La Traviata - Verdi - ONP Bastille - 8 février 2018
La Traviata
Opéra en trois actes (1853)
Livret : Francesco Maria Piave D'après Alexandre Dumas Fils, La Dame
aux camélias
Direction musicale : Dan Ettinger
Mise en scène : Benoît Jacquot
Avec
Violetta Valéry : Marina Rebeka /Anna Netrebko 21, 25, 28 fév.
Flora Bervoix : Virginie Verrez
Annina : Isabelle Druet
Alfredo Germont : Rame Lahaj / Charles Castronovo 21, 25, 28 fév.
Giorgio Germont : Vitaliy Bilyy /Plácido Domingo 21, 25, 28 fév.
Gastone : Julien Dran
Il Barone Douphol : Philippe Rouillon
Il Marchese d'Obigny : Tiago Matos
Dottore Grenvil : Tomislav Lavoie
Décors : Sylvain Chauvelot
Costumes : Christian Gasc
Lumières André Doit
Chorégraphie Philippe Giraudeau
Chef des Choeurs : Alessandro Di Stefano
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Acte deux |
Mardi soir, du haut du deuxième balcon, pour le Bal masqué, l’acoustique était
excellente et nous avions l’interprétation exceptionnelle de Sondra Radvanovsky
dont on peut mesurer à chaque note, l’incroyable technique (notes filées
crescendo et descrenscendo notamment). Le ténor Piero Pretti tout en manquant de
couleurs dans le timbre, a une voix claire et sûre qui remplit sans peine la
grande salle.
Mais hier, jeudi pour la Traviata, bien qu'étant au cinquième rang du parterre côté cour et j’ai souffert des distorsions d’acoustique incroyables de cette
salle. L’orchestre lui même sonnait mal et les chanteurs perdaient quelques
décibels dès qu’ils tournaient le dos à la salle ou s’éloignaient du bord de la
scène.
La fabuleuse ouverture de la Traviata qui résume en quelques thèmes
la tragédie en marche avant de laisser la place aux notes légères de la fête
puis du Brindisi, m’a paru terne et légèrement décalée, avec des tempi beaucoup
trop lents et une absence de couleurs préjudiciables. Ca ne commençait donc pas
très bien d’autant qu’il est très vite apparu que l’interprète d’Alfredo, Rame Lahaj, n’avait pas tout à fait le format requis pour Bastille dans le rôle complexe d’Alfredo que
peu de ténors, à l’heure actuelle, sont capable d’interpréter avec ses
évolutions sentimentales et humaines et ses différents registres vocaux.
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Acte 1- Brindisi |
J'ai trouvé Dan Ettinger très inégal dans la direction (ouverture assez ratée par exemple et tempi
très lents...), et l'orchestre pas très en forme. A part Violetta, les
autres sont un peu sous-calibrés pour Bastille et depuis le rang 5, côté cour,
quelle déformation d'acoustique. Des sauts de décibels pour les chanteurs selon
qu'ils regardent la salle ou tournent le dos, selon qu'ils sont au bord de la
scène ou plus loin et des distorsions dans l'orchestre même entre la cour et le
jardin...
Et de ce point de vue la mise en scène et les décors n’aident pas
les artistes à tel point qu’on se demande à quoi servent les répétitions et
diverses séances de travail qui sont censées permettre au metteur en scène de
se rendre compte des problèmes qu’il pose aux chanteurs selon leur “situation”
sur la scène.
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Acte deux |
On sent qu’ils sont plus tentés par une utilisation abusive et
grandiloquente de l’immense espace du plateau de la Bastille que par le fait de
construire un décor adéquat à des chanteurs dont la projection naturelle est
plus appropriée aux salles à l’Italienne qu’au hall de gare de Bastille où le
son se perd et se disperse très rapidement.
Cette longue introduction, tout simplement parce que cela fait la
6ème ou 7ème fois que je vois cette Traviata mise en scène par Jacquot à
Bastille et que, quelque soit le ténor (de Demuro à Hymel), l’acoustique lui
est fatale. C’est un peu plus inégal pour les barytons, Domingo et Tézier parvenant
à emplir la salle sans problème, mais ni Piazzola, ni jeudi dernier, Vitaliy
Bilyy, que j’ai pourtant entendu et apprécié en Conte de Luna à Munich
(notamment) et qui ne m’avait pas fait l’effet d’être une “petite voix”.
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Brindi acte un |
Problème donc que ces décors imposants, écrasants qui laissent filer
les voix en l’absence de panneau de fond de scène et placent trop souvent les
chanteurs à mi-scène (près du lit géant, près de l’arbre géant).
