Lucia Di Lammermoor - Donizetti - Munich - 9 décembre 2017

Lucia Di Lammermoor

Gaetano Donizetti

Livret de Salvadore Cammarano d’après le roman de Walter Scott “la Fiancée de Lamermoor”.


Séance du 9 décembre 2017, opéra de Munich.

Direction musicale : Antonino Fogliani
Mise en scène : Barbara Wysocka
Décor : Barbara Hanicka
Costume : Julia Kornacka
Dramaturgie : Malte Krasting, Daniel Menne
Choeurs : Stellario Fagone



Avec

Lord Enrico Ashton : Ludovic Tézier
Lucia Ashton : Adela Zaharia (Olga Pudova les 12 et 15 décembre)
Sir Edgardo di Ravenswood : Piotr Beczala
Lord Arturo Bucklaw : Galeano Salas
Raimondo Bidebent : Nicolas Testé
Alisa : Alyona Abramowa
Normanno : Sergiu Saplacan

Bayerisches Staatsorchester
Choeur du Bayerischen Staatsoper

A noter : nouvelle reprise en mai 2018, avec cette fois
Lord Enrico Ashton : Mariusz Kwiecień
Lucia Ashton : Venera Gimadieva
Sir Edgardo di Ravenswood : Juan Diego Flórez

Cette production de Lucia, mise en scène par Barbara Wysocka, a été présentée pour la première fois à Munich le 1er février 2015, sous la direction du directeur musical de l’opéra, Kiril Petrenko, et avec Diana Damrau dans le rôle titre, Pavol Breslik (Edgardo), Luca Salsi (Enrico), Georg Zeppenfeld (Raimondo).


Pavol Breslik, Diana Damrau, Acte 1


J’avais pu en voir (et apprécié) la retransmission d’alors en livestream proposée par l’opéra. J’étais donc contente de pouvoir la voir en vrai dans cette reprise de luxe et je n’ai pas été déçue.

Reprenant les informations données par Luc Roger sur ODB,* à l’époque, je soulignerai d’abord la réussite de la “transposition” faite et surtout du décor unique, copié de la photo d’un hôtel luxueux des années 50, désormais en ruines dans le Détroit de la crise économique.

L’histoire va en effet se dérouler en costumes, accessoires et références des années 50, avec un Edgardo très James Dean, une Cadillac d’époque, un Enrico très riche propriétaire défendant des intérêts financiers avant tout, une Lucia très Veronika Lake en long fourreau blanc lamé et son double faire valoir, l’Alisa en rouge cerise, dans un décor de fin de siècle. Au début de l’opéra, pendant l’ouverture, un long cortège funèbre défile tristement. L’enterrement des rêves de Lucia, de ses amours contrariées mais aussi la fin d’une époque, celle du glamour des années 50.
Une petite fille symbolise la petite Lucia, innocence trahie et mariée de force pour des intérêts de pouvoir. Plusieurs scènes donneront tout son sens au parti pris de la metteur en scène et de la décoratrice. Lucia brandit un revolver, celui avec lequel elle a tué son mari quand elle a sombré dans la folie, elle en menace la foule avant de le retourner contre elle. Sa robe est restée intacte, pas de ces flots d’hémoglobine habituels pendant la scène de la folie mais une froideur glacée qui entoure l’héroine éperdue et le divin glass harmonica qui l’accompagne dans l’issue fatale. Cela donne toute sa place à la performance la plus attendue de toute Lucia, le fameux “Dolce suono”.
A l’inverse le personnage d’Edgardo, très blouson de cuir de l’Equipée sauvage ou de la Fureur de vivre (avec une cadillac capricieuse qui n’a pas voulu démarrer quand il est censé s’en aller à la fin de l’acte 1, énorme rigolade du public... et applaudissements), souffre dans sa chair, chemise ensanglantée après son combat avec Enrico et tenue déchirée.
Enrico a le double aspect du notable riche et sérieux, qui fait des affaires, et du frère persuasif voire menaçant qui se refuse à comprendre les états d’âme de sa folle de soeur.

La mise en scène a été très controversée il y a deux ans mais elle est devenue “classique” après plusieurs reprises et ne semble plus déranger personne.

