Parsifal - Wagner - Opéra de Paris Bastille - 13 mai 2018
Parsifal
Musique et livret de
Richard Wagner
Création à Bayreuth
en 1882, première en France à l’Opéra de Paris en 1914.
Séance du 13 mai 2018,
opéra de Paris Bastille.
Direction musicale:
Philippe Jordan
Mise en scène: Richard
Jones
Amfortas: Peter Mattei
Titurel: Reinhard Hagen
Gurnemanz: Günther Groissböck
Klingsor: Evgeny Nikitin
Kundry: Anja Kampe
Parsifal: Andreas Schager
Zwei Gralsritter: Gianluca Zampieri , Luke
Stoker
Vier Knappen: Alisa Jordheim, Megan Marino,
Michael Smallwood, Franz Gürtelschmied
Klingsors Zaubermädchen: Anna Siminska, Katharina
Melnikova, Samantha Gossard, Tamara Banjesevic, Marie‑Luise Dressen, Anna Palimina Eine Altstimme aus der Höhe: Daniela Entcheva
Décors & lumières : ULTZ
Durée 3h55 (1h40 puis
1h05 et 1h10 pour chacun des trois actes)
Parsifal est un « festival scénique sacré » (en allemand :
Bühnenweihfestspiel) selon l’appellation
voulue par Wagner. Il s’inspire de l’épopée médiévale « Parzival » (1210) de Wolfram von
Eschenbach.
Dernier opéra de Wagner, Parsifal est une sorte de chef d’œuvre musical
qui forme un tout : le talent de Wagner y est poussé au paroxysme tant les
notes et les mots se marient en permanence, les choix de consonnes à forte
résonnance qui donnent le rythme à la phrase comme celui des cuivres ponctuant
les motifs des cordes. Une sorte de perfection fascinante qui fait qu’on ne s’ennuie
pas une minute dès lors qu’on est entré dans l’univers magique et onirique de
Wagner.
Pour réussir un bon
Parsifal il faut beaucoup d’ingrédients dont le moindre n’est pas de disposer d’un
quintette de chanteurs-acteurs qui savent mêler endurance vocale et
expressivité du chant, pour faire vivre leurs personnages dans de très longs
récits épiques indispensables à la compréhension de l’opéra. Il faut savoir
manier la musique des mots, faire sonner les « t » et les « d »,
les « klagen » et les « schlagen », les « sss »
et « tsss » dont la langue allemande regorge et dont Wagner sait si
bien se servir dans la poésie qu’il nous propose ici. Il faut savoir tenir les
longues notes des récits et les brutales incursions héroïques qui ponctuent en « moments
forts » la prosodie wagnérienne.
Il faut comprendre ce que
l’on chante pour faire vivre le personnage.
Et de ce point de vue l’ONP
nous sert un plateau idéal au moins pour les quatre rôles principaux . C’est la
meilleure distribution globale depuis la première du Don Carlos en début de
saison et c’est assez rare pour être souligné et s’en réjouir.
Je connaissais déjà les
exceptionnels Amfortas de Peter Mattéi et Parsifal d'Andreas Schager. Je les ai
trouvés encore meilleurs, en parfaite interaction avec leurs partenaires, avec
une présence scénique charismatique très forte, très à propos dans cet opéra,
chant superbe, sens parfait des nuances, quel talent et quelle technique !
Peter Mattéi, juste
gagnant à l’applaudimètre, est un Amfortas vraiment parfait, non seulement par
sa musicalité (et son impeccable prononciation en allemand) mais aussi par son
jeu de souffrance, de résistance, de regrets, de culpabilisation, de
renonciation… tous les aspects du personnage du roi déchu parce que blessé d’une
blessure qui ne guérit pas, sont « joués » par un Mattéi qui se
surpasse à chaque rôle et reste décidément, une référence absolue de perfection
pour moi à l’opéra (j’ai eu la chance de le voir à Bastille en Don Giovanni, en
Eugène Onéguine, dans De la Maison des morts, avant cet Amfortas de rêve).
Andreas Schager possède
bien son personnage et est admirablement bien dirigé par Richard Jones. La voix
est saine, magnifique, envahit sans peine tout le hall de gare qu’est Bastille,
mais sait aussi se faire petite, suppliante, lyrique ou amoureuse. Certains l’ont
trouvé un peu monolithique, je vais en dire deux mots. L'ayant déjà vu en
Parsifal dans la mise en scène de Tcherniakov il y a deux ou trois ans, alors
qu'il était encore peu connu, j'ai été plutôt favorablement surprise par
l'évolution de son jeu et de son chant même si le Parsifal de Schager n'est pas
celui de Gould, de Ventris, de Vogt ou de Kaufmann, pour citer ceux vus ces
dernières années. Comme toujours avec Schager il y a un côté "brut de
décoffrage", mais il a travaillé les longues notes wagnériennes, s'est davantage
discipliné dans ses longues diatribes et finalement, m'a paru moins à l'aise
dans le brutal "Amfortas die Wunde" que dans ses monologues. C'est un
Parsifal dont on se souvient et qui marque le rôle. Je préfère en général
Wagner plus nuancé (Mattéi et Groissböck étaient les maître dans ce style hier
soir) mais finalement, le contraste avec le style de Schager m'a paru
électrisant et logique, dans cette mise en scène.
