Chroniques munichoises, festival de l’été 2018 : L’elisir d’amore, Arabella, Parsifal
Chroniques munichoises, festival de l’été 2018 : L’elisir d’amore, Arabella, Parsifal
L'Elisir d'amore
de Gaetano Donizetti
Livret en italien de Felice Romani d'après le livret
d'Eugène Scribe, écrit pour l'opéra "Le Philtre" de Daniel François
Esprit Aubert
Festival d'été de Munich, vendredi 6 juillet
Direction musicale
: Giacomo Sagripanti
Mise en scène :
David Bösch
Décors : Patrick
Bannwart
Adina : Olga
Kulchynska
Nemorino : Vittorio
Grigòlo
Belcore : Andrei
Bondarenko
Dulcamara :
Ambrogio Maestri
Giannetta : Paula
Iancic
Cette mise en scène de David Bösch a été créée à Munich en 2009. C'était les débuts d'un jeune metteur en scène qui a eu depuis quelques réussites à son actif (et quelques échecs aussi...). J'ai vu ses mises en scène d'Orfeo de Monteverdi à Munich au Prinzregententheater de Munich (et découvert Christian Gerhaher sur scène), puis celle des Meistersinger sous la direction de Kiril Petrenko (qui sera reprise pour enregistrement et diffusion en livestream lors du festival de 2019), et enfin au cinéma, celle du Trovatore à Londres.
Dans cette nième reprise de l'Elisir d'amore, Pretty
Yende aurait du être Adina mais elle a annulé il y a quelques jours "pour
raisons familiales" et c'est Olga Kulchynska qui reprend le rôle. Cette
dernière a chanté Adina à Zurich récemment. Mais elle a surtout été une Suzanna
remarquable dans les Noces à Munich l'an dernier (voir le fil), puis une Rosina
que j'ai beaucoup appréciée également dans la reprise du Barbier à Paris en
janvier dernier.
Evidemment, pour moi, l'attrait principal de cette
distribution est Vittorio Grigolo, le meilleur Nemorino actuel à mes yeux (et à
mes oreilles) et franchement ça me fait plaisir de le voir encore une fois dans
ce rôle...après son trop court rôle dans Gianni Schicchi récemment à Paris.
La salle était entièrement remplie et le public très
"habillé" pour cette soirée très cosmopolite des international
friends du BSO qui s'est terminée par un sentiment de bonheur et de légèreté
conforme à l'air du soir annonçant le retour du beau temps après deux jours
orageux à Munich.
Le contraste avec le Parsifal de la veille est évidemment
total.
Mais c'est ça l'opéra.
Et la richesse d'un festival capable d'aligner deux
distributions internationales de luxe dans deux opéras totalement différents,
avec autant de réussite.
Certes Pretty Yende initialement prévue en Adina, avait
déclaré forfait quelques jours avant la séance mais son remplacement par Olga
Kulchynska, chouchou de Munich depuis sa brillante performance en Suzanna dans
les Noces l'automne dernier, était lui aussi un luxe apprécié.
La mise en scène (voir plus haut) a quelques années de
réussite à son actif en ces lieux : il ne faut pas chercher de grandes
explications derrière cette transposition assez déjantée, où Belcore est un
militaire au front bas, entouré de sbires du même acabit, et où le Doktore
arrive depuis l'espace dans un drôle d'engin (voir la photo ci dessus) avec
lequel les amoureux repartiront.
Ca fonctionne parce que c'est vif, enjoué, sans temps
mort à l'instar de l'opéra de Donizetti lui même.
Inutile de préciser que la qualité munichoise (et
l'ambiance du théâtre), font que c'est très bien joué par l'ensemble des
interprètes, choeurs compris, et que tout semble lissé et répété depuis des mois
malgré une reprise unique avec deux protagonistes principaux ne connaissant pas
la mise en scène auparavant. Mais avec Vittorio Grigolo en chef de file, tout ne peut aller que crescendo dans une course folle particulièrement jouissive..
Il faut dire que le bel Italien ne cesse de se bonifier
sur scène : il épouse tellement bien ce rôle de ragazzo qu'on a l'impression
que c'est une seconde peau totalement naturelle, intrinsèque à sa forte
personnalité, et finalement on a du mal à imaginer Nemorino autrement.
