Il Trovatore - Verdi - ONP Bastille - 20/06/2018
Il Trovatore (Le trouvère)
Giuseppe Verdi
Livret : Salvatore Cammarano et Leone
Emanuele Bardare
Opéra en quatre actes
Création à Rome en 1853 et à Paris en 1854
Il existe une version française, dont le titre est
« Le Trouvère » adapté par Verdi au style du Grand Opéra Français.
Retour sur la Première d'Il Trovatore - 20 juin
2018 – ONP Bastille
Direction musicale :
Maurizio Benini
Mise en scène : Alex
Olé
Manrico : Marcelo
Alvarez
Azucena : Anita
Rachvelishvili
Leonora : Sondra Radvanovsky
Comte de la Luna : Željko
Lučić
Ferrando : Mika
Kares
Inès : Elodie Hache
Ruiz : Yo Shao
L’histoire est rocambolesque et cruelle, l’opéra
est musicalement l’un des meilleurs de Verdi, couplant des passages héroïques
et tragiques avec des morceaux de bel canto étourdissants de virtuosité. Énormément d’airs sont célèbres, parmi les chœurs, les solos, les duos, trios,
ensembles et il n’est pas facile de trouver suffisamment de voix capables d’allier
« héroïsme » et virtuosité, trilles, vocalises, legato, crescendo et
diminuendo, mezzo voce, bref il faut un sacré talent, enfin plus exactement au
moins quatre sacrés talents pour réussir un bon Trovatore. Outre le choix du
chef de ne faire aucune des reprises de cabalettes prévues dans la partition,
ce qui coupe un peu les ailes à ce Trovatore, le plateau vocal est demeuré
boiteux d’un bout à l’autre, la supériorité des voix féminines et
singulièrement celle d’Azucena, étant particulièrement écrasante ce soir de
Première.
Chapeau bas d’abord et avant tout à Anita
Rachvelishvili qui m'a arraché des larmes, et fait vivre une touchante Azucena,
malheureuse et pathétique, hantée par les souvenirs de ses sinistres malheurs,
comme personne avant elle. Son « Stride la vampa » est à juste titre
littéralement et spontanément ovationné par un public scotché par la qualité et
l’expressivité de son incarnation. Elle en fait presque le personnage principal
de l'opéra, sans doute parce que les autres "incarnent" moins leurs
personnages (c'est, je trouve, l'une des petites faiblesses de Radvanovsky,
quant à Lucic, il a tendance à incarner toujours le même personnage de Carlo
Gérard à Luna en passant par Rigoletto).
Anita Rachvelishvili confirme qu'elle est
décidément une phénoménale artiste qui a tout pour elle et... qui ne cesse de
progresser. Notes filées, crescendo, decrescendo, fortissimo suivi d'un
pianissimo, vocalises, art du legato, tout y est et pourtant elle ne donne jamais
l'impression de faire du "beau chant" pour "faire du beau
chant" ou montrer sa technique. Elle est manifestement concentrée sur son
personnage et l'interprétation qu'elle en donne. Quand elle chante, allongée
sur le sol, en mezza voce, lors du dernier duo (miserere) avec Manrico, on regrette les interventions du fiston
(sans classe et en voix presque criée) qui gâchent un peu la beauté du
moment...la scène où elle se remémore la mort de sa mère brûlée vive est tout
simplement fantastique tant on voit littéralement la scène d'horreur se
dérouler au travers du récit halluciné de la mezzo. Rarement vu cela et c'est
là que l'on mesure ce qu'est un-e vrai-e grand-e chanteur-euse.
Sondra Radvanovsky est moins convaincante, déjà
parce qu'on croit moins à son personnage de jeune fille qui ose cet amour
interdit et qui se sacrifie à l'issue de l'opéra. La voix m'a semblé plus métallique
que d'habitude encore et peut-être un peu trop surtout pour le personnage et souvent
sur le fil (avec un vibrato) pas toujours maitrisé notamment dans certaines
vocalises. Elle n’avait pas chanté le rôle depuis plus d’une décennie, ce n’est
sans doute pas celui qui lui convient le mieux aujourd’hui et le choix du chef
de couper toutes les formes de reprises ornementées de cabalettes, la dessert
évidemment. Il n’en reste pas moins qu’elle exerce toujours une vraie
fascination sur le public par ses formidables vocalises et trilles, ses
accélérations et longs crescendo, et ses aigus (presque) parfaits (un ou deux « criés »
quand même), le caractère à la fois dramatique et souple de sa voix qui lui
permet de négocier pas mal de difficultés. Moins beau que Anna Netrebko il y a
deux ans à Bastille dans la même mise en scène, moins complet et beaucoup moins
émouvant qu'Anja Harteros à Munich dans la mise en scène de Py, qui reste ma
Leonora de référence.
Zeljko Lucic a une belle technique verdienne,
trilles comprises, mais sa voix est globalement terne et son jeu vraiment trop
stéréotypé. Il ne semble jamais se lâcher et colore très peu son chant. On
regrette nettement la haute silhouette de Ludovic Tézier qui avait campé un
Luna beaucoup plus charismatique et autrement doué en chant verdien, avec Anna
Netrebko dans ces mêmes lieux.
Marcelo Alvarez manque vraiment d'élégance et de
classe dans son chant. C'est très débraillé, laissé aller, limite vulgaire. Il
a beaucoup maigri et sa voix est redevenue plus ronde avec un timbre qui
rappelle ce qu'il fut il y a quelques années. Comme il n'a jamais été un bon
acteur, cela ne s'est guère arrangé (gestes saccadés et stéréotypés, aucune
crédibilité dans ses relations avec une Sondra Radvanosky souvent elle-même
très raide et ne semblant jamais amoureuse de ce soldat gesticulant). Alvarez
chante "son" di quella pira
personnel (le quart de l'air à peu près...) comme l'an dernier (se reporter au
fil). Il ne fait aucune reprise et balance un premier aigu qui ne m'a semblé
n'atteindre que le "la" (de la partition), très rapidement pour s'en
débarrasser sans tenir la note, ensuite on ne l'entend plus tandis que le chœur
reprend l'air, et enfin, il rebalance un aigu (un autre "la" ou un
"si" peut-être... pas sûr, j'étais estomaquée de l'audace qu'il faut
pour "shunter" un air aussi célèbre un soir de Première à Bastille).
Sa voix est en général beaucoup plus belle qu'il y a deux ans malgré
tout...mais bon...
Très agréable Ferrando de la basse Mika Kares,(ce
qui donne un très beau début d'acte 1), jolie suivante Inès de Élodie Hache
(beau timbre et voix qui porte bien). Beau Ruiz également de Yu Shao dont le
timbre et le style sont beaucoup plus séduisants que ceux de Manrico...
Choeurs et orchestre OK (ouverture un peu ratée
ceci dit). Chef sans relief mais sans drame. Castrateur mais je l'ai déjà dit...
On s'habitue à la mise en scène d'un esthétisme un
peu mystérieux (quoi qu'agaçant à la longue), qui donne de grands moments,
éclairage, miroir de fond de scène où l'on voit le reflet du chef et labyrinthe
des blocs évoquant le mémorial de la Shoah comme ces cimetières de soldats
inconnus des grandes guerres, tout cela m'a parfois convaincue et parfois
lassée par son caractère répétitif.
Soirée mitigée pour moi sans plus, j'aime beaucoup
cet opéra musicalement et s'il n'était pas parfaitement servi par quatre
chanteurs exceptionnels comme il doit l'être, j'ai quand même vu pire (et aussi
beaucoup mieux d'ailleurs...).
Le petit plus
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