Tristan und Isolde - Acte 2 avec Jonas Kaufmann et Camilla Nylund - Boston 7 avril 2018.
Tristan
und Isolde - Acte 2
Richard Wagner
Boston Symphony Orchestra
sous la direction de son
directeur musical : Andris Nelsons
Jonas Kaufmann, Tristan
Camilla Nylund, Isolde
Mihoko Fujimura, Brangäne
Georg Zeppenfeld, Marke
Andrew Rees, Melot
David Kravitz, Kurwenal
Boston,
les 5 et 7 avril.
New York, Carnegie hall le 12 avril
Le programme donné à Boston les 5 et 7 avril comprenait en plus le "Siegfried Idyll".
Un nouveau rôle, même partiel, proposé par le ténor Jonas Kaufmann, agite aussitôt la planète lyrique ce qui en agace certains, c’est normal mais bon, le fait est qu’il est rare que l’artiste déçoive l’attente. Surtout quand il s’agit du rôle des rôles, Tristan, pour un ténor se frottant à Wagner et capable d’endosser un rôle qui demande des qualités d’endurance tout autant qu’une maitrise des styles différents imposés par le compositeur dans son écriture musicale si spéciale et si... envoûtante. Prudent, Kaufmann choisit de commencer par l’acte 2, complet, sans les coupures parfois pratiquées, l’acte d’amour entre Tristan et Isolde, qui vont se déclarer leur amour et décider d’en mourir ensemble dans une fusion totale des corps et des esprits. L’ensemble de l’acte 2 dure environ 1heure 20 tandis que le duo à proprement parler, le plus long de l’histoire de l’opéra dure 45 minutes.
Le programme donné à Boston les 5 et 7 avril comprenait en plus le "Siegfried Idyll".
Un nouveau rôle, même partiel, proposé par le ténor Jonas Kaufmann, agite aussitôt la planète lyrique ce qui en agace certains, c’est normal mais bon, le fait est qu’il est rare que l’artiste déçoive l’attente. Surtout quand il s’agit du rôle des rôles, Tristan, pour un ténor se frottant à Wagner et capable d’endosser un rôle qui demande des qualités d’endurance tout autant qu’une maitrise des styles différents imposés par le compositeur dans son écriture musicale si spéciale et si... envoûtante. Prudent, Kaufmann choisit de commencer par l’acte 2, complet, sans les coupures parfois pratiquées, l’acte d’amour entre Tristan et Isolde, qui vont se déclarer leur amour et décider d’en mourir ensemble dans une fusion totale des corps et des esprits. L’ensemble de l’acte 2 dure environ 1heure 20 tandis que le duo à proprement parler, le plus long de l’histoire de l’opéra dure 45 minutes.
L'acte
2 de Tristan ce n'est pas l'incarnation du rôle de Tristan dans son ensemble, même
si c’est le moment le plus emblématique de son évolution.
De
la même manière, comme cela a été largement souligné dans la presse, une
version concert particulièrement peu mise en scène ce n'est pas une
interprétation scénique avec ses difficultés propres. Et ceux qui ont assisté
directement à l’une des représentations, soit à Boston, soit à Carnegie Hall à
New York, ont souligné que le choix de placer les deux rôles principaux de
chaque côté du chef d’orchestre au moins durant tous leurs duos première et
deuxième partie, avait nui à l’interaction directe entre les artistes, chacun
restant largement concentré sur sa partition. Ils ne se rejoignent qu’après
l’intervention du roi Marke qui lui se place de l’autre côté du chef, ce qui
fait que les échanges entre lui et Tristan se font à nouveau à distance. Sans
doute est-ce lié d’abord et avant tout à des problèmes d’acoustique, toujours
complexes à résoudre pour des chanteurs placés au même niveau qu’un orchestre
wagnérien assez sonore. La spatialisation des voix y est meilleure et cela
donne effectivement une très belle retransmission audio.
C'est
la première fois que Jonas Kaufmann décide de tester ainsi un rôle qui le
fascine depuis longtemps, en chantant uniquement un acte d'un opéra qui en
comprend trois d'égale importance (chacun à sa manière) pour le ténor.
On attend généralement l'interprète de Tristan sur la durée : il faut tenir les trois actes et terminer sur un acte 3 très tendu vocalement et qui nécessite de s'être préservé (autant que faire se peut) à l'acte 2 en maitrisant totalement cet étrange envoutement (une "drogue") que crée la musique du fameux duo le plus long de l'opéra.
Kaufmann a donc manifestement décidé de tenter le challenge (attirance pour le rôle et pour Wagner), et de s'en donner les moyens en commençant par maitriser parfaitement l'acte 2.
