Le Barbier de Séville - Rossini - Opéra de Paris - 24 janvier 2018

Il Barbiere di Siviglia

Opera buffa en deux actes (1816)

de Gioacchino Rossini

Livret Cesare Sterbini
D'après la pièce « Le Barbier de Séville ou la précaution inutile » de  Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais

Direction musicale : Riccardo Frizza
Mise en scène : Damiano Michieletto

avec
Il Conte d'Almaviva : René Barbera /Levy Sekgapane 1, 13 fév.
Bartolo : Simone Del Savio
Rosina : Olga Kulchynska
Figaro : Massimo Cavalletti / Florian Sempey 7, 16 fév.
Basilio : Nicolas Testé
Fiorello : Pietro Di Bianco
Berta : Julie Boulianne
Un officier : Olivier Ayault

Décors : Paolo Fantin
Costumes: Silvia Aymonino
Lumières Fabio Barettin

Chef des Choeurs : Alessandro Di Stefano
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris


Première du 24 janvier 2018

Cette troisième reprise dans cette mise en scène jubilatoire du Barbier de Séville à Bastille, est un remède contre la grisaille et le mauvais temps qui sévissent actuellement à Paris. 
A l’inverse du Bal masqué de Verdi  que l’on peut voir également en ce moment à Bastille et qui vaut presque exclusivement pour la performance de Sondra Radvanovski en Amélia,  le Barbier de Séville bénéficient des quatre atouts nécessaires aux représentations réussies : une formidable direction d’acteurs qui ne laisse jamais rien au hasard et occupe littéralement  la scène, une direction musicale inspiré, un plateau vocal brillant et équilibrée et une mise en scène,  décor compris, intelligente et ludique.

Autant dire qu’on passe une si bonne soirée qu’elle met de bonne humeur pour un moment.
Le parti pris de Damiano Michieletto (qui nous a offert de l’excellent et du beaucoup moins bon comme la mise en scène de Samson et Dalila il y a deux ans dans cette même salle) est de prendre la musique tourbillonnante et pétillante de Rossini comme point de départ de son illustration scénique. 



Il construit donc un petit pâté de maison très méridional (on pense peut-être davantage à l’Italie du Sud qu’à Séville, mais on pense aussi aux décors des films d’Almodovar) avec balcons à tous les étages, linge multicolore mis à sécher sur les rambardes, fenêtre indiscrètes qui dévoilent en s’éclairant les scène intimes, petit bistro « le Barracuda » avec tables dehors et gros cornet de glace comme enseigne, voiture et moto italianissimo des années 60. Au centre un immeuble qui tourne sur  lui-même façon Olivier Py, dévoilant tantôt une  façade grise, lézardée et tagguée, tantôt un escalier en colimaçon grimpant vers l’étage à droite, un escalier d’entrée officielle avec galeries extérieures sur la gauche et surtout, façon « maison de poupée », la demeure de Bartolo avec son salon, sa cuisine, sa bibliothèque et la chambre de Rosina.

Les mouvements demandés aux chanteurs sont incessants et assez acrobatiques : il faut une précision digne d’un ballet (il y a d’ailleurs un peu de cela dans les « ensembles » époustouflants de synchronisation vocale et scénique), grimper et descendre des escaliers en permanence tout en chantant, sauter dans tous les sens, se jucher sur le toit d’une voiture ou au sommet d’une échelle… bref on se demande comment ils parviennent à une telle prouesse tout en nous offrant un si beau chant.

Le jeu des éclairages –jour soleil éclatant, soirée, nuit, jour et pluie et surtout teintes verdâtres qui envahit le plateau pour l’air de la Calomnie, sont du plus bel effet.
Durant l’ensemble du déroulé de l’opéra, différentes scènes jouées par des figurants ou par les Chœurs (admirables) entourent l’action des protagonistes principaux et créent une atmosphère grouillante et comique, très réussie.


Dès l’ouverture, Ricardo Frizza démontre sa grande connaissance de Rossini en adoptant d’ailleurs des tempi pas trop rapides qui permettent tout à la fois de ménager les différentes parties de ce morceau admirables tout en laissant respirer la musique. Mais le compte y est avec son début majestueux suivi sans transition par un allegro extrêmement enlevé qui donne les thèmes musicaux et souligne le caractère de comédie de l’opéra. Crescendos magnifique et pirouette de la fin : le tout est vigoureusement applaudi par un public déjà attentif même si le lever de rideau en dévoilant le décor et notamment la décapotable de frimeur italien, fait grincer quelques dents.
Ensuite tout au long de la représentation, le maestro démontrera la subtilité de la partition, son dialogue avec les chanteurs et la virtuosité de l’orchestre de l’opéra dont il faut aussi saluer la performance.

