"Aida" mise en scène par Michieletto au festival de Munich : les horreurs de la guerre plutôt que le faste de la victoire
Aida
Giuseppe Verdi
Livret d'Antonio Ghislanzoni
Création en décembre 1871 au Caire
Séance du 23 juillet à l’Opéra de Munich, soirée Oper für alle (l’opéra pour tous) retransmission sur la Max-Joseph-Platz devant l’Opéra et en streaming dans le monde entier.
Le tapis rouge déroulé sur les marches de l’opéra, la présentation de l’événement par Serge Dorny, actuel directeur de l’Opéra de Munich, les spectateurs qui commencent à s’installer sur les pavés de la Place, avec leurs tapis, coussins et sacs de ravitaillement, ceux qui entrent dans l’édifice et s’assoient peu à peu dans l’hémicycle tendu de rose un peu comme l’écrin d’une boite à bijoux, tout ceci participe de l’atmosphère très spéciale des journées « Opéra pour tous » que le Bayerische Staatsoper organise tous les ans durant son festival de juillet, avec une œuvre de prestige. Cette année, c’était Aida dans la mise en scène de Damiano Micheletto, dont la Première avait eu lieu -avec quelques huées du public au rideau- le 25 mai dernier.
Ce n’est pas facile de mettre en scène Aida, cet opéra qui offre des scènes de démesure dans ses deux premiers actes, pour donner les plus beaux duos intimistes dans sa deuxième partie. On passe du style péplum au style chambriste et il faut résoudre la quadrature du cercle pour respecter l’œuvre. Rares sont les metteurs en scène qui réussissent la gageure : soit la première partie est valorisée avec force de décors monumentaux, ses cérémonies, ses fêtes, le défilé des éléphants et j’en passe, au détriment de la deuxième où l’on peine à dénicher nos héros dans une trop vaste scène, soit c’est l’inverse et l’on sort un peu frustré de ne pas avoir eu la magnificence que Verdi avait prévu pour cet opéra en l’honneur de l’ouverture du canal de Suez.
Michelietto, toujours inspiré mais pas toujours convainquant, fait un choix radical : il montrera les conséquences de ces guerres qui sont glorifiées dans l’œuvre de Verdi. Il imagine un décor minimal, très cheap, qui représente un vaste gymnase désaffecté et détérioré par ce qu’on suppose être des bombardements. Il reste un cheval d’arçon, une poutre d’exercice et quelques accessoires qui témoignent du passé de la salle aux plafonds crevés de nombreux trous d’où tombe régulièrement de la cendre.
Dans la salle, la foule présente est celle de réfugiés d’un pays vaincu qu’ils ont dû fuir et qu’on suppose être d’Europe centrale au vu des choix des symboles qui le caractérise, on y reviendra. Ainsi sont représentés les Ethiopiens de Verdi (Ukrainiens ?), tombés sous le joug des Egyptiens (les Russes de Poutine ?). On chercherait en vain des liens directs avec les didascalies, et, sans que de telles transpositions me choquent en soi (après tout Verdi lui-même avait choisi ce thème pour honorer le Canal de Suez et ses hôtes du Caire mais en profitait pour illustrer l’Italie sous le joug autrichien qu’il combattait fermement), il faut qu’elles soient bien menées. La mise en scène de Michelietto a de très grands moments que je citerai dans l’ordre : les souvenirs de sa patrie qu’évoque Aida dans « Patria mia » où on la voit petite fille (la chevelure rousse de la jeune figurante et celle de l’actrice sont sans ambiguïté quant à l’évocation) s’exerçant sur la poutre avec son père la tenant par la main, puis elle court après un ballon rouge, rejoint son père pour quitter la scène, ce dernier lance le ballon à Aida adulte – le défilé des éclopés et mutilés de guerre durant la marche triomphale, une vraie provocation, d’autant que le tapis rouge est déroulé, mais ceux-ci sont honorés comme il se doit, et décorés de belles médailles militaires comme dans la vraie vie tandis qu’un écran descend sur la scène pour montrer en gros plan sur un film, les horreurs de la guerre – le plafond troué qui s’écroule pour former finalement un pan incliné couvert de cendres d’où la petite Aida, enfant extirpe le lit nuptial tandis que la robe blanche de mariée lui est remise par sa mère, dans un songe là encore très poétique qui illustre le passé révolu et le peuple anéanti – Radamès entendant sa condamnation dans un grand immobilisme de statue, juchée sur ce pan incliné tandis qu’Amnéris par un jeu d’ascenseur, se retrouve sous la caveau des condamnés, elle-même réduite à épouser Ramfis – le final où Radamès et Aida dansent un slow langoureux, lui en costume trois pièces, elle en robe de noces, dans leur tombeau tandis qu’est évoquée à nouveau et plus clairement encore ce qu’était ce peuple du temps où un violoniste et un accordéoniste faisaient danser le village en fête avec ballons colorés et costumes de dimanche heureux.
Les idées séduisantes ne manquent pas et pourtant, on s’ennuie un peu, tout ceci est très statique et peu animé et peut-être faut-il y voir, plutôt que la responsabilité exclusive du metteur en scène, les limites d’une distribution qui joue très mal à part les deux artistes les moins connus qui ont été pour moi, une très heureuse découverte.