On attend généralement l'interprète de Tristan sur la durée : il faut tenir les trois actes et terminer sur un acte 3 très tendu vocalement et qui nécessite de s'être préservé (autant que faire se peut) à l'acte 2 en maitrisant totalement cet étrange envoutement (une "drogue") que crée la musique du fameux duo le plus long de l'opéra.
Kaufmann a donc manifestement décidé de tenter le challenge (attirance pour le rôle et pour Wagner), et de s'en donner les moyens en commençant par maitriser parfaitement l'acte 2.
A
Boston, il était plus "libéré" le 7 que le 5 d'après les témoins sur
place (moins attaché à sa partition et plus rayonnant), et a proposé une
interprétation suffisamment aboutie (et sublime pour moi...) pour laisser
espérer un futur Tristan passionnant.
Il a clairement annoncé dans la longue interview donnée à la radio de Boston que ce serait dans trois ans. Il a donc déjà un contrat signé (ou plusieurs...).
Les paris vont bon train entre ceux qui déclarent qu’il n’y arrivera jamais et qu’il vaudrait mieux qu’il enregistre un bon Tristan plutôt que de se frotter à la scène et ceux qui espèrent au contraire voir un jour un Tristan et Isolde de la qualité que la prestation du ténor laisse entendre...
Il a clairement annoncé dans la longue interview donnée à la radio de Boston que ce serait dans trois ans. Il a donc déjà un contrat signé (ou plusieurs...).
Les paris vont bon train entre ceux qui déclarent qu’il n’y arrivera jamais et qu’il vaudrait mieux qu’il enregistre un bon Tristan plutôt que de se frotter à la scène et ceux qui espèrent au contraire voir un jour un Tristan et Isolde de la qualité que la prestation du ténor laisse entendre...
Dès la première écoute de la
retransmission radio donnée par Boston le 7 avril, j’ai été fascinée par
l’interprétation proposée par les artistes tant elle donnait du sens à cet
opéra des envoûtements multiples. J’ai été frappée par la concentration totale
des artistes sur leur chant, pour une interprétation
que j'ai trouvée magistrale et carrément proche de l’extase recherchée à
l’issue de la partie lente du duo....
Camilla Nylund, pour qui c'est aussi la
première Isolde, m’a paru bien meilleure dans les parties "lyriques"
et notamment dans leur long duo qu'au début de l'acte (son Hörst du sie noch
d’entrée) où la voix semble un peu "forcée" mais ce n'est qu'une
retransmission....ensuite c'est magnifique.
Jonas Kaufmann domine son Tristan
d'un bout à l'autre de l'acte, tant dans les quelques accents héroïques que
dans le duo avec une voix superbe et son sens habituel des nuances, souffle
immense, diction impeccable, technique irréprochable. Emotion
garantie.L'intervention de Zeppenfeld est tout simplement royale (lui et
Kaufmann ont le même style dans Wagner, c'est un "must" pour moi...).
Très bel accompagnement caressant, envoûtant de l'orchestre du BSO sous la
direction précise de Nelsons.
Depuis cette première impression « à chaud » j’ai réécouté ce morceau musical magique plusieurs fois (puis vu les extraits du concert de Boston).
Et
je reste personnellement totalement sous le charme total de l'interprétation
très subtile et finalement très personnelle de Kaufmann qui a incontestablement
retrouvé tous ses fabuleux moyens vocaux, a progressé encore dans son approche
de Wagner depuis son Siegmund du MET, et propose un très beau Tristan.
Son
entrée est très vaillante et très rapide sur le fameux « Isolde!
Geliebte! » : Nelsons semble avoir accéléré les tempi pour ce début de
l'acte avant de ralentir nettement lors du duo amoureux. Et les échanges vifs
et rapides de Kaufmann et Nylund sur fond d'un orchestre lui aussi très
colorés, donnent une entrée en matière immédiatement impressionnante et très
bien maitrisée, avec les interjections entre les deux héros.
Le timbre barytonnant de Kaufmann donne une épaisseur à un Tristan qui sait adoucir son propos tout en martelant ses phrases. Cette partie qui musicalement s'apparente à l'arrivée de Siegmund ou surtout à la partie "Notung" de la Walkyrie, lui permet de déployer un style qui lui est très personnel mais qui parait, à la retransmission, parfaitement maitrisé. De ce point de vue Camilla Nylund apparait beaucoup plus souvent sur le fil dans le dialogue entre les deux.