J'en suis à mon quatrième Grigolo-Nemorino (cinquième
prochainement à Paris) et je trouve qu'il réussit à chaque fois à apporter un
"plus" à son chant, sans doute parce qu'il maitrise si bien le rôle
qu'il peut se permettre d'apporter de plus en plus de nuances impressionnantes
de maitrise et des aigus à pleine voix d'une beauté sidérante. Un
"Lacrima" bouleversant comme il sait les faire... (salle en délire). L'Adina d'Olga Kulchynska lui donne la réplique avec
un talent insolent de comédienne et de chanteuse. Elle a, elle aussi, une voix
large et un timbre capiteux et riche en harmoniques ce qui nous donne un couple
exceptionnellement brillant et lyrique, comme finalement j'en ai peu entendu
ces dernières années dans ces rôles.
Voix souples, capables de belles vocalises, beau legato,
mais aussi aigus forte très bien projetés et longuement tenus, leur chant,
ensemble ou séparément, était de très haute tenue.
Et leur crédibilité de beaux jeunes premiers de rêve
absolument parfaite. J'avais déjà vu et entendu le Dulcamara d'Ambrogio
Maestri et, égal à lui-même, il est toujours aussi brillant, truculent,
malicieux, magnifique en un mot. Je n'ai pas compris si c'était dans la mise en
scène, mais il m'a paru avoir du mal à se déplacer sur la scène par moment.
Un cran en dessous avec le Belcore d'Andrei Bondarenko ,
souvent en difficulté dans le legato, surtout au début, chant haché et timbre
un peu ingrat mais beau jeu d'acteur en phase parfaite avec les autres.
Giannetta très remarquée de Paula Iancic, excellente
prestation de tous les points de vue, là aussi.
Choeurs et orchestres toujours Top à Munich.Le tout magnifié par un jeune chef décidément très
remarquable, Giacomo Sagripanti, qui a l'opéra italien chevillé à la baguette
et qui nous donne un Donizetti de très belle eau.
Arabella
de Richard Strauss
Livret de Hugo von Hofmannsthal
Séance du 7 juillet 2018.
Direction musicale : Constantin Trinks
Direction musicale : Constantin Trinks
Mise en scène : Andreas Dresen
Décors : Mathias Fischer-Dieskau
Costumes : Sabine Greunig
Le comte Waldner : Kurt Rydl
Adelaide : Doris Soffel
Arabella : Anja Harteros
Zdenka: Hanna-Elisabeth Müller
Mandryka : Thomas J. Mayer
Matteo : Benjamin Bruns
Le comte Elemer : Dean Power
Le comte Dominik : Johannes Kammler
Le comte Lamoral : Torben Jürgens
Fiakermilli : Gloria Rehm
La cartomancienne : Heike Grötzinger
Revoir cet opéra trois ans plus tard au même endroit avec, pour l’essentiel les mêmes interprètes, permet d’en voir les évolutions. J’ai trouvé la mise en scène plus statique, moins convaincante et le grand escalier parfois pesant, occupant trop l’espace sans ménager de respiration suffisante aux chanteurs.
La direction Trinks est plus enjouée et plus légère que
celle de Jordan, trop légère peut-être en rapport avec une mise en scène et des
décors qui suggèrent au contraire l’enfermement de la bourgeoisie viennoise
dans ses lourdes traditions alors que sa propre société se meurt sans qu’elle
s’en aperçoive.
Trop légère aussi en rapport avec l’oeuvre contrastée
certes, mais qui n’a rien à voir avec la crème fouettée d’une pâtisserie
viennoise et comporte même quelques scènes assez rudes.
Anja Harteros reste une Arabella magistrale de justesse,
tant dans la première partie où elle campe une toute jeune fille, en proie aux
désirs de l’amour, le vrai, le seul, alors que sa soeur prisonnière de son rôle
de seconde, est déguisée en garçon face à la belle première, promise forcément
à un riche parti pour sauver la famille.
Mais, une fois n’est pas coutume, j’aurais quand même une
légère réserve sur la prestation d’Anja Harteros lors de cette première partie.
La voix reste trop prudente, confinée sur le plateau sans vraiment se déployer
totalement comme elle le faisait il y a trois ans dans ce rôle (et il y a quelques
mois en Maddalena), comme si la belle soprano préférait une certaine prudence
au regard de ses lourds engagements à venir (ses débuts à Bayreuth en Elsa dans
le nouveau Lohengrin de la Colline).
