps en putréfaction, la violence est omniprésente : violence des hommes à l’égard des femmes, enfermement des femmes, impuissance des pauvres face aux puissants et aux riches, dureté des châtiments, condamnation à la mort lente au bagne où pour la dernière fois et avant son ultime pirouette pour se libérer, Katerina rencontrera l’humiliation et le désespoir face à la trahison de son amant.
Noir et satirique tout à la fois dans la grande lignée d’un Gogol ou d’un Dostoievski peintres de grandes fresques drôlatiques et violemment critiques.
Chostakovitch illustre parfaitement la violence des romans russes du 19ème siècle qui dénonçait les inégalités, les injustices et les souffrance du peuple. Mais il centre aussi son propos sur le portrait d’une femme telle qu’elle était soumise au pouvoir du tsar, du pope, de son mari et de son père dans la Russie du 19ème siècle. Qu’elle tente de se libérer en tuant n’était pas du goût de la morale soviétique tout comme l’audace musicale de génie dont fait preuve le compositeur ne plut pas aux exigences de Staline.
De nos jours l’opéra a repris toute la place qui lui revient comme l’un des chef d’œuvre de l’opéra russe contemporain : rien que cette dernière année, plusieurs mises en scène, avec chef d’orchestre et distributions prestigieuses ont été données dans les plus grandes maisons d’opéra ou vont l’être.
Je citerai déjà celles que j’ai vues : celle de Harry Kupfer, vue à Munich l'an dernier sous la direction de Petrenko avec Anja Kampe dans le rôle-titre et celle d’ Andreas Kriegenburg pour Salzbourg l'été dernier sous la direction de Maris Jansons avec Nina Stemme puis surtout Evgenia Muraveva qui la remplaça dès la deuxième représentation.
Dans les deux cas, les mises en scène étaient intelligentes, visuellement belles et efficaces et les chefs très inspirés.
Rappelons que la prochaine saison de l’opéra de Paris nous proposera aussi cet opéra dans  une nouvelle mise en scène de Warlikowski avec la direction musicale de Ingo Metzmacher (couple qui marche très bien en ce moment à Garnier dans le Château de BB/ La voix humaine).



C’est donc d’abord et avant tout pour la direction magnifique d’Antonio Pappano qu’il ne faut pas rater cette reprise à Londres.
Le directeur musical de l’opéra a parfaitement saisi l’esprit “russe” de la musique de Chostakovitch et il en propose une lecture particulièrement riche et passionnante. Il y a des dizaines de thèmes et de styles dans la moindre scène de cette Lady russe chez les ploucs. Les chœurs (excellents) par exemple semblent tout droit sortis d’une comédie musicale juste avant de devenir ensemble folklorique russe puis de se transformer en chœurs de l’armée rouge.
Une fanfare qui joue aussi entre une partition de flonflons de bal de samedi soir et celle d’une marche funèbre ou nuptiale solennelle, se promène des loges de jardin, dernier niveau, en fond de scène, apparaissant également devant le rideau baissé en rang d’oignons. Les balalaïkas quant à elle sont également spatialisées dans les loges de côté et depuis les hauteurs de l’amphithéâtre on peut saisir l’art de Pappano de diriger tout ce petit monde (sans oublier les chanteurs) avec son art de rendre vivant chaque mesure de la partition et de lui donner du sens.

La mise en scène de Richard Jones a déjà quelques années au compteur au Royal Opéra House et elle ne brille pas par l’originalité. Comme à son habitude Jones concentre sa présentation sur quelques éléments de décors simples : les pièces de la maison de Katerina qui alternent deux par deux (l’entrée, la salle-cuisine, la chambre), puis la salle de bal-fête-mariage, le commissariat et enfin deux immenses camions qui emmènent les prisonniers au bagne., décor gigantesque et oppressant du quatrième acte.
Avant que Katerina (Katia) ne se réalise dans sa passion avec Sergueï (Sirioja), le logement fait très années 50 en union soviétique, triste et laid, murs aux papiers peints défraichis, aucune note de décoration dans les pièces. Par la suite au plus fort de leur idylle, les murs ont été retapissés sur scène, le lit s’est élargi, la télévision est en couleur, les draps en satin et une lumière rose baigne la chambre. La salle des fêtes qui ménage sur le côté un bric-à-brac où le corps du mari est découpé et planqué dans une armoire, ressemble à un patronage de province quant au bagne, c’est l’assombrissement général de la scène et l’oppression que crée l’immense décor qui domine. Très beau jeu de lumières sur ce final.
Le parti pris satirique domine au travers de ces choix de contrastes et d’une direction d’acteurs qui accentuent les effets comico-sinistres des scènes tout en respectant un livret très dynamique.




La distribution est à la hauteur également, autant sur le plan vocal que sur le plan scénique ce qui nous donne un lady Macbeth très enlevé, au rythme soutenu et où alternent d’excellentes scène satiriques, humour noir garanti, avec un final tragique à la hauteur des intentions de Chostakovitch.

Eva Marie Westbroek incarne Katerina depuis plus de dix ans sur toutes les scènes internationales où sa prestation a été généralement saluée (Paris, Londres, Amsterdam notamment). Ces dernières années, suite à des prises de rôle un peu lourdes sans doute, sa voix avait paru à plusieurs reprises altérée dans certains répertoires. Dans ce rôle, à part un ou deux aigus particulièrement difficiles un peu tendus, la voix est très belle et se déploie sans difficulté, très belle projection et timbre de velours pour une interprétation toute en nuances qui séduit profondément. D’autant plus que l’un de ses partenaires le ténor Brandon Jovanovitch incarne lui un Serguei brut de décoffrage, un peu « chien fou » , très authentique avec les faiblesses d'un homme un peu frustre et ses passions désordonnées. il forme un contraste avec Katerina qui colle particulièrement bien aux deux personnages, elle avec le poids de l’oppression des femmes, qui cherchera jusqu’au bout à  protéger son amant, lui qui profite de toute occasion de jouir de la vie sans se préoccuper de trop des conséquences de ses actes. Jovanovitch est un ténor que j’apprécie vraiment dans ces rôles très slaves et très « primaires », comme ce Serguei : il sait rendre ce côté grand garçon mal fini, il sait l’incarner jusque dans un timbre très peu lyrique mais très adéquat à ces phrases musicales heurtées.
John Tomlinson est Boris Ismailov le riche négociant père du mari de Katerina. C’est un rôle qu’il incarne également depuis des années avec toujours autant de la verve du vieux moujik qui veille sur les intérêts de son fils parti du foyer en surveillant sa belle fille avec une attention tyrannique. Acteur et chanteur resté d’un très haut niveau, il renforce globalement la distribution par sa crédibilité physique tout en offrant un très beau chant vigoureux et brutal.

Autour de ce trio très efficace, les rôles secondaires sont bien distribués (comme souvent au ROH) en particulier Aksinya très bien interprétée par Rosie Aldridge, l’ Inspecteur de police de  Mikhail Svetlov ou le mari trompé Zinovy Ismailov de John Daszak.

C’est donc une reprise qui vaut vraiment le coup quand on aime comme moi cet opéra exceptionnel, d’autant plus que le ROH pratique des prix assez doux…



le petit "plus" : Amsterdam, 2006, direction Jansons










 


 













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