Das Lied von der Erde - Jonas Kaufmann - Baden Baden - 20 janvier 2019

Das Lied von der Erde

Gustav Mahler



Jonas Kaufmann – ténor
Jochen Rieder – direction musicale
et le Simphonie orchester de Bâle

Programme : 
Rendering pour orchestre (Luciano Berio/Franz Schubert)
- Das Lied von der Erde (Le Chant de la terre) (Gustav Mahler)
Détail :
Das Trinklied vom Jammer der Erde (« Chanson à boire de la douleur de la terre »), poème de Li Bai
Der Einsame im Herbst (« Le Solitaire en automne »), poème de Qian Qi
Von der Jugend (« De la jeunesse »), poème de Li Bai
Von der Schönheit (« De la beauté »), poème de Li Bai
Der Trunkene im Frühling (« L’Ivrogne au printemps »), poème de Li Bai
Der Abschied (« L’Adieu »), poèmes de Meng Haoran et Wang Wei

Das Lied von der Erde est une sorte de symphonie pour voix (au pluriel) que Mahler considérait d'ailleurs comme sa non-9ème symphonie. Cette oeuvre a été composée en 1907 et jouée pour la première fois en 1911 sous la direction de Bruno Walter à Munich.
 C'est une oeuvre violente et difficile, qui a été écrite pour deux voix (soit baryton, ténor, soit contralto, ténor). Il en existe de très nombreux enregistrements.
Jonas Kaufmann quant à lui l'a enregistré à la Philharmonie de Berlin, sous la direction de Claudio Abbado, avec Anne-Sophie Von Otter (enregistrement disponible sous le label de la Philharmonie de Berlin, digital concert- https://www.digitalconcerthall.com/de/concert/2922)
Le ténor Munichois l'a également souvent chanté avec diverses partenaires (Stuttgart 1999, Edinburgh 2002, Paris Chatelet 2004 avec Joswig, Berlin 2006, Berlin 2011, festival de Salzburg 2012... avant de décider d’en chanter les deux parties à Vienne puis à Paris en mai 2016 : un enregistrement en est sorti.

La tournée actuelle (janvier 2019) a comporté six concerts, un tous les deux jours, généralement précédé de « Also Sprach Zarathustra » (Richard Strauss) en première partie et de « Rendering » (Schubert/Berio) pour ce dernier concert à Baden Baden







Concert du 20 janvier 2019 à Baden Baden
On oubliera la première partie pour saluer la seconde avec l'émotion partagée par toute une salle pour ce dernier concert d'une tournée aussi audacieuse que réussie. Jonas Kaufmann a peaufiné son interprétation pour terminer avec l'Abschied (adieu) dans un état de concentration extrême traduisant magnifiquement le caractère étrange de la poésie, cet adieu profond et bouleversant qui se termine par cet "Ewig" (éternellement...) chanté sept fois au son du célesta. Eternité d'une profondeur insondable, suivie d'un long silence avant l'explosion des applaudissements.
Dès l'entrée en matière et le superbe "Das Trinklied vom Jammer der Erde",chant d'ivresse, la voix de Kaufmann explose littéralement dans la salle du Festspielhaus, tout à la fois héroïque et colorée, se jouant de l'orchestre de Bâle que Rieder tient de main de maitre dans un registre de dialogue ménageant son chanteur avec un soin méticuleux. Ayant réécouté à l'occasion des cinq ans de la disparition de Claudio Abbado, ce même air, chanté déjà par Kaufmann, à la Philharmonie de Berlin avec l'orchestre de Berlin en 2011, j'ai d'ailleurs pu remarquer l'aisance et l'assurance qu'avait pris le ténor depuis lors dans l'exécution de ce premier Lied sans cesse bousculé par la musique complexe de Mahler et son orchestre aux couleurs chatoyantes. Il faut tout l'art du Lied et de l'excellence de la prononciation allemande de Kaufmann pour percevoir sous l'ivresse, la tristesse, la mélancolie, la mort (Dunkel ist Das Leben, ist der Tod - sombre est la vie, sombre est la mort). Ce "Tod" dont le "d" final se prononce "t", est littéralement "expulsé" par le chanteur qui en souligne alors l'insondable fatalité avec une force inouïe.
Les deux autres "Lieder impairs", ceux de la partie "ténor", le très court et percutant "Von der Jugend" qui décrit un paysage chinois et le retour à l'ivresse avec "Der Trunkene im Frühling " sont magistralement exécutés, Kaufmann sachant accélérer le débit des paroles pour donner l'impression de répétition dans la description puis de précipitation et d'ivresse, avec un talent sans pareil.
Les deux premiers Lieder "pair" réservés normalement à une voix de contralto, "Der Einsame im Herbst" et "Von der Schönheit" sont des mouvements lents, empreints de romantisme, où l'accompagnement musical se fait plus sage et le tempo ralentit (peut-être de trop hier ...). La tessiture de ténor est évidemment un tout petit peu à la peine, surtout dans les graves, mais la poésie qui se dégage de ces moments lents est intacte et l'art de Kaufmann permet de passer quelques superbes mezzo voce suivies de crescendo sublimes qui colorent une partition sinon un tout petit peu terne (ce qu'elle n'est pas, chantée par une contralto). C'est manifestement ce que Jonas Kaufmann a travaillé avec acharnement : la faculté de changer de voix et de style selon les Lieder. Et le résultat est très impressionnant.
Mais c'est surtout le dernier Lied, non prévu pour ténor, le plus beau "Der Abschied" celui qu'il voulait absolument chanter et qui est à l'origine du projet tout entier, dans lequel Kaufmann excelle et surprend totalement. On sent un immense travail sur chaque phrase, chaque inflexion nécessaire, un souci du détail de l'exécution d'une intelligence musicale extrême qui fait de ce poème, presque une redécouverte.
La voix est en grande forme et je dirai même, en progression impressionnante ces derniers mois malgré (ou à cause ?) de sept Otello, suivis de 2 Eisenstein et de 5 concerts "Le chant de la terre" avant celui-ci, le tout en moins de deux mois. 
Le timbre est sombre, c'est sa signature vocale, mais les aigus sont éclatants de santé et bouleversants et son art de la nuance, inégalé. Ce qui en fait un immense interprète.
Un très grand concert pour un ténor décidément hors norme dans l'éclectisme de son répertoire.
Kaufmann reprend le chemin de Munich presque aussitôt pour quelques séances d'une reprise du Fidelio de Beethoven, dans la mise en scène de Bieito, sous la baguette de Kiril Petrenko.(pour lequel je n'ai pas eu de places)

PS : Notons qu'il a fait au moins deux émules dans l'exercice : Pavol Breslik et Michael Spyres.

Le petit plus 






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