Et quand elle rencontre la voix toujours aussi séduisante,
claire et bien projetée de la titulaire actuelle du rôle de Zdenka, Hanna-Elisabeth
Müller, toujours éblouissante, leur magnifique duo tourne légèrement à l’avantage
de la plus jeune des deux.
Heureusement, cette légère déception s’estompe dès les débuts
flamboyants du bal en deuxième partie où Anja Harteros, se déploie
littéralement lors de ses diverses aventures amoureuses, lorsqu’elle décide de
profiter pleinement de sa dernière nuit « libre » avant d’épouser
Mandryka.
Et surtout lors d’un final pied-de-nez très drôle où tout
en reprochant à Mandryka ses doutes à son égard (nés des intrigues de la jeune
Zdenka pour se garder l’amour de Mattéo), elle l’accepte comme mari, lui
portant le verre d’eau traditionnellement prévu en symbole de l’union, et en
lui jetant le contenu à la figure.
Anja Harteros joue magnifiquement son personnage, elle ne
minaude jamais tout en faisant apparaitre clairement l’évolution de son rôle,
elle joue facilement sur tous les registres vocaux et scéniques qui
s’offrent à elle, elle est très
convaincante et son charisme domine le plateau.
J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de la Zdenka d’
Hanna-Elisabeth Müller, déjà vue et entendue plusieurs fois. Elle a toutes les
qualités, tant vocales que scéniques pour le rôle.
Benjamin Bruns, ténor lyrique déjà entendu
(avec bonheur) en David dans cette même salle, confirme ses immenses qualités
en Mattéo. Beau timbre de ténor lyrique, aigus flamboyants et bien tenus, art
du chant straussien très bien maitrisé, joli jeu d’acteur, bref, largement
supérieur à son prédécesseur Joseph Kaiser à mon avis.
Le Mandryka de Mayer, par contre, déçoit un peu :
il garde une très belle incarnation du
rôle, très humaine et très crédible, mais la voix n’est (déjà) plus tout à fait
ce qu’elle était il y a trois ou quatre ans, dans ce même rôle à Munich ou en
Wotan dans le Ring de Bayreuth alors dirigé par Kiril Petrenko.
Le comte Waldner de Kurt Rydl et l’Adelaide de Doris Soffel sont bien menés
mais les voix des deux chanteurs accusent aussi pas mal de signes de fatigue,
Soffel étant parfois à la limite de la poissonnière du vieux port.
Les trois comtes, prétendants d’Arabella éconduits, le
comte Elemer de Dean Power, le comte Dominik de Johannes Kammler et le comte
Lamoral de Torben Jürgens, sont tous trois excellents comme le sont
généralement les second rôles tenus par des titulaires de la troupe du BSO.
La Fiakermilli (soprano colorotura) de Gloria Rehm, n’est
pas très convaincante : la voix est petite et les vocalises un peu
forcées, elle a pour elle un beau jeu d’actrice et d’acrobate tout à la fois...Globalement, la soirée était très réussie malgré ces petites réserves. Luxueuse distribution malgré tout et surtout le spectacle très enthousiasmant d'une équipe soudée qui a été globalement très applaudie, Anja Harteros en t^te, forcément.
Parsifal – Richard Wagner -
Compléments sur Parsifal, séance du 8 juillet (après mon compte-rendu de la séance du 5 juillet)
- Impressions générales totalement confirmées par cette
deuxième vision en salle : unité de conception entre tous les
"acteurs" de cet opéra, depuis Baselitz jusqu'aux chanteurs, rarement
vu une telle osmose et une telle compréhension collective de la réalisation
d'une oeuvre. Cette oeuvre fait sens d'un bout à l'autre et si on a, comme l'a
rapporté parfois la presse, un Graal sans graal, et Parsifal sans lance, la
symbolique choisie (le sang, la pierre rougie de sang symbolisant le Graal d'un
roi déchu et blessé et la petite lance terminée par une petite croix, Parsifal
vaincra par sa force intérieure) entre parfaitement dans ce récit presque
méticuleux de l'oeuvre de Wagner.
Certains détails sont plus impressionnants vus depuis le
parterre (où j'étais le 5) tels que la montée des chevaliers depuis le fond de
la scène au final - on ne voit d'abord que leurs têtes, la pente de la scène
étant inversée), que vus depuis les hauteurs (où j'étais hier), d'autres
apparaissent tels que la minuscule flaque d'eau dans laquelle Kundry lave les
pieds (nus) de Parsifal.
