Siegfried 

Le Ring, Richard Wagner

Samedi 22 septembre, Philharmonie de Paris

Orchestre du Mariinsky
Valery Gergiev, direction

Mikhaïl Vekua, Siegfried
Andreï Popov, Mime
Roman Burdenko, Alberich
Elena Stikhina, Brünnhilde
Evgeny Nikitin, Le Wanderer
Mikhaïl Petrenko, Fafner
Zlata Bulycheva, Erda
Anna Denisova, Waldvogel
Marina Mishuk, chef de chant

Durée : environ 5h00 avec 2 entractes

L'Or Du Rhin et Die Walküre avaient donné lieu à de très belles représentations du Mariinsky de Saint-Petersbourg au même endroit, en mars dernier
Voir : http://passionoperaheleneadam.blogspot.com/2018/03/le-ring-lor-du-rhinla-walkyrie-valery.html




Les amoureux inconditionnels du "Ring" trouvent l'ensemble du cycle cohérent et sans temps mort, mais pour beaucoup de mélomanes un tout petit peu moins wagnérophilâtres, l'opus qui contient le plus de "tunnels", est précisément la deuxième journée du Ring, le fameux "Siegfried", l'éducation et le parcours initiatique du fils des jumeaux maudits de Wotan.
Aussi improbable que cela puisse paraître, hier soir, j'ai trouvé ça presque trop court...
La réussite de cette version-concert tient à plusieurs ingrédients qui fusionnent dans un creuset géant et vous entraînent dès la première scène, entre Siegfried et Mime, à littéralement "voir" les scènes que les héros décrivent ou dont ils font les récits émouvants, passionnés, ou épiques.
C'est tout juste si l'ours ne s'invite pas entre Siegfried et Mime...

Cet étrange phénomène rend la version-concert d'une efficacité redoutable tant le spectateur se concentre sur la musique, les paroles, une gestuelle minimaliste mais signifiante (les artistes ne se déplacent pas mais "bougent" sans cesse), une diction, un phrasé, des expressions entièrement au service du récit et de l'action. C'est vrai pour la fabuleuse équipe de chanteurs du Mariinsky mais c'est vrai aussi pour les instrumentistes, pris ensemble ou séparément, et leur chef, véritable démiurge qui insuffle la vie avec une force impressionnante.


Je n'ai pas toujours en tous lieux apprécié le Wagner de Gergiev, mais hier soir à la Philharmonie de Paris, je l'ai trouvé dans son élément sans la moindre réserver (bon, évidemment, ce n'est pas tout à fait la légèreté cristalline et transparente de Petrenko mais c'est une interprétation d'une grande homogénéité, avec beaucoup de couleurs, d'une intensité dramatique (avec ses moments "drôles") très "prenante".

L'orchestre du Mariinsky, qu'il a formé, forgé depuis des années, fait un travail remarquable, installé en formation "gergiévienne", cuivres resserrés à droite (en regardant la scène), cordes en deux rangs parallèles à gauche (ce qui fait qu'on a des violons jusqu'en haut côté public), chanteurs disposés en hauteur derrière l'orchestre (et au-dessus), pour permettre aux voix de n'être jamais couvertes par les redoutables cuivres, même quand ceux-ci nous donnent les thèmes les plus dramatiques et les plus lourds. J'aime quand on entend chaque instrumentiste presque comme un soliste et que chaque chanteur fait partie de cet ensemble, car alors le récit s'entremêle totalement à la musique et l'oeurve de Wagner, telle qu'il l'a conçue, prend tout son sens.
Pourtant la conception de la salle de Bayreuth est exactement à l'opposé puisqu'on n'y voit pas l'orchestre. On ne peut donc pas vraiment soutenir l'idée que cette disposition aurait eu l'aval du maître. Mais bon. J'ai presque redécouvert certains fabuleux passages de ce Siegfried et je suis totalement entrée dans la représentation sans la moindre réserve, sans la moindre fatigue...

Question voix, tout en n'étant pas dans un grand classicisme, le Mariinsky nous propose quelques uns de ses jeunes chanteurs absolument passionnants, et puis c'est un vrai plaisir de découvrir (ou presque) de jeunes wagnériens aussi talentueux qui possèdent à ce point l'art du récit, le sens du Lied et celui des envolées dramatiques avec d'aussi belles et saines voix.


Ainsi par exemple en est-il de Anna Denisova (l'oiseau), à la voix acidulée, fraîche et naïve mais très sonore et très colorée, qui franchit tous les murs du son pour raconter son avenir à Siegfried en vous remuant au plus profond de vous-même, tout le Ring, ses drames et l'intensité de son récit, redéfilent devant vous tandis que Siegfried vous arrache des larmes.Mikhaïl Vekua est en effet un Siegfried très attachant. Il était Siegmund dans la Walküre (déjà très impressionnant). Il n'a pas forcément tout à fait le format vocal des Siegfried les plus héroïques mais il compense largement par une très intelligente négociations de ses moyens au service d'un Siegfried qui sait se faire ingénu, éperdu, prendre une petite voix éplorée, découvrir devant vous ses malheurs, avant de se révolter et de toiser successivement avec un très beau volume de voix (et un timbre superbe) Mime, le Wanderer et le dragon (Michail Petrenko magistral avec sa belle voix de basse pour un rôle trop court...).
Andreï Popov était déjà Mime dans l'Or du Rhin. Il était déjà génial, terriblement l'aise avec ce rôle, grinçant et sardonique au possible, menteur, hâbleur et finalement jeté aux poubelles de l'Histoire. Et quelle voix ! Quelle agilité pour servir sa partition. On en reste confondu de tant d'aisance.
Roman Burdenko est un très bel Alberich, voix magnifique et grande présence lui aussi mais c'est Evgeny Nikitin en Wanderer qui marque la soirée côté baryton, par sa belle voix retrouvée (il avait été un Wotan au bout de ses forces vocales en mars dernier), et sa belle présence qui fait notamment du duo (presque) final avec Siegfried un immense moment de l'opéra, annonçant la fin du monde des dieux avec une force incroyable juste avant le sublime réveil de Brünnhilde. Et là, bon, sortez les mouchoirs... Elena Stikhina, qui ne chantera pas Brünnhilde dans le Crépuscule, est renversante, sidérante, je n'ai pas assez d'adjectifs pour décrire sa prestation mais elle et Vekua nous ont donné un final comme rarement entendu. Les voix ont su enfler pour envahir toute la salle et nous donner des frissons, mais elles sont su aussi se faire toute douces, lyriques, incarner merveilleusement l'état de Siegfried découvrant la peur avec l'amour (et les femmes) et celui de Brünnhilde s'éveillant après un si long sommeil pour découvrir son héros et le monde, presque comme une toute jeune fille à l'aube de sa vie. Faire de ce difficile final, un moment de grâce pareil est assez rare. Il faut sans doute des interprètes qui n'adoptent pas certaines traditions "hurlantes" du wagnérisme tout en nous proposant des voix qui se projettent parfaitement, même en pianissimo.

Et je n'oublierai pas non Zlata Bulycheva en Erda, une mezzo soprano plutôt contralto donc particulièrement adéquate au rôle qui nous donne elle aussi, beaucoup d'émotions dans son dialogue avec le wanderer, ces instants où les mots "poids du destin" prennent tout leur sens dans son port altier et son chant désespéré. Que c'est beau...

Merci au Mariinsky de venir nous voir pour ce Ring complet et vivement ce soir....

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