Anja Kampe que je
découvrais dans ce rôle de Kundry m'a éblouie par la subtilité de son
incarnation, la beauté de son chant, sa faculté à ne reculer devant aucune
difficulté. J’avais déjà beaucoup apprécié sa Lady Macbeth de Mzensk à Munich
(une prestation fantastique), premier rôle où je l’ai trouvée vraiment libérée
et mature. Elle a manifestement apprécié les choix de Jones d’en faire un
personnage central qui, par ses métamorphoses, marque les étapes d’évolution de
la rédemption du royaume du Graal.
Quant à Gunther Groissböck
que je découvrais aussi dans ce rôle (mais que j’ai déjà souvent entendu y
compris à Bastille où il était Pogner dans Meistersinger il y a deux ans), il
est le meilleur Gurnemanz entendu ces dernières années de tous les points de
vue. La palme lui revient incontestablement avec le magnifique Amfortas de
Mattéi ils forment une paire de rêve qui rend presque trop court l’acte 1,
essentiellement servi par leurs deux personnages. Assez fantastique d’entendre
le long récit de Gurnemanz aussi bien raconté et exprimé….
Mes réserves iront
exclusivement au Klingsor de Evgueni Nikitin qui, sans démériter pour autant,
m'a paru un peu en dessous, notamment dans l'interprétation qui gagnerait à
montrer un personnage plus satanique.
Notons aussi la qualité
des deux « Gralsritter » (chevaliers du Graal), le ténor Gianluca
Zampieri et la basse Luke Stoker. Le
premier chante d’ailleurs toute sorte de rôles d’Andrea Chénier à Cavaradossi
en passant par Siegfried…
Les quatre « Knappen”
(écuyers) étaient également au (bon) niveau.
On sent que tout le monde
a eu le temps de répéter et de se préparer à son rôle. C'est assez rare d'avoir
une telle harmonie entre chanteurs, qui sont tous de très grands wagnériens,
ayant le sens de la "musique des mots" très spécifique à Wagner et au
chant allemand et surtout de ce qu'ils chantent.
La direction de Philippe Jordan
est elle aussi au top tout comme d’ailleurs l’orchestre qui nous donne un son splendide
et pur (ah la transparence des cordes dans Parsifal…). Wagner réussit bien
mieux au directeur musical de l’ONP que Verdi et il sait faire sonner
l'orchestre magnifiquement en dialogue avec le chant (à part quelques tempi
ralentis un peu surprenants par moment). Les chœurs sont également de très
haute tenue, belle prononciation, sens des paroles respectée.
La mise en scène à la
"Jones" avec pas mal de « clefs » qui permettent d’animer
les discussions d’interprétation et qui a l'avantage de donner une très belle
direction d'acteurs et d'être parfaitement adéquate au livret au sens où ce qu’on
entend correspond à ce qu’on voit.
Acte 1 : situation du royaume du Graal et récit, arrivée de Parsifal qui trouble l’ordre ou plutôt le désordre engendré par la blessure d’Amfortas et la perte de la lance sacrée qui pourrait seule le guérir à condition qu’elle soit maniée par un innocent.
Acte 2 : royaume du maléfice tenu par Klingsor qui possède la lance, tentations de Parsifal venu la récupérer (fille fleurs puis Kundry) auxquelles il résistera pour s’emparer sans effort de la lance,
Acte 3 : royaume ravagé où Amfortas a renoncé à célébrer le Saint Graal, Parsifal qui revient enfin après avoir en vain longtemps cherché le chemin et qui guérit Amfortas et rétablit l’ordre.
Acte 1 : situation du royaume du Graal et récit, arrivée de Parsifal qui trouble l’ordre ou plutôt le désordre engendré par la blessure d’Amfortas et la perte de la lance sacrée qui pourrait seule le guérir à condition qu’elle soit maniée par un innocent.
Acte 2 : royaume du maléfice tenu par Klingsor qui possède la lance, tentations de Parsifal venu la récupérer (fille fleurs puis Kundry) auxquelles il résistera pour s’emparer sans effort de la lance,
Acte 3 : royaume ravagé où Amfortas a renoncé à célébrer le Saint Graal, Parsifal qui revient enfin après avoir en vain longtemps cherché le chemin et qui guérit Amfortas et rétablit l’ordre.