- vu d'en haut aussi, la beauté de l'orchestre et des
gestes amples et précis, mais jamais heurtés ou violents, de son chef, est
particulièrement visible. Le placement des instruments n'est pas forcément
"classique", mais très wagnérien, puisque les gros cuivres sont à droite (quand on regarde
la fosse depuis la salle), mais tous les autres cuivres, les vents et les bois sont
à gauche, à l'exact opposé. Timbales près des gros cuivres, cordes au milieu et
face à Petrenko. Je l'ai dit précédemment, Petrenko interprète son Wagner avec
des accents chambristes mêlés à de très importantes montées dramatiques, et
sait valoriser chaque manière différentes dont les leitmotivs apparaissent (de
manière obsessionnelle) dans la très belle partition de Wagner. Tout s'éclaire
sous sa baguette, un Parsifal d'une grande intensité nous est proposé, sans
temps morts, avec des couleurs extraordinaires. Il faut rajouter un chaleureux remerciement aux Choeurs masculins comme féminins, qui nous ont conduit tranquillement au paradis des voix.
- J'avais déjà souligné le choc produit par le temps fort
de l'acte 2, la métamorphose de Parsifal. C'était sans doute encore plus
violent, magnifique, inoubliable hier soir. Ce long silence après le
"Amfortas" de Parsifal, silence que Petrenko rompt avec un signal à Jonas Kaufmann tendu à l'extrême et lançant dans toute sa splendeur vocale ce long
"Die Wuuuuuuuunde", c'est un moment d'opéra comme on aimerait en
vivre plus souvent. Comme Nina Stemme et Jonas Kaufmann nous livrent juste avant
un duo magnifique lui aussi, l'ovation qui a immédiatement suivi la fin de
l'acte correspondant très exactement à ce ressenti collectif d'une salle en
hypnose, qui explose après une émotion trop forte.
Soulignons au passage l'extrême concentration du public,
parfaitement silencieux, comme relié par des centaines de fils à la scène, pour
ne pas perdre une miette de ce spectacle haut et fort en émotions visuelles et
musicales.
- Je n'établirai toujours pas de hiérarchie entre les
chanteurs : ensemble, c'est le plus beau plateau vocal dont on puisse rêver,
parce qu'ils ne chantent pas pour eux, ou pour leur gloire personnelle, mais
pour ce Parsifal dirigé par un maestro qu'ils apprécient tous, Kiril Petrenko
et à qui ils se remettent entièrement du début à la fin de l'oeuvre. Et ils
adoptent le style Petrenko : la nuance est reine, le chant héroïque alterne
avec le chant lyrique, chacun d'entre eux pratique le Lied et connait toutes
les techniques vocales qui font du beau Wagner. Wagner se récite aussi, ces
longs récits doivent exprimer par la voix, ce qu'ils racontent. Ces chanteurs
là savent faire cela à la perfection.
Je ne suis pas prête d'oublier ce Parsifal-là d'un Jonas Kaufmann au sommet de son art en tant que chanteur sachant varier à l'infini la palette de couleurs vocales et en tant qu'acteur évoluant de l'innocent gamin au chevalier responsable de la rédemption du royaume du Graal. Mais je ne suis pas prête non plus d'oublier l'immense humanité d'un René Pape qui entame sans jamais ennuyer, son long récit à l'acte 1, traite avec autant d'affection le jeune Parsifal lors de son initiation et se déploie portant l'émotion à son paroxysme lors du final. La voix de Nina Stemme et ses métamorphoses en tant que Kundry forcent également l'admiration. Wolfgang Koch est un Klingsor absolument parfait et, malgré les controverses le concernant, notamment du fait qu'il force une voix née pour le Lied dans ce rôle d'Amfortas, j'ai aimé aussi Christian Gerhaher pour son engagement et son pouvoir émotionnel fantastique.
- Curiosité émouvante de la soirée : la retransmission
avait lieu en livestream (elle est encore visible mais je ne l'ai pas vue et je
ne sais pas ce que cela pouvait donner...) mais aussi sur la place de l'opéra
sur écran géant ("Oper für alle"). Comme la tradition l'exige, les
chanteurs sortent sur les marches de l'opéra à la fin, ovationnés par la foule
qui n'a pu les voir que depuis cette esplanade. C'est un grand moment lui aussi
inoubliable. A peine sortis de scène, après les ovations de la salle, les
chanteurs sont déjà frais et souriants pour saluer leur public. Sympa et
émouvant.
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