Die Fledermaus (La Chauve-souris) - Johann Strauss - Semperoper de Dresde - 29 et 30 décembre 2018

Die Fledermaus (La Chauve-souris)

De Johann Strauss II


Opérette en trois actes sur un livret de Karl Haffner et Richard Genée. D’après Le Réveillon de Henri Meilhac et Ludovic Halévy.
Créée au Theater an der Wien le 5 avril 1874.

Jonas Kaufmann | Eisenstein
Elisabeth Kulman | Le prince Orlofsky
Andreas Schager | Alfred
Rachel Willis-Sørensen | Rosalinde
Nikola Hillebrand | Adele
Tahnee Niboro | Ida
Sebastian Wartig | Dr. Falke
Michael Kraus | Frank
Beomjin Kim | Dr. Blind

Sky du Mont | Présentateur
Christine Schütze | Présentateur

Sächsischer Staatsopernchor
Sächsische Staatskapelle Dresden

Franz Welser-Möst | Chef d'orchestre

"Highlights"
Ouverture
I, "Täubchen, das entflattert ist"
I, "Nein, mit solchen Advokaten"
I, "Komm mit mir zum Souper"
I, "So muss allein ich bleiben"
I, "Trinke, Liebchen, trinke schnell"
II, "Ein Souper heut' uns winkt"
II, "Ich lade gern mir Gäste ein"
II, "Ach, meine Herrn und Dame / Mein Herr Marquis"
II, "Dieser Anstand, so manierlich"
II, "Csárdás - Klänge der Heimat"
II, "Im Feuerstrom der Reben"
II: "Genug damit, genug!"
III, "Spiel' ich die Unschuld vom Lande"
III, "Ich stehe voll Zagen"
III, "O Fledermaus, o Fledermaus"

Retransmission de la séance du 30 décembre à la télévision ZDF.

Strauss « fils » a déjà acquis ses lettres de noblesse à Vienne quand il compose cette « Fledermaus » (la Chauve-souris dans la version française). « Vienne sans Strauss, c’est l’Autriche sans le Danube « , aimait à dire Berlioz et il faut reconnaître qu’il est inimitable dans son art de la valse et de la Polka, dont l’ensemble de cette délicieuse opérette est ponctuée.
Cet art de la danse à trois temps, Strauss a su l’utiliser avec un talent incontestable qui en a fait rapidement une véritable star internationale. Encore aujourd’hui ses compositions sont parmi les plus connues, du Beau Danube bleu à Trisch trasch polka sont des incontournables du bal annuel à Vienne pour le nouvel an. Ces « amusements » dont la bonne société viennoise raffolait, était un peu la contrepartie aux crises et aux mutations profondes de la révolution industrielle d’alors. Et le moins qu’on puisse dire, est que c’est toujours finalement le cas. Donner du Strauss, et singulièrement cette délicieuse opérette, c’est redonner légèreté et peps à la vie, avec autant de jouissance que devant les bulles du meilleur champagne. 
L’Opéra Comique en avait donné une version française pour noël en 2015 sous la baguette de Marc Minkowski avec Stéphane Degout en Eisenstein, Philippe Talbot en Alfred, Chiara Skerath en Rosalinde, Sabine Deviehle en Adèle pour une série de représentations très réussies.

