Der Ring des Nibelungen/Götterdämmerung - Opéra de Munich - 27 juillet 2018
Götterdämmerung (le Crépuscule des Dieux)
Der Ring des Nibelungen
Richard Wagner
Festival d'été de l'opéra de Munich - 20-22-24-27 juillet.
Troisième jour du Ring - 27 juillet 2018 - Opéra de Munich.
Reprise de la production de Andreas Kriegenburg
Direction Musicale : Kiril Petrenko
Richard Wagner
Festival d'été de l'opéra de Munich - 20-22-24-27 juillet.
Troisième jour du Ring - 27 juillet 2018 - Opéra de Munich.
Reprise de la production de Andreas Kriegenburg
Direction Musicale : Kiril Petrenko
Siegfried : Stefan Vinke
Gunther : Markus Eiche
Hagen : Hans-Peter König
Alberich : John Lundgren
Brünnhilde : Nina Stemme
Gutrune : Anna Gabler
Waltraute : Okka von der
Damerau
Woglinde : Hanna-Elisabeth
Müller
Wellgunde : Rachael Wilson
Floßhilde : Jennifer
Johnston
1. Norn : Okka von der
Damerau
2. Norn : Jennifer
Johnston
3. Norn : Anna Gabler
« The world isn’t
working » telle est la phrase que le programme cartonné de l’opéra de
Munich décide de mettre en exergue pour illustrer cette dernière journée du
Ring, celle de la fin d’un monde.
Un monde qui ne tourne pas
rond. Celui des Gibichungen, la lignée du roi Gibich, où règne le roi Gunther,
sa soeur Gudrune et leur demi-frère Hagen, dans leur somptueux palais au bord
du Rhin.
Mais avant d’entrer dans
ce monde riches et de puissants, le Prologue nous conduit en continuité locale
et temporelle totale, sur le rocher des Walkyries, où les trois nornes tissent
une corde rouge, celle du destin, avec laquelle elles enroulent, attachent,
retiennent les hommes. Et elles narrent le triste récit de la mutilation du
frêne de la vie par Wotan, qui a fini par faire périr l’arbre, abattu et débité
en bois entassé au pied du Walhalla, le royaume des dieux. S’il prend feu,
celui-ci disparait. Et justement, les nornes inquiètes ne distinguent pas bien
le futur... S’ensuit l’un des rares moments de bonheur de la tétralogie, le
dialogue entre Brünnhilde et Siedgfried dans leur petite cabane (construite de
planches verticales amenées par les fameux figurants-danseurs prévus par la
mise en scène). Sublime échange qui annonce pourtant le destin fatal du héros,
devenu mûr, dont le chant sera alors essentiellement dans le registre du
heldenténor. Mais Siegfried doit partir, il ne peut pas rester à savourer son
amour, il a tant de choses à voir, à faire.
Les murs de la cabane
reculent, les figurants se couvrent d’une cape bleue nuit, se courbent, se font
vagues sombres du Rhin tandis que le bateau de Siegfried apparait au dessus des
flots.
Moment sublime là aussi à
Munich où rarement orchestre et mouvements de scène m’ont paru aussi
évocateurs. Le voyage est mouvementé, le héros courbe l’échine, la musique
donne tous ses thèmes.
Puis tout se calme.
Comme miraculeusement ceux
qui étaient « vagues » et « flots » se relèvent, se
redressent, apparaissent en costumes de ville, nous sommes dans un immense
décor représentant une gigantesque banque, tout à la fois lieu du pouvoir, de
l’argent, de l’esclavage moderne (tous ces clones à petite mallette qui
s’affairent à tous les étages). Un complexe jeu de galeries qui montent et
descendent permet de donner du volume à l’ensemble tandis qu’au sol, un salon
chic, un bar opulent et quelques accessoires dont un « euro » qui
sert de cheval à bascule, et surtout un superbe cheval au fond, illuminé par
les projecteurs comme une oeuvre d’art hautement symbolique.
L’arrivée de Siegfried en
« bon sauvage », son épée à la main, dans ce monde policé où l’on
conspire sa perte, est un grand moment. Contraste total là encore, avec ses
effets comiques et la sourde angoisse née de la musique obsessionnelle qui
accompagne ces scènes.
Je serai un peu plus circonspecte
sur le personnage de Hagen qui semble avoir du mal à trouver un relief, le plus
souvent immobile et casé dans un fauteuil ou celui de Gutrune à qui à
l’inverse, le metteur en scène donne un rôle de vamp, très appuyé et très
suggestif avant d’en faire une mariée d’une touchante blancheur immaculée
omniprésente sur le plateau, bien plus qu’elle ne l’est dans la réalité de
l’opéra.
