En attendant Parsifal (Wagner) - Opéra de Munich, Première le 28 juin.

En attendant Parsifal


Le monumental projet de l’opéra de Munich se dévoile peu à peu et le moins qu’on puisse dire est qu’il ne laissera sans doute personne indifférent.
Parsifal est déjà en soi un opéra cathédrale, le testament de Richard Wagner, créé dans le temple de Bayreuth, revendiquant une nouvelle spiritualité au-delà des religions existantes : références mystiques à la nature célébrée comme le nouveau lieu où se conjuguent art et communauté. Toutes les interprétations sont alors possibles mais il ne s’agit jamais de la célébration d’une religion particulière même si les références à la Bible sont au coeur du récit. Et dans la pensée de Wagner, l’idéal de rédemption de Parsifal s’oppose à la trivialité du monde industriel alors florissant pour promouvoir d’autres valeurs de retour au spirituel. L'oeuvre monumentale de Wagner sera souvent le point d'appui de sectes réactionnaires, prônant un ésotérisme où règnent les notions d'élu suprême et de péché originel à effacer.

Mais ce qui fascine dans Parsifal, c'est d'abord et avant tout cette osmose étrange entre musique et paroles qui durant cinq heures, vous saisissent pour vous conduire dans un monde enchanté avec ses règles propres et ses longs récits épiques et fondateurs.
Le directeur de l'opéra de Munich, Nikolaus Bachler, a mis les petits plats dans les grands pour réussir cette nouvelle production : ce sera le premier Parsifal de son directeur musical, le génial chef Russe Kiril Petrenko, qui n'a pas aujourd'hui son pareil, pour diriger Wagner avec cette précision horlogère qui confine pourtant au génie. Il partira dans un peu plus d'un an diriger le prestigieux Berliner Philharmoniker qui l'a élu pour succéder à Simon Rattle (lui même succédant à Abbado et à Karajan). Il dirigera également encore un Ring complet fin juillet à Munich.
Pour ce Parsifal, Bachler a également fait appel au grand plasticien, peintre et sculpteur, Georg Baselitz, qui a conçu le décor de ce Parsifal en intégrant les chanteurs à sa monumentale oeuvre.

Leurs costumes et leur allure, d'après les premières photos, sont partie prenantes de cette succession de tableaux que nous propose Bazelitz qui a son interprétation de Parsifal. Je trouve l'entreprise passionnante.
Il avoue dans un entretien ne pas avoir beaucoup aimé Wagner pendant longtemps. Ce n'est qu'en le représentant en femme qu'il a commencé à pouvoir aborder sa musique et à pénétrer dans son monde. Il est trop tôt pour dire quelle a été sa vision de Parsifal, mais on sait déjà qu'il représente un monde vieux, à bout de souffle, la communauté des chevaliers du Graal se meurt à l'image de son roi Amfortas atteint d'une blessure incurable qui saigne sans cesse. Le jeune Parsifal y pénètre pour finalement sauver le Graal, mais la route initiatique sera longue et semée d'embûches. Un seul personnage féminin, Kundry, manifestement traitée sous diverses formes, correspondantes à ce que Wagner lui-même en fait : une prostituée (Marie Madeleine), la femme par qui le malheur est arrivé (Eve), la femme responsable du désir de l'homme et qui l'entraine dans la faute, la femme qui devra séduire Parsifal pour le perdre au royaume de Klingsor (le maléfique qui s'est castré pour résister aux faiblesses de l'homme), celle qui participera à la rédemption finale.
Baselitz sera donc dominant par le choix des décors auquel le metteur en scène (Pierre Audi) se contentera de se plier pour une mise en scène minimale.
Mais, outre l'originalité du processus mettant en oeuvre des artistes géniaux, l'opéra de Munich a soigné sa distribution.



Jonas Kaufmann en Parsifal, reprend un rôle qu'il a chanté pour la première fois en 2006 à Zurich, puis repris dans la célèbre production de Girard au MET en 2013, puis à Vienne la même année, et enfin, en version concert à Sydney durant l'été 2017 (voir son interview ci-dessous).
René Pape est également un habitué du rôle de Gurnemanz, le chef des chevaliers du Graal, qu'il d'ailleurs chanté au MET avec et sans Kaufmann.
Par contre Christian Gerhaher fait ses débuts en Amfortas, le roi blessé, un rôle superbe, marqué par les performances actuelles de Peter Mattéi.
Nina Stemme a, elle, déjà chanté Kundry, à Vienne notamment, et d'une manière générale, elle est l'une des meilleures wagnériennes de l'heure, exceptionnelle Brünnhilde, rôle qu'elle reprendra d'ailleurs dans Ring quinze jours plus tard à Munich.
Enfin, Wolfgang Koch, également habitué de Munich, sera Klingsor.