La scène la plus réussie de tous les points de vue, qui laissait
entrevoir ce qu’aurait pu être cette bonne distribution dans d’autres
conditions acoustiques, fut logiquement celle de la monnaie. D’une part parce
qu’elle est précédée d’une très grande réussite de la mise en scène Jacquot,
les deux choeurs des Bohémiennes et des Matadors, d’autre part parce que la
scène est située côté cour, là où j’étais, qu’un escalier géant coupe la fuite
des voix efficacement, et enfin parce que les protagonistes se tiennent devant
l’escalier, quasiment au bord de la scène.
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acte deux, les choeurs |
En conditions acoustiques parfaites, on apprécie tout à la fois : la
formidable direction d’acteurs, le savoir-faire des artistes dans les
ensembles, la qualité des choeurs, la beauté de l’Alfredo émouvant et crédible
du ténor kosovar Rame Lahaj, le caractère du Germont père de Vitaliy Bilyy, et
les très bons seconds rôles presque tous présents lors de cette scène.
Malgré toutes ces réserves, j’ai passé une très bonne soirée, tout
simplement parce que la Traviata est un opéra phénoménal quand il est bien
joué/bien chanté. Sans affectation, avec qualité et intelligence, l’ensemble
des artistes était au service du plus beau Verdi, et, là aussi, malgré une
direction parfois brouillone et décevante, Dan Ettinger est resté attentif aux
chanteurs, donnant à partir de la deuxième partie de l’acte 2 et pour le final,
le meilleur de lui-même.
Et puis parce qu’en Violetta, Marina Rebeka, sans être une
superstar, offre une lecture très volontaire de la jeune fille qui va se
sacrifier pour qu’Alfredo puisse vivre sa vie de jeune homme de bonne famille
en paix. J’aime bien cette lecture, peu “pleurnichade” et très décidée,
courageuse et fière, qui fait de Violetta une bonne candidate pour la tragédie
et la renvoie à toutes ces héroines qui meurent debout à l’opéra.
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Marina Rebeka |
La voix est belle, large, pulpeuse, les aigus rayonnants, les
vocalises soignées. Elle nous a même donnés quelques bons son filés dans son
“addio del passato” très émouvants et superbes. L’artiste est belle, joue
magnifiquement bien et... meurt très bien. Quelle rage de vivre dans un final
très très prenant, où elle ne tombe qu’à l’ultime seconde, nous laissant croire
un soupçon de fraction de temps, qu’elle survivra parce qu’elle le veut.
Elle est une Violetta façon Yoncheva, que j’ai vue il y a deux ans
au même endroit et qui m’avait inspiré la même réflexion.
Rame Lahaj a pour lui, un jeu scénique très inspiré qui rappelle les
meilleurs Alfredo que j’ai vus (il y a quelques années déjà parce qu’hélas
depuis quatre ou cinq ans, je cherche en vain un bon Alfredo). La voix ne suit
pas toujours malheureusement mais il y a de très grands moments, en particulier
la scène de la monnaie déjà citée et le final. Mais l’Alfredo lyrique de la
première moitié de l’opéra est vocalement très insuffisant : peu de legato, une
crispation sur les notes, de petits écarts de justesse, peu d’italianisé.
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Rame Lahaj |
Et c’est un peu le même problème pour Vitaliy Bilyy, qui force un
peu sur sa voix pour passer la rampe manifestement, au détriment du legato
indispensable au rôle. La scène la plus belle de Germont père son “"Di
Provenza il mar, il suol" (l’un des plus beaux airs écrit pour un baryton)
n’est pas un must de ce point de vue... Dans cette mise en scène, le premier
baryton entendu, Ludovic Tézier reste le meilleur, Placido Domingo, entendu
deux ans plus tard, étant le plus charismatique incontestablement mais ne m’ayant
jamais donné l’impression de chanter vraiment Germont Père....
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acte deux |
Je voudrais féliciter ici l’excellence des second rôles à commencer
par la superbe Virginie Verrez en Flora, Isabelle Druet en Anina, Julien Dran en
Gastone et Philippe Rouillon en Il Barone.
A voir pour le plaisir d’une Traviata de bonne tenue malgré ses
insuffisances, et en attendant le déferlement des superstars avec les trois
séances Netrebko-Domingo. J’y serai le 21 et me risquerai à une... comparaison.
Et je crois que je ferai un effort pour ovationner un peu Castronovo qui risque
de se sentir un peu seul au milieu de ces deux monstres sacrés que le public va
longuement ovationner à chacun des airs emblématiques même s’ils ne seront pas
les meilleurs dans ces rôles à mon avis...
Le petit plus du blog
Dans la mise en scène de Willy Decker
Marina Rebeka au MET en 2014
Anna Netrebko à Salzourg en 2005
En hommage à Hvorostovoski, avec Anna Netrebko et Jonas Kaufmann (2008, ROH)
Et enfin, la meilleure à ce jour...
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