Par contre Gunther est un
personnage très « jet-set », jeune et fringant, ambitieux et dévoré
de désirs, très bien représenté.
La mise en scène prévoit
donc essentiellement des allers et retour entre le « rocher » (et la
fameuse cabane), notamment pour la scène où Waltraude tente de convaincre sa
soeur des dangers qui la menacent et pour celle où Siegfried, ayant pris les
traits de Gunther et oublié sa bien-aimée, vole l’anneau à Brünnhilde, et la
grande banque dont les galeries intérieures évoluent et où un énorme
« euro » servira de table pour les noces, les artistes dansant
presque sur ce décor gigantesque.
On l’a compris : ce
monde ne va pas bien. Les figurants montrent même la révolte des hommes après
l’assassinat de Siegfried, la destruction du mobilier, des archives, des
dossiers, juste avant que Brünnhilde ne mette le feu au bûcher et ne s’y jette.
Alors au milieu des fumées de la destruction quand la musique se fait si douce,
retour aux sources oblige, les trois filles du Rhin réapparaissent au détour
d’une galerie portant l’or retrouvé comme un Graal dans leurs mains et nos
jeunes gens qui se baignaient insouciants dans le Rhin reviennent un à un et
s’enlacent pour former une ronde....
Silence.
Immense ovation.
Une fois encore, c’est le
génie de Kiril Petrenko que je retiendrai d’abord pour qualifier ce dernier
épisode du Ring, haut en couleurs et en drames et qui sait pourtant nous
ménager ces moments de bonheur furtif symbolisé par ces leitmotivs (la
chevauchée, le rocher, le cor, Notung et tant d’autres) qui s’entremêlent, s’ébauchent
puis s’évanouissent ou s’alourdissent sous la puissance des gros cuivres,
semblent parfois vouloir s’échapper de la masse orchestrale pour retomber
emprisonnés dans le filet tragique du destin.
Alors dans ce Ring, chaque
voix, les choeurs et chaque instrument de l’orchestre forment un tout que
Petrenko dirige avec une précision horlogère, envoyant de la main gauche un
petit signal à chacun (chanteur comme
instrumentiste) tandis que sa main droite indique le tempo, les silences, les
forte et les pianis, les changements de volume.
La composition de Wagner
confine déjà au génie (et on voit l’influence considérable qu’elle a eu sur les
grandes sagas cinématographiques comme Star Wars), interprétée par Petrenko,
elle prend encore d’autres détours, et surtout, vous touche en permanence avec
une violence des passions qui reste intacte des jours durant.
Le niveau des chanteurs,
là encore, est un puissant facteur de perfection.
Pour cette dernière
journée de l'anneau, chapeau bas d’abord à la seule Brünnhilde actuelle,
capable de garder tous ses fabuleux moyens à la fin d'un acte épuisant, et nous
servir des nuances pour finir en beauté... Nina Stemme construit son
personnage, de la petite Walküre, fifille à son papa, primesautière de la
première journée, à la femme blessée, meurtrie et qui salue la fin d'un monde
qui se détruit entièrement sous nos yeux, son hommage à Siegfried est sublime.
Rares sont les Brünnhilde capables d’un tel
exploit : celui d’interpréter le rôle dans les trois journées du Ring, à
quelques jours d’intervalle sans avoir une minute de faiblesse ou de réserve,
en se donnant à fond, nuances et subtilités respectées jusqu’à la dernière
note. A l’acte 3, alors qu’elle vient de nous étourdir d’émotions immenses avec
son « Wie Sonne lauter », timbre sublime nullement altéré par la longueur de ce
monumental solo, elle parvient encore à adoucir sa voix dans les moments les
plus émouvants avant de terminer par un glorieux et magnifique « Siegfried,
Siegfried, sieh », la voix aussi fraîche et émouvante, renversante même que si
elle venait de commencer à chanter.
Je pense qu’elle a depuis
longtemps rejoint les grandes Brünnhilde de l’histoire de ce rôle, Astrid
Varnay comme Birgitt Nilson. Voire..
Le Siegfried de Stefan
Vinke est beaucoup plus convainquant dans cette dernière journée sur lors de la
précédente. Même si heldentenor manque souvent de subtilité, le côté brut de
décoffrage de ce super héros qui va se trouver totalement désarmé, trahir
malgré lui et va être abattu d’un coup dans le dos lui qui ne fuit jamais, est
globalement très bien rendu. Sûr qu’il ne rejoindra pas le Panthéon des grands
Siegfried qu’ont été Wolfgang Windgassen ou Siegfried Jerusalem, mais
actuellement on manque de ce genre de voix capables d’exploits d’endurance tout
en pratiquant un chant expressif et de grande beauté vocale. Car au delà d’un
chant parfois un peu déstabilisé, notamment lors du duo d’ouverture avec
Stemme, Vinke manque parfois de l’éclat magnifique des références ci dessus,
son timbre est beau mais un tout petit peu pauvre et surtout assez monocolore.