Je ne citerai pas tous les rôles où je les ai entendus les uns et les autres dans Wagner, mais je peux assurer que ce sont tous d'authentiques chanteurs wagnériens, car le style a ses exigences : le phrasé d'abord qui peut passer du Lied à l'héroïsme dans la même phrase et doit respecter une diction parfaite notamment la prononciation des "t", des "d", les longues notes filées, les nuances avec de brusques changements de style, le souffle et l'endurance demandés sur nombre de ces récits interminables.
Pour faire patienter jusqu'à jeudi soir, date de la Première, retransmise sur BR Klassik, quelques photos et la traduction d'une interview données par Jonas Kaufmann à propos de ce Parsifal, traduite par mon amie Anne Guernut (et publiée avec son aimable autorisation)





Interview de Jonas Kaufmann :
Dans une interview publiée hier dans le "Mannheimer Morgen", et dont on peut trouver le texte intégral sur le site jkaufmann.info, Jonas confirme qu'il connaît bien et depuis très longtemps Georg Baselitz  l'artiste mais aussi l'homme. Je me souviens qu'à l'époque des "Casanova variations" il avait confié que c'était Baselitz qui lui avait conseillé de lire les mémoires de Casanova. Il raconte qu'ils ont ri ensemble quand il a dit à Baselitz qu'il ne devait pas s'imaginer qu'il allait chanter la tête en bas (les personnages représentés la tête en bas sont la marque de fabrique de Baselitz). Il ajoute que c'est formidable d'avoir la participation d'un aussi grand artiste, qui va imprimer sa marque à l'ensemble.

Jonas Kaufmann s'exprime aussi avec enthousiasme sur la collaboration avec  Kiril Petrenko. Certes c'est un défi, dit-il, mais dans un sens très positif. Il connaît peu de chefs qui soient aussi précis, qui sachent aussi exactement ce qu'ils veulent et qui répètent jusqu'à ce qu'ils l'obtiennent, qui aillent toujours plus dans le détail, mais qui pourtant au moment de la représentation se laissent aller au plaisir de jouer. Il connaît des chefs qui sont assez vite satisfaits et vous abandonnent à vous-même, et c'est alors difficile de se dépasser. D'autres sont très perfectionnistes pendant les répétitions mais aussi pendant la représentation et ne pardonnent aucune erreur. Ce qui est dommage car une représentation devrait donner à tous de la joie, d'où naît une énergie supplémentaire qui peut faire jaillir l'étincelle. En bref : Petrenko est un chef merveilleux.

Sur Audi : Quand on a un décorateur comme Baselitz, on n'engage pas un metteur en scène qui a des idées arrêtées, folles, compliquées qu'il va vouloir imposer, mais quelqu'un qui prend en compte l'oeuvre de l'artiste et va demander à tout changer. Dans cette mesure la collaboration se fait sûrement dans la conciliation

Sur la distribution "de rêve" : l'interaction joue un grand rôle, on s'inspire mutuellement, on est stimulé. Ce n'est pas une compétition sur le mode "je peux faire mieux, plus longtemps, plus fort", simplement une stimulation par ce qui vous entoure et alors on donne spontanément et volontiers encore plus

Par ailleurs, Jonas Kaufmann revient sur la difficulté du rôle de Parsifal, rôle assez court mais avec de longues plages où on est présent sur scène sans chanter. Et quand on est accro à cette musique, on a tendance à se laisser emporter par elle, mais il ne faut pas oublier qu'on est acteur sur cette scène et qu'on doit tenir sa voix prête à fonctionner.

Une question plus inattendue : le journaliste lui demande si, lui qui s'intéresse à l'archéologie, il aimerait aussi exhumer des oeuvres musicales. Jonas rappelle les journées fascinantes qu'il a passées dans 2 grands centres d'archives musicales à Naples, où on découvre des opéras complètement inconnus. Mais il y a encore quelques classiques qu'il n'a pas encore faits qui l'attendent. Plus tard peut-être...


A propos de Baselitz
http://www.telerama.fr/sortir/georg-baselitz-un-talent-brut-une-oeuvre-colossale,156380.php

Making off de Parsifal



Parsifal

Direction musicale : Kiril Petrenko
Mise en scène : Pierre Audi
Décor : Georg Baselitz

Avec
Amfortas : Christian Gerhaher
Titurel : Bálint Szabó
Gurnemanz : René Pape
Parsifal : Jonas Kaufmann
Klingsor : Wolfgang Koch
Kundry : Nina Stemme

Bayerischen Staatsoper
Bayerisches Staatsorchester
Chor der Bayerischen Staatsoper

28 juin, 1er, 5, 8 et 31 juillet 2018.

Extraits du Parsifal de 2013 au MET






Retransmission radio de la Première du 28 juin, 16h

Retransmission livestream et cinéma de la séance du 8 juillet

https://www.staatsoper.de/tv.html?no_cache=1#c9609 
Hélèn aussi !merci !



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