Comme pour son Lohengrin
à Munich en 2011, Jones imagine une secte moderne (enfin d'une modernité
relative, style années 60, pays de l'est ou quelque chose comme ça ou
révolution culturelle chinoise pour le "petit livre bleu") pour
figurer le royaume du roi Titurel et des chevaliers du Graal.
Leur "bible"
est le "petit livre bleu" avec le mot "Wort" écrit en blanc
(le "mot" en allemand) mais aussi dans d’autres langues (Word,
Parola). Le royaume est totalitaire mais à portée universelle. Leur fondateur
est omniprésent (Big brother is watching you) : dans la première
"pièce" (une cour avec bassin d'eau : un buste du fondateur Titurel,
puis dans les pièces suivantes : un immense portrait peint et une fresque
murale représentant le même Titurel dans lisant le Livre bleu à ses disciples
dans une scène rappelant la "cène" de Jésus avec ses 12 apôtres. On
devine qu’il est l’auteur unique de la pensée unique contenue dans l’ouvrage.
L'une des pièces
représentées à l'acte 1 et à l'acte 3, est une salle commune de la secte, avec
une bibliothèque remplie de cet unique ouvrage à l'acte 1 (et des sacs à dos des
chevaliers errants), puis presque entièrement vide au début de l'acte 3 avant
le retour de Parsifal, qui reviendra en aveugle apporter la lumière dans une
communauté ravagée qui a tout perdu. Les différentes « salles »
représentées sont alignées les unes à côté des autres (typique Jones, il a
utilisé exactement le même procédé dans Lady Macbeth de Mzensk) et glissent
selon les scènes : deux ou trois sont visibles en même temps. Py adore les carrousels pour produire le même effet, Stolzt les cubes entassés, Jones ce sont
les pièces. Visuellement c’est assez efficace et permet d’éviter les
changements de décor avec baisser de rideau au milieu d’un acte tout en
présentant la diversité des lieux dans la forteresse de Montsalvat.
Les décors sont par
ailleurs assez dépouillés, quelques accessoires revenant comme un leitmotiv :
un banc, une longue table, les chevaliers avec des chasubles marquées du
chiffre de la secte (1958 en chiffres romains, concours ouvert pour trouver
le sens), certains habillés en bleu, d'autres en blanc, symbole de
leurs fonctions, le Graal en énorme calice cuivré. Titurel agonisant est devenu
un nain rabougri, vieillard dans un corps d’enfant, incapable de marcher, la
plupart du temps couché dans sa chambre avec un chevalier veillant à son chevet
et lui lisant le "petit livre bleu". Son fils Amfortas, celui par qui
le malheur a pénétré le royaume, blessé sans guérison possible et saigne
abondamment, son lit est ensanglanté, les
armoires de sa chambre sont remplies de serviettes blanches à l'acte 1, puis vides
et sales et à l'acte 3. L’une des pièces comporte un grand bassin qui servira à
l’acte 3 pour la cérémonie du baptême. Jones a également ménagé un escalier
dans son décor et une grande pièce avec gradins pour les cérémonies.
L'acte 2 est à part
puisqu'il se situe au royaume de Klingsor. Là, Jones choisit de représenter
trois "décors" successifs : des plantes sous un incubateur pendant la
première partie, les filles fleurs en "mais" géant très grossièrement
sexuées pendant la deuxième partie, un plateau nu et sombre, mis à part le banc
seul lien entre les trois actes, et où seuls les personnages sont éclairés
(magnifique jeu de lumières). De leurs "métamorphoses"
vestimentaires, on ne voit que le résultat, leurs vêtements semblant s'envoler
dans la nuit. Esthétiquement c'est très réussi.
Il me semble que Jones a
voulu en quelque sorte centrer l'opéra sur le seul personnage féminin, Kundry,
dont les transformations permanentes marquent les étapes de cette rédemption
générale qu'est "Parsifal". Son interprète, Anja Kampe, m'a paru
idéale de tous les points de vue pour incarner ce personnage qui a été traité
de la manière la plus originale par rapport à tous les Parsifal déjà vus.
Cette production de l’opéra
de Paris aurait pu s’appeler « désirée » tant elle a été attendue du
fait des graves incidents techniques touchant à la sécurité du plateau qui ont
conduit à annuler plusieurs représentations, faisant de celle du 13 mai, la
Première. Il ne faut pas la rater, la qualité est vraiment au rendez-vous.
En attendant pour moi, la
production d’Audi, dirigée par Petrenko, que Munich nous propose pour l’ouverture
de son festival d’été (avec Jonas Kaufmann en Parsifal, Nina Stemme en Kundry, Christian Gerhaher en Amfortas, René Pape en Gurnemanz).
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