Cette première partie montre en tous cas un chant intense assez bouleversant,
avec cet accent sur les syllabes dans ce texte qui est une musique des mots au
delà de celle des notes, qui est la marque des grands Tristan. Le timbre barytonnant de Kaufmann donne une épaisseur à un Tristan qui sait adoucir son propos tout en martelant ses phrases. Cette partie qui musicalement s'apparente à l'arrivée de Siegmund ou surtout à la partie "Notung" de la Walkyrie, lui permet de déployer un style qui lui est très personnel mais qui parait, à la retransmission, parfaitement maitrisé. De ce point de vue Camilla Nylund apparait beaucoup plus souvent sur le fil dans le dialogue entre les deux.
Puis
l'orchestre aborde le thème principal de l'opéra, tout en douceur, ralentissant
nettement, et commence un duo de rêve « Nacht der Liebe Liebesnacht »
où les deux chanteurs se rejoignent parfaitement. Nous sommes alors dans le
style "Lied" de Wagner (à l'instar du Winterstürme de la Walkyrie),
rupture totale de style (quel opéra magnifique) qui convient alors tout autant
à Nylund qu'à Kaufmann. C'est un moment où les deux héros se noient
littéralement dans l'extase d'une mort acceptée (qui ne nécessite à mon sens,
pas du tout d'exprimer une peur ou une angoisse voire une fébrilité ...). Il
faut au contraire laisser le spectateur plonger dans cette "drogue"
qui noient leurs esprits et leurs sentiments...A l'écoute c'est franchement
sublime...avec cette forme d’envoûtement progressif que produit cette musique. Cette
acceptation de la mort comme seule issue est clairement exprimée dans l’un des
plus beaux passages :
So
stürben wir/um ungetrennt/ewig einig /ohne End'/ ohn' Erwachen/ ohn' Erbangen,/
namenlos /in Lieb' umfangen /ganz uns selbst gegeben/der Liebe nur zu leben !
Ainsi
nous mourrions/pour n'être plus séparés /éternellement unis /sans fin /sans
réveils /sans crainte /oubliant nos noms /embrassés dans l'amour /donnés
entièrement l'un à l'autre /pour ne plus vivre que l'amour !
Les
deux timbres (particulièrement magnifiques dans ce passage) s'accordent très
bien d'ailleurs. Rappelons que Nylund et Kaufmann ont déjà chanté ensemble
plusieurs fois et notamment un des plus beaux Fidelio de Jonas Kaufmann, celui
de Zurich en 2004 qui a donné un DVD (génial aussi pour la direction
d'Harnoncourt).
Nelsons
reprend un rythme plus soutenu pour le final, offrant des contrastes
magnifiques et confirmant d'ailleurs, qu'il est un bon chef wagnérien, en effet
respectueux des chanteurs (ce qui est une condition sine qua non pour prétendre
à ce titre...) et capable de passer de l'orchestre jouant seul les leitmotiv à
l'orchestre accompagnant les longues tirades des chanteurs.
Les
interventions de Melot et Kürwenal (rette dich Tristan ) cassent
brutalement le doux rêve d’extase pendant lequel Kaufmann sait donner des
couleurs en permanence, rendant à la poésie tout son rythme et évitant l’ennui
qui parfois peut saisir le spectateur durant ce duo magique.
Puis
la voix magnifique et remplie de noblesse du roi Marke entame son long et
superbe « Tatest du's wirklich, Wähnts du das ? ». Georg
Zepenfeld, basse wagnérienne rompue à tous les rôles de heinrich dans Lohengrin
à Daland dans le Hollandais, en passant par Hunding ou Gurnemantz, est un
excellent Marke et sa longe tirade parfaitement maitrisée rend toute son
humanité au roi quand il chante sa peine de la trahison de Tristan le trompant.
La
réponse de Tristan au roi « O König, das kann ich dir nicht sagen »
reste empreinte de l’infinie douceur-résignation d’un Tristan qui est encore
hors de ce monde avant les dernières notes, et son changement de ton pour une
partie à nouveau héroique qui conclut brutalement l’acte (et où Tristan se
jette littéralement sur l’épée de Melot...).
Globalement les trois « petits rôles » ont de très grandes qualités. Melot, le faux ami de Tristan qui a causé leur perte, est brillamment interprété par le ténor Andrew Rees, qui a déjà quelques Melot (entiers !) à son actif, à Rome, à Amsterdam et l’était également au Téâtre des Champs Elysées en mai 2016, je l’avais alors remarqué.
Globalement les trois « petits rôles » ont de très grandes qualités. Melot, le faux ami de Tristan qui a causé leur perte, est brillamment interprété par le ténor Andrew Rees, qui a déjà quelques Melot (entiers !) à son actif, à Rome, à Amsterdam et l’était également au Téâtre des Champs Elysées en mai 2016, je l’avais alors remarqué.
La
Brängane de Mihoko Fujumura (également coutumière du rôle) domine également le
plateau, la voix est plus large et plus profonde que celle de Nylund mais un
léger vibrato assez persistant pendant ses interventions gâche un peu la beauté
du timbre.