La direction musicale d’ Antonino Fogliani ne vaut pas celle de Petrenko, elle est plus lourde, et surtout, il y a eu pas mal de décalages des choeurs au début de l’opéra. Mais dans l’ensemble les qualités de l’orchestre et des choeurs, des solistes et notamment du glass harmonica, font merveille au cours de la soirée. Notons également un magnifique sextuor où les chanteurs sont tous placés face au public (“Chi mi frena in tal momento” "T'allontana sciagurato »)

Le plateau vocal est de classe internationale comme on dit, sauf la jeune interprète de Lucia qui remplaçait Diana Damrau souffrante, et n’a pas encore une longue expérience des scènes de prestige.
Disons d’emblée qu’elle a convaincu dans ce rôle, y compris par l’originalité et la personnalisation de son interprétation. Elle s’appelle Adela Zaharia et il faut noter son nom. Elle nous a en effet proposé une délicieuse Lucia, jeune, fraîche, sobre et émouvante. Vocalises en place, à qui il ne manquait rien et qui a été à juste titre ovationnée par le public de Munich conquis. Et c’est peut-être ce dépouillement que choisit la mise en scène, celui d’une Lucia qui porte toujours son impeccable fourreau pailleté blanc, cheveux très bien coiffés pour le mariage, l’air “normal” malgré ses gestes et ses paroles, qui fait mouche sur le public parce que la situation est crédible tout en rompant avec l’image habituelle d’une Lucia échévelée, en robe chemise de nuit blanche couverte de sang. Question chant, la voix est belle et saine, se déployant magnifiquement dans les aigus avec de belles vocalises. On peut trouver plus époustouflant et plus risqué, mais Adela Zaharia sait créer l’émotion et le public l’en remercie par une très longue ovation. Elle a bien sûr bénéficié d’un a priori bienveillant ce qui ne veut pas dire qu’elle a démérité bien au contraire.
Notons pour l’anecdote que la jeune soprano est si grande (de taille) qu'elle dépassait tous les hommes et notamment son tout petit mari incarné par Galeano Salas, parfait dans le rôle d’ailleurs.



 J’ai quelques réserves par contre sur la prestation globale de Piotr Beczala (malgré de très beaux moments , assez monolithique, chanté en force sans trop de nuances mais avec un bel engagement scénique. Décidément ce rôle est assez casse-gueule. Il nécessite une aisance dans les aigus et même dans les vocalises, qui n’est pas le fort du ténor Polonais qui a donc tendance à forcer le timbre pour passer les difficultés et ce n’est pas très beau. Son final est trop appuyé même s’il sait mettre de la douleur et de la souffrance dans sa voix (ce qui en faisait un bon Lenski et un bon Werther), il ne sait pas toujours jouer des nuances nécessaires à exprimer son désespoir et sa mort. Il est probable que Beczala recherche en ce moment, sa voie : il s’essaie à plusieurs prises de rôle, dont un Maurizio récemment, inégal à mon sens (mais je n’ai entendu que la retransmission audio qui montrait un fort vibrato que je n’ai pas retrouvé sur scène). Il aborde également Don José au cours de l’année.



J’avais déjà vu  Ludovic Tézier deux fois en Enrico et j'avais très envie de le revoir dans un rôle qu'il maitrise parfaitement et qu'il chante très bien. Port royal et très beau phrasé, timbre clair et bien projeté, diction impeccable, le baryton français domine son sujet. Tout juste peut-on regretter un peu de raideur sur scène qui rend son personnage taillé d’un bloc et imperméable à tout sentiment ce que n’est pas exactement Ashton dont le nom est rayé si haineusement sur le mur dans le fond de l’immense salle délabrée où tout se déroule.

Nicolas Testé est formidable dans un rôle beaucoup moins important, celui de Raimondo Bidebent. On le remarque dès qu’il ouvre la bouche, sans doute parce que la voix est belle et que le ton y est, mais aussi parce qu’il possède sur scène ce charisme qui fait qu’on le voit au milieu d’une foule et qu’on le suit aussitôt des yeux. Je le trouve en général très sous-employé....

Sergiu Saplacan, ténor Roumain qui chante souvent en Allemagne et tout particulièrement à Hambourg, se débrouille très bien également du rôle de Normanno qu’il chante souvent, et est une véritable tête à claque en premier de la classe (mise en scène oblige). Amusant et bien chantant, il est lui aussi très à sa place dans l’ensemble tout comme Alyona Abramowa en Alisa.

Les saluts chaleureux, remerciant toute l'équipe pour un beau spectacle







Les petits plus pour ce Lucia

Un "sextuor" de référence....


Deux "fra poco a me recovero"









"il dolce suono"


"mad scène" 


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