Tristan und Isolde - Richard Wagner - reprise de la production de Peter Sellars et Bill Viola - Opéra Bastille le 11 septembre 2018

Tristan und Isolde

Richard Wagner, musique et livret.
Opéra en trois actes, créé en 1865 à Munich.
ONP, Bastille du 11 septembre au 9 octobre 2018, reprise.

Philippe Jordan: Direction musicale
Peter Sellars: Mise en scène
Bill Viola: Vidéo
Martin Pakledinaz: Costumes
James F. Ingalls: Lumières
José Luis Basso: Chef de Choeur


Tristan : Andreas Schager
König Marke : René Pape
Isolde : Martina Serafin
Kurwenal : Matthias Goerne
Brangäne : Ekaterina Gubanova
Ein Hirt / Ein Junger Seemann : Nicky Spence
Melot : Neal Cooper
Ein Steuermann : Tomasz Kumiega

Drame musical plus qu’opéra à proprement parler, cette œuvre magistrale de Richard Wagner est la mise en musique d’un long poème qu’il a écrit en hommage à Mathilde Wesendonck. Basé sur la légende celtique de Tristan et Yseut, ce long récit est littéralement fascinant tant il vous enveloppe en tournant sur lui-même et vous fait pénétrer un monde à part où musique et mots se liguent pour créer cette atmosphère d’étrange torpeur.
Amour total, fusionnel et impossible…
La mise en scène de Peter Sellars est désormais un classique qu’on ne présente plus mais qui provoque toujours la même fascination tant son interprétation de l’œuvre est parfaite. Pour qui n’osait pas affronter Tristan et Isolde, œuvre monumentale s’il en est, le travail scénographique de Sellars et videographique de Bill Viola, est la meilleure entrée en matière. N’hésitez pas !

Première du 11 septembre 2018
C'était ma deuxième "Sellars-Viola" et j'ai encore apprécié cette osmose étrange entre la scène, l'image et la musique de même que les mises en espace assez audacieuses utilisant les ressources de Bastille (arrivée de Marke, chœurs d'hommes dans les hauteurs du parterre, chanteurs sur les galeries avec dialogue avec la scène, solistes excentrés etc.). 
L'espace de la Bastille est très astucieusement utilisé et le "vaisseau" révèle des capacités acoustiques et des possibilités d'effets spéciaux que je n'ai jamais entendu dans d'autres représentations.
Le jeu d'acteur dans le cadre de cette audacieuse mise en espace, est très sobre et très minimalistes puisque la lecture des gestes lents et hiératiques se trouve en grande partie dans les sublimes vidéo de Bill Viola qui ne quittent jamais le fond de la scène, réduisant celle-ci à une bande avec quelques blocs en forme de parallélépipèdes sombres. L'univers de l'océan occupe le premier acte avec le début du rituel prélude à l'amour, le bois, la nature, la rencontre, l'eau qui ruisselle sans cesse accompagne l'acte 2, tandis que la fusion totale, la dissolution dans l'eau après les flammes et les éclairs d'hallucination de Tristan, terminent un acte 3 littéralement fascinant.
Je pense qu'il s'agit d'une des mises en scène les plus intelligentes et les plus abouties de cet opéra, qui rejoint une conception globale de scénographie très complète qui ne laisse jamais indifférent.
Le public l'a pourtant sifflée avec grossièreté quand Sellars est monté sur scène. J'ai trouvé ça choquant d'autant plus qu'une claque organisée se manifestait bruyamment juste à côté de moi pour ovationner tous les chanteurs indistinctement ce qui était plus que discutable.
En 2014, la distribution était homogène et brillante, entièrement au service de l'oeuvre dans toute son acceptation (Wagner d'abord bien sûr mais aussi Sellars et Viola). C'était moins évident lors de cette Première où la distribution ne fonctionnait malheureusement, qu'en partie : d'abord à cause de l'Isolde de Martina Serafin, très criarde au timbre laid, un peu meilleure au deuxième acte car moins sollicitée que dans les longs récits de l'acte 1 ou dans le final de l'acte 3 (complètement raté pour moi...), dont la voix et les couleurs ne traduisent jamais vraiment ce qu'elle chante et dont le relationnel "physique" avec Tristan reste froid et distant contredisant ouvertement les superbes images des vidéos de Viola (et l'œuvre elle-même d'ailleurs...). 
J'ai entendu Martina Serafin de multiples fois et notamment à Bastille : deux Tosca ou même trois, deux Sieglinde, deux Elsa au moins, et maintenant cette Isolde qui n'est pas vraiment dans ses moyens. Quand elle doit chanter plus doucement, le timbre est plus joli et elle est capable de nuances mais dès qu'elle doit passer au registre dramatique ou héroïque, cela dérape sérieusement et elle n'est plus capable d'apporter la moindre couleur à son chant.