A l’inverse dans un rôle
moins difficile, le Gunther de Markus Eiche est absolument parfait, sonore,
bien chantant, bien joué, le baryton familier des scènes munichoises, démontre
un vrai talent qui se confirme à chaque apparition, excellent acteur par
ailleurs.
Wagner voulait faire de
Gutrune une soprano légère à l’opposé de la soprano dramatique de sa rivale.
Anna Gabler a le format requis mais pas la brillance vocale qui permettrait
d’atteindre une sorte d’idéal d’opposition entre les deux chanteuses. C’est une
excellente actrice et elle chante très bien son rôle mais on regrette un peu le
côté parfois terne de sa voix.
Le Hagen de Hans-Peter
König, déjà présent en ce rôle lors de la création de cette mise en scène, est
assez bien campé (dans les limites d’un rôle statique mais ne manquant pas
d’autorité), a une belle voix de basse mais a manqué parfois lui aussi de l’éclat
nécessaire au rôle.
Très brillante apparition
de John Lundgren en Albérich décidément marquant dans ce Ring.
Le retour de Okka von der Damerau en Waltraute
après ses apparitions en Erda, prouve tout son talent quand elle est dans la
bonne tessiture. Son duo avec Nina Stemme est de haute tenue et public munichois
montre à chaque fois, sa reconnaissance à ses « enfants », ce qui lui a valu,
comme à Eiche, une ovation appuyée et méritée.
On retrouve également avec
plaisir les belles et talentueuses filles du Rhin, elles aussi de la troupe
munichoise et souvent brillantes solistes : la Woglinde de Hanna-Elisabeth
Müller, la Wellgunde de Rachael Wilson et la Floßhilde de Jennifer Johnston.
Les trois norn qui ouvrent
très brillamment ce Götterdämmerung sont d'ailleurs également, respectivement
Waltraude et Erda (Okka Von der Damerau), Flosshielde (Jennifer Johnson) et
Gutrune (Anna Gabler)
.
En guise de conclusion d'un cycle inoubliable :
Je ne saurai que redire
tout le bien que je pense de ce Ring qui tient toutes ses promesses, tant au
travers de la beauté, de lisibilité, de l'intelligence de la mise en scène que
de la magnificence de l'orchestre et de l'ensemble des solistes, le tout mené
avec le génie modeste et inouï de ce chef qui a d'ailleurs fait monter
l'ensemble de l'orchestre sur la scène à l'issue du Ring, s'effaçant au milieu
de ses musiciens, derrière ses chanteurs.
C'est du Wagner sculpté
thème après thème, on entend et on voit tous ces passages du Crépuscule qui
annonce la fin d'un monde, les leitmotivs qui s'entremêlent, déformés mais
reconnaissables, qui semblent parfois vouloir s'échapper de la masse
orchestrale mais en restent prisonniers. Il faut un esthète comme Petrenko, un
vrai chef d'opéra qui donne le signal à chacun de ses chanteurs et a le geste
qui leur indique l'élan à prendre, le tempo à adopter, tout en dirigeant de
l'autre main ses musiciens...pour atteindre à chaque instant le sublime.
Fascinant de sens et de
beauté, l'émotion vous submerge en permanence au delà des grands moments cités
plus haut.
et le retour à l'harmonie,
la naissance d'un nouveau monde peut alors apparaitre quand nos jeunes gens du
début du Prologue reviennent nager dans Rhin où les filles ont repris l'or
volé, cause de tous les malheurs...
Alors on exulte, on
applaudit pendant d'interminables minutes et puis on se retrouve, un peu
mélancolique, parce que c'est fini, avec plein de sonorités dans la tête, plein
d'images dans les yeux et l'ensemble du Ring qui redéfile : les filles du Rhin,
les sarcasmes du grinçant Loge, les géants impressionnants et majestueux (et
Huntig), le maléfique Alberich, le sombre et magnifique Siegmund et sa si
incandescente Sieglinde, Wotan aux prises avec ses contradictions, Siegfried et
son souffre douleur, le génial Mime, d'abord jeune impétueux avant d'être un
héros trahi et malmené, Gunther (et Donner), les nornes, les Walkyries, et
enfin, surtout bien sûr Brünnhilde...for ever.
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