Et je vais commencer par eux d’ailleurs, pour leur faire honneur : Anita Rachvelichvili avait assuré les premières représentations en mai dernier mais des soucis de santé l’ont empêché de poursuivre et c’est Judit Kutasi, mezzo-soprano Roumaine qui l’a remplacée et comme je n’avais pas eu l’occasion de la voir en Azucena à l’Opéra de Paris en janvier dernier (les critiques l’avaient remarquée), je la découvrais hier soir depuis Munich. Le timbre est opulent et la voix chaude, régulière et soutenue sur toute la tessiture avec de forts beaux harmoniques. Elle incarne ce personnage complexe de Amnéris avec beaucoup de conviction et nous fait partager ses désirs, sa passion, sa déception, son échec avec talent. Elle démontre d’ailleurs que même dans une mise en scène peu classique, une bonne actrice peut parfaitement se sentir à l’aise et nous éblouir.
Même remarque pour le Ramfis de son compatriote, la basse Alexander Köpeczi, membre de la troupe de Munich et qui fait à deux reprises son entrée dans la cour des grands (rôles) avec Reinmar von Zweter dans Tannhäuser, à Pâques au festival de Salzbourg et maintenant dans le rôle particulièrement valorisé par la mise en scène de l’implacable grand prêtre Ramfis, tout à la fois majestueux et droit dans ses bottes, il ne concède rien à ce qu’il pense être son devoir. Tout en maitrisant admirablement une partition difficile, Alexander Köpeczi nous fait totalement croire à son personnage, et quand beau chant, intelligence musicale et scénique, se mélange, on se dit que décidément, Munich nous offre des surprises fort agréables assez régulièrement.
Disons-le franchement, sans drame, je n’ai pas été convaincue par les trois autres rôles importants, l’Aida d’Elena Stikhina, le Radamès de Riccardo Massi et l’Amonasro de George Petean. Je connais bien Elena Stikhina pour l’avoir entendue en salle dans de nombreux rôles différents à plusieurs reprises, de Brünnhilde à Tosca en passant par la Leonore de la Forza del destino et autant, à ses débuts à Paris, elle m’avait éblouie dans une Walkyrie très émouvante, tout à la fois forte et fragile, autant peu à peu, je lui ai trouvé un style et un timbre générique, avec peu de nuances et une couleur assez uniforme du timbre. Sur la scène elle n’est pas très à l’aise avec son personnage d’Aida et semble souvent ne pas savoir très bien comment l’incarner. Le timbre reste cependant très beau et les difficultés sont affrontées avec succès mais l’on n’est pas vraiment touché par sa princesse éthiopienne réduite en esclavage et amoureuse du chef de guerre. Je n’avais jamais entendu Riccardo Massi, et physiquement il en impose, prenant une tête à tous ses partenaires. Le crâne rasé ne l’avantage pas spécialement, lui donnant un look qui est assez éloigné de l’image de jeune premier généralement arborée par Radamès (et tout particulièrement Munich où j’ai eu la chance d’y voir Jonas Kaufmann alors au mieux de sa forme, il reprend d'ailleurs le rôle dans cette mise en scène en avril 2024 à Munich). Il y a peu d’interaction avec aucune de ses partenaires, il semble assez statique comme « sonné » par les aventures qu’il vit sur scène. Vocalement, il se défend -belle voix, beau timbre, aigus faciles- sans grand subtilité cependant, sans nuances, adoptant le style « spinto » qui fait de Radamès un guerrier un peu brut de décoffrage, ce qui est assez contradictoire avec le fait que son premier air est un hymne à l’amour (Celeste Aida). Il n’est pas facile de multiplier les facettes possibles en s’appuyant sur la partition (et sur la mise en scène quand c’est possible), mais Radamès est un héros fragile aux sentiments plus forts que la gloire ce qui n’est pas banal rapporté aux mœurs de l’époque même si…
George Petean chante bien, lui aussi mais lui aussi, peine à trouver un jeu efficace sur scène et de fait, c’est un « moins » dans la soirée, même si on peut supposer que les choix, non partagés manifestement, de Michelietto ont contribuer à ce sentiment d’inachevé.
Heureusement, il y a les excellents seconds rôles de la troupe de Munich, parmi lesquels on distinguera le roi d’Alexandros Stavrakakis et le messager Andrés Agudelo. Et heureusement,
il y a Daniele Rustioni qui semble avoir son rond de serviette à Munich puisqu’il a dirigé plusieurs séries de représentations cette saison (dont la Fanciulla del West que j’ai vue en salle en octobre dernier) et qui court partout cet été, puisqu'il dirigeait Lucie de Lammermoor le lendemain à Aix en Provence. Il sait mettre de l’animation et diriger cet orchestre superbe et ces chœurs magnifiques. Et puis la partition de Verdi est l’une des plus belles alors… rien que pour ces moments musicaux sublimes, cette représentation valait le coup.
Bravo pour cette belle retransmission, qui nous a « tout » montré, outre la présentation en ouverture sur les marches de la belle maison que je connais si bien, le montage complexe des décors, quelques interviews sur le vif, l’installation des fameuses trompettes et la sortie des artistes le soir tombant pour saluer les spectateurs du dehors…
Oper für Alle, disponible en VOD
Direction musicale Daniele Rustioni
Mise en scène Damiano Michieletto
Scénographie Paolo Fantin
Costumes Carla Teti
Vidéo rocafilm
Chorégraphie Thomas Wilhelm
Lumières Alessandro Carletti
Chœurs Johannes Knecht
Dramaturgie Katharina Ortmann et Mattia Palma
Amneris Judit Kutasi
Aida Elena Stikhina
Radamès Riccardo Massi
Ramfis Alexander Köpeczi
Amonasro George Petean
Le roi Alexandros Stavrakakis
Un messager Andrés Agudelo
Une prêtresse Elmira Karakhanova
Orchestre de l'État de Bavière
Chœur de l'Opéra d'État de Bavière et chœur supplémentaire de l'Opéra d'État de Bavière
Crédit photographique © Wilfried Hösl
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