A Dresde, au Semperoper, l’événement était de taille puisque cette « Fledermaus » avait pour vedette Jonas Kaufmann, pour son premier Eisenstein et  c'était la fête ces 29 et 30 décembre. Cette Chauve-souris magnifiquement interprétée et formidablement jubilatoire terminait très brillamment l'année sans la moindre fausse note.
Bien plus qu'une version concertante, il s'agissait de fait d'une mise en espace savamment et élégamment orchestrée, costumes compris, subtils jeux de scène permanents, chanteurs maitrisant parfaitement leur rôle et très belle prise de son, prise d'images qui annonce sans doute un beau DVD à venir.
Il faut souligner qu’il s’agissait des « highlights » de l’opéra comme annoncé clairement sur l’affiche (voir le détail ci-dessus) donc des « grands airs et grands duos et ensembles » ce qui supprimait notamment tous les dialogues parlés, qui sont partie prenante de l’œuvre pour sa compréhension. Le choix a été fait d'avoir deux "présentateurs" expliquant les ressorts de l'action en cours de route. Leurs interventions sont assez ouvertement destinées à un public large dans le cadre de la retransmission télévisuelle et, sans doute, d'un futur DVD basé sur cette captation. 
Des incrustations présentent également les titres de chaque air ainsi que les interprètes. 
Mais c'est bien davantage qu'une succession d'airs grâce à la mise en scène et au jeu des artistes dans un ensemble très enlevé, tout en n'étant pas une représentation complète de l'opérette.
L'ensemble est particulièrement soigné avec l'arrivée, le départ et les déambulations, les mouvements, les pas de danse et l’expressivité des artistes sur le grand escalier blanc qui descend entre les musiciens ou au-devant de la scène. Notons aussi la présence très colorée, très « chic » et très "opérette" des chœurs féminins et masculins de derrière l'orchestre. Une vraie mise en scène pour une fausse "concertante" très éloignée des versions avec rangs d'oignons habituels des artistes, chacun derrière son pupitre. Costumes, décors, lumières tout va dans le sens d’un divertissement des yeux et des oreilles.
Enfin soulignons la prise de vue/prise de son de luxe : caméras mobiles à grande vitesse donnant l'impression que la scène toute entière valse avec la musique tourbillonnante de Strauss.
Le rôle d’Eisenstein qui n’a pas de grand air mais est omniprésent dans les duos et les ensembles, cheville ouvrière de l’ensemble de l’œuvre, peut-être distribué à un baryton « aigu » ou à un ténor possédant un solide médium, le tout avec un talent comique prononcé. Cétait particulièrement intéressant de voir et d'entendre Jonas Kaufmann dans sa prise de rôle en Eisenstein, virevoltant, drôle, enjoué, retrouvant presque sa voix de ténor "léger" allemand qu'il fut à ses débuts quand il chantait l'opérette (quel contraste incroyable avec son tout récent Otello "torturé" et dramatique). Le style du rôle se révèle lui convenir à merveille et une fois de plus, il surprend par ses capacités à s’adapter à des rôles souvent tenus par des voix moins spinto plus purement lyriques. La voix montre qu’elle a gardé la flexibilité nécessaire à l’emploi et comme le jeu, jamais outré mais assez démonstratif, donne tout son sens au personnage finalement victime de sa propre cruelle plaisanterie dans cette opérette plus grinçante que sucrée. Et on peut ajouter sans risquer de se tromper, qu’après les « épreuves » de sa série d’Otello, le ténor bavarois a carrément pris son pied dans cet exercice brillant. Une chose est sûre : apprendre ce nouveau rôle ne lui a posé aucun problème, son aisance sur scène pourrait laisser penser au contraire qu’il le chante depuis ses débuts !
Il était magnifiquement accompagné par la très brillante Rachel Willis-Sørensen, Rosalinde époustouflante, triomphante dans son air de bravoure « Csárdás - Klänge der Heimat » à l’acte 2 (pour lequel on regrette un peu la coupure des dialogues parlés qui l’explicite) et globalement très à l’aise elle aussi, voix corsée et aigus souverains, très joli jeu de scène et très grande complicité avec Jonas Kaufmann (Dieser Anstand, so manierlich). J’avais déjà entendu cette belle artiste : elle était Hélène dans les Vêpres à Munich en mars dernier puis l’été dernier (voir mon article dans ce blog), mais elle a également été très remarquée en Donna Anna dans une représentation de Don Giovanni du ROH l'an dernier retransmise au cinéma (idem).

Il faut aussi parler de l'étonnante Elisabeth Kulman en Prince avec ses sorties dans un russe impeccable et son magnifique air martial et viril, magistralement asséné « Ich lade gern mir Gäste ein «, de sa très belle voix de contralto avec le pouvoir de conviction de sa métamorphose en « homme », son aspect androgyne et son talent font merveille. Le rôle est parfois tenu par un contre-ténor…

J’ai été très impressionnée par la très jolie Adèle de Nikola Hillebrand, une jeune voix remarquable de soprano colorature légère et une très belle jeune femme. Elle remplaçait Tuuli Takala, souffrante, et sa très brillante prestation, là aussi avec une aisance confondante (Spiel'ich die Unschuld vom Lande), devrait lui faire connaître rapidement une notoriété dans les rôles de « soubrettes ».

Sebastian Wartig campe un Dr. Falke très astucieux dans son double-rôle d’ami qui va se venger du mauvais tour que lui a joué trois ans auparavant Eisensein, Kaufmann et lui formant un couple parfait niveau chant comme niveau jeu de scène, très belle entente.
Michael Kraus est également parfait en Frank tout comme l’amusant Beomjin Kim en Dr. Blind.
Mais le clou du spectacle m’a paru être la « confrontation » de Jonas Kaufmann à un autre des trois célèbres heldentenors germaniques de l'heure, Andreas Schager (Alfred) qui lui, a construit une très grande partie de sa carrière dans l'opérette. Et cela s’entend dès son premier air chanté hors scène et qui résonne superbement, la sérénade « Täubchen, das entflattert ist » que j’ai presque toujours entendue exécutée par un ténor lyrique léger. Et pourtant Schager sait prendre la voix « tenorissimo » du chanteur ultra-lyrique malgré ses années presque exclusivement wagnériennes.
Nos deux ténors wagnériens prouvaient brillamment qu'on peut chanter Parsifal et Strauss (le viennois...) sans problème et si leurs timbres sont assez différents (celui de JK toujours barytonant ce qui convient bien au rôle d'Eisenstein souvent interprété par des barytons et celui de Schager plus clair), leurs styles ont bien plus de points communs qu'on aurait pu l'imaginer avant de les entendre ensemble (en très grande complicité par ailleurs).
Mais tous les rôles, ainsi que que les choeurs, brillaient de tous leurs feux ce soir-là pour une très belle performance d'une gaieté contagieuse.
Après une ouverture brillante et fort applaudie, Franz Welser-Möst a donné de cette œuvre la lecture pleine d’humour et d’ironie qui lui convient, par une direction à la fois légère et pétillante en phase parfaite avec ses chanteurs. Sans atteindre le niveau idéal d’un Carlos Kleiber, il parvient à donner du corps et de l’esprit à cette œuvre qui n’est pas qu’une distraction même si elle se termine par un final rempli de gaité (« Fledermaus, Fledermaus »), en apothéose : champagne distribué par "Alfred" aux autres artistes et chef qui trinque avec la bouteille, pluie de confettis dorés sur la scène à la fin de l'opérette, tonnerre d’applaudissements.


Disponible en replay sur Medici TV.



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