Beau
Kurwenal du baryton David Kravitz également.
Concernant
le très bel orchestre de Boston et la direction d’Andris Nelsons, je dirai
d’abord qu’il donne du très beau Wagner, en dialogue permanent avec ses
chanteurs, sans négligier ses propres « parties », plutôt soutenues.
J’ai quelques hésitations à la réécoute
du fait de tempi parfois un peu lents et manquant sans doute de la folie propre
à Wagner que d’autres chefs savent mieux proposer (je pense à Petrenko qui sait
mettre son orchestre au bord du gouffre tout en dominant parfaitement ces
dérapages contrôlés) mais l’interprétation de Nelsons reste d’un haut niveau.
Globalement
le plateau est splendide sur l’ensemble de l’acte et la retransmission, bienq
ue réalisée en direct par la radio de Boston, est d’une qualité telle qu’elle
peut être gardée pour être réécoutée sans problème. Aucun bruit parasite ne
vient la troubler d’ailleurs.
Pour Jonas Kaufmann, pour un coup d’essai ce fut un
coup de maitre. Moi qui aime tout particulièrement Kaufmann dans Wagner, je
suis ravie de cette évolution et de ce qu’elle annonce. Sans doute ne faut-il
pas attendre le rôle complet, dans n'importe quelles conditions, n’importe
quelle salle, ou n'importe quel chef, notamment ceux qui considèrent qu'un Heldentenor a forcément le coffre d'Andreas Schager (car même Stephen Gould, le
meilleur Tristan actuel, peut aller se rhabiller à côté du ténor autrichien ),
mais à Bayreuth par exemple, la salle conçue par Wagner pour permettre aux
chanteurs d'exprimer sa musique en respectant toutes les nuances, sans être
obligés de gueuler tous les airs ou dans un théâtre à l'italienne comme Londres
ou Munich, je ne vois pas ce qui l'en empêcherait.
Quant
à sa partenaire, en général (pourquoi pas Camilla Nylund ?) les chanteurs de qualité savent s'adapter à leurs
volumes respectifs et c'est ce qu'on voit assez régulièrement sur scène... Nina
Stemme a chanté plusieurs fois avec lui (Fidelio encore, la Walküre et la
Fanciulla del west) et avait, une fois, expliqué cela très sincèrement. Elle
pourrait évidemment être Isolde dans la future prise de rôle de Kaufmann. J'en
rêve...
Comme je l'ai écrit plus haut, dans tous les cas,
c'est d'une grande sagesse que d'avoir décidé de ne se lancer dans le rôle
entier, qu'après une parfaite maitrise de l'acte 2. Cela permet de mieux
s'économiser pour l'acte 3... Et rares sont les Tristan actuels qui ne sont
jamais en difficulté devant cette partition terrifiante....
Petite
revue de presse (surtout sur le concert de Carnegie Hall à New York le 12
avril).
Jonas
Kaufmann reminds us of his colorful nuanced wagner singing in triumphant debut,
article qui se termine par : “Act three is yet to come, hopefully soon with
Kaufmann in the lead role.”
Classical
source : “Kaufmann, on the other hand,
has the power, heft and vocal depth of a true Heldentenor. He was able to sing
above the orchestra with unfailing strength the like of which we have not heard
for some time. Both his voice and his manner of expression have matured since
his debut at the Metropolitan Opera in 2011 as Siegmund in Die Walküre. As
Tristan he was rather temperate in expression, but nevertheless heroic and dramatically
sound.”
Financial
Times “Tenor and orchestra excelled in a concert performance of Wagner”:
https://www.ft.com/content/8aed39ec-3f01-11e8-bcc8-cebcb81f1f90
New York Times : Jonas
Kaufmann Takes a Big Step Toward ‘Tristan’
Parterre : This
tantalizing dip into Tristan was more than promising and encouraged my fervent
hopes for a future complete Tristan provided a worthy Isolde can be found—I’m
not sure it would be Nylund. If not, then whom?
http://parterre.com/2018/04/13/they-live-by-night/
https://www.forumopera.com/tristan-und-isolde-acte-ii-new-york-premiers-pas-de-jonas-kaufmann-en-tristan
https://infernemland.blog/2018/04/10/tristan-und-isolde-acte-2-kaufmann-nylund-zeppenfeld-fujimura-bso-nelsons/
https://infernemland.blog/2018/04/10/tristan-und-isolde-acte-2-kaufmann-nylund-zeppenfeld-fujimura-bso-nelsons/
Interview
de Boston
L'interview
de 30mn donnée à Ron Della Chiesa de la radio de Boston
Extraits
de Tristan et Isolde
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