Tristan (Andreas Schager en super forme) tient drôlement bien la route et a gagné en nuances et en beau chant même si on le sent à la fin donnant son va-tout sans trop maitriser ce qu'il "dit", et ce final tout en force, gâche un peu le plaisir de l'entendre, parce qu'on sent sa faculté à retomber un peu dans un jeu et un chant stéréotypé de heldenténor très puissant mais limité dans sa capacité à donner des modulations, des nuances, des couleurs variées, des respirations à son chant. Il choisit d'interpréter un Tristan totalement extériorisé (ce qui correspond à son tempérament) mais en oublie un peu le sens de ce final si dur pour le ténor et surtout la sobriété et l'intériorité (qui n'est en rien contradictoire avec la puissance) requis par cette mise en scène. Saluons cependant sans réserve son incroyable endurance et sa diction impeccable dans un rôle qu’il sert bien. Je l’ai trouvé bien meilleur en Tristan qu'en Parsifal (entendu il y a quelques mois dans cette même salle) ou en Siegmund (entendu il y a deux ans à Baden Baden). Son Tristan rejoint son Tannhauser (entendu à Berlin l'an dernier), on ressent vraiment une progression dans la maitrise musicale et théâtrale du rôle et sa vaillance est très impressionnante...Et nous manquons de bon Tristan, capables de tenir tous les actes sans faiblir…
Mais de tous c'est Marke (René Pape) que j'ai préféré pour son incarnation d'un roi émouvant et dont le malheur vous touche vraiment, un roi profondément blessé qu'il interprète très bien. L'ambiguité de ses relations avec Tristan en fait un personnage fragile sous l'armure, et sa très longue déploration prend tout son sens dans ce reproche interminable de ce qui est plus que la trahison d'un ami... Après son Gurnemantz cet été à Munich, je trouve que Pape est une basse wagnérienne idéale pour les rôles de personnages à psychologie complexe et qui expriment des sentiments et des émotions dans leur chant.

Le Kurwenal de Goerne est par contre décevant, à la voix manque de sonorité et pas toujours à l'aise dans cette tessiture (écarts de notes vraiment difficiles par exemple) et le jeu reste frustre (il semble se caricaturer lui même en adoptant la posture qu'il prend dans ses récitals de Lieder, ceux qui le connaissent comprendront). Je m'interroge sur la fonctionnalité de ce grand chanteur (diseur) de Lied dans l'opéra après plusieurs prestations qui m'ont laissée très dubitative.

Brangäne n'est pas non plus à son meilleur à l'acte 1, peu sonore elle aussi, timbre opaque (c'est la troisième fois récemment pour Ekatérina Gubanova qui m'avait pourtant éblouie dans ce rôle en 2014). Mais par la suite, la voix reprend le dessus, le style et l'interprétation sont "justes" et à l'acte 3 où son chant vient de la galerie côté jardin, c'est tout simplement surnaturel.

N’oublions pas la belle performance dans le petit rôle de Melot, celle de Neal Cooper très impressionnant heldenténor lui aussi (que j'avais déjà remarqué en Thibaut dans les Vêpres siciliennes il y a un an à Londres) : voix claire, très beau timbre, beaucoup d'expressions dans son chant, magnifique....

J'ai trouvé que Philippe Jordan manquait totalement de subtilité dans sa direction au début et dans l'acte 1, qu'il accélérait les tempi au moment du duo d'amour cassant un peu la magie du moment mais qu'il livrait un acte 3 beaucoup plus maitrisé et un final très beau...très bel orchestre et chœurs magnifiques venant des quatre coins de la salle... Effets garantis !
Soirée que je ne regrette nullement pour autant, ne serait-ce que pour le plaisir d'entendre cette œuvre incroyable et de revoir la mise en scène de Sellars. Pour ceux qui ne l'ont jamais vu, il ne faut pas rater cette reprise. Le seul vrai bémol c'est Isolde comme il a été dit plus haut...



Les séries de cette production à l'ONP

2005- Direction musicale :  Esa-Peka Salonen, avec Ben Heppner, Waltraud Meier, Franz Joseph  Selig
2006- Direction musicale :   Valery Gergiev avec Clifton Forbis, Lisa Gasteen, Willard White
2008- Direction musicale :   Simon Bychkov, avec  Clifton Forbis, Waltraud Meier, Franz Joseph Selig
2014- Direction musicale :   Philippe Jordan avec Robert Dean Smith, Violetta Urmana, Franz Joseph Selig


Trailer de l'opéra de Paris


Tristan et Isolde à Bayreuth cet été, toujours disponible sur France Musique
Petra Lang (mezzo-soprano), Isolde
Stephen Gould (ténor), Tristan
René Pape (basse), King Marke
Iain Paterson (baryton-basse), Kurwenal
Raimund Nolte (basse), Melot
Christa Mayer (mezzo-soprano), Brangäne
Tansel Akzeybek (ténor), un berger, un marin
Kay Stiefermann (baryton), un timonier
Orchestre et Choeur du Festival de Bayreuth   Christian Thielemann



Un acte deux si prometteur pour les deux artistes...



Quelques références

Karajan/1994 avec H. Dernesch, J. Vickers, C. Ludwig, W. Berry



 



Kleiber/1982 avec  Tristan: René Kollo, Isolde: Margaret Price, Brangäne: Brigitte Fassbaender, König Marke: Kurt Moll, Kurwenal: Dietrich Fischer-Dieskau, Melot: Werner Götz


Wilhelm Furtwängler/1952

Tristan : Ludwig Suthaus Isolde : Kirsten Flagstad Brangäne : Blanche Thebom König Marke : Josef Greindl Kurwenal : Dietrich Fischer-Dieskau





 

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