Côté plateau on est d’abord servi par le talent d’acteurs de tous les protagonistes du premier au dernier rôle et par leur formidable adéquation à leurs personnages. Après nos réserves concernant le Bal Masqué de ce point de vue, on ressent encore plus cette incroyable qualité de certaines distributions que nous offre désormais l’Opéra de Paris sous l’ère Lissner.
 Tout juste peut-on regretter que, parfois, quand le décor tourne, ou quand les chanteurs sont dans le fond d’une case, l’acoustique ne leur soit pas très favorable et que leurs prestations soient moins éclatantes sur le plan du volume.



René Barbera que j’avais déjà entendu dans cette mise en scène à Bastille en 2015, commence avec brio par sa sérénade à Rosina « « Ecco ridente in cielo ». C’est l’un des meilleurs interprètes de ce rôle dont il a la virtuosité nécessaire, vocalisant avec une précision époustouflante. Mais René Barbera a plus d’une corde à son arc : sa voix est large, le timbre est magnifique et les aigus sont sonores et vous donnent aussitôt des frissons. La voix est souple également et capable de beaucoup de changement d’intonations, prenant parfois un registre « outré » pour les effets comiques, épousant les mouvements incessants du chanteur sur le plateau dans ses divers déguisements pour séduire Rosina. Mais, je l’avoue, je l’attendais surtout dans son « Cessa di piu' resistere », le grand air d’Almaviva parfois coupé (O Scandale) au prétexte qu’il déséquilibre le rythme du final, heureusement entièrement chanté avec ses reprises hier soir. Moment magique. Formidable. Où Barbera donne la mesure de son immense talent. Longuement ovationné, très longuement. Avec la ferveur d’un public qui sait ou qui a compris que nous tenions là un grand souvenir d’opéra.



Mais, comme un bonheur ne vient jamais seul, il faut aussi souligner la remarquable Rosina d’Olga Kulchynska. La jeune soprano Ukrainienne (elle a 28 ans) avait déjà attiré mon attention dans les Noces de Figaro à Munich il y a trois mois, où elle incarnait une Suzanna remarquable de tous les points de vue. L’immense vaisseau de Bastille ne l’impressionne pas davantage et elle nous campe une Rosina avec une vraie voix, loin des sopranos légères qu’on croise parfois dans ce rôle, avec une voix large et riche, des aigus superbes et un médium corsé, des vocalises précises et étourdissantes et un jeu de scène fabuleux. Son « Una voce poco fa » était d’une maitrise impressionnante.
Je crois qu’il faut suivre l’école Russe et Ukrainienne de très près : les jeunes talents qui arrivent sur nos scènes prouvent qu’une pépinière s’y développe. Tour à tour espiègle, mutine, fâché, en colère, décidée, amoureuse, elle tournoie en permanence en rythme et virevolte sans jamais perdre ni le la ni l’écoute du public, impressionné qui lui réservera une belle ovation au final.



Le figaro de Massimo Cavaletti est très élégant, pas du tout bouffon, a une classe folle jusque dans son chant et ce, dès son arrivée avec son célèbre « Largo al factotum ». Vocalises, trilles et ornementations, tout y est. Tout  juste peut-on regretter qu’un timbre un peu mat et une projection moindre que celle de ses collègues, le rendent parfois moins audibles quand les décors handicapent visiblement les chanteurs.



Jolie surprise pour le Bartolo de Simone Del Savio que je ne connaissais pas et qui a tout du personnage à la fois ridicule et cruel, têtu et cocu, avec un chant là aussi d’une grande richesse de variations pour respecter les différents aspects du personnage au cours de l’histoire.

Je l’ai dit : le plateau était homogène et les rôles secondaires excellents aussi.
Nicolas Testé, à son habitude nous offre un très bel air de la calomnie. Dommage qu’il ne le chante pas sur le devant de la scène ce qui aurait augmenté son impact acoustique. D’une manière générale on adore son Basilio drôle
et bien chanté.

Julie Boulianne est parfaite également en Berta et son célèbre air est également ovationné.

Dans un tout petit rôle on remarque aussi Pietro Di Bianco en Fiorello à cause du timbre clair et joli, d’une projection et d’une diction parfaite.

Une soirée vraiment agréable, d’excellente facture globale, avec un public en moyenne jeune et ravi et une reprise dont on ne se lasse pas tant qu’elle a d’aussi bons interprètes. A noter deux séances de février avec Florian Sempey en Figaro.

Les petits plus du Blog.

le livret

http://livretpartition.com/livretopera/rossini/1.pdf

Pour découvrir Olga Kulcynska 


 René Barbera dans Le barbier en 2014





Vue sur les décors




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