Italienisches Liederbuch de Hugo Wolf - avec Diana Damrau et Jonas Kaufmann - CD ERATO

"Italienisches Liederbuch" 

d'Hugo Wolf

Diana Damrau, soprano
Jonas Kaufmann, ténor
Helmut Deutsch, piano


CD Erato - Warner - live recording du 18/2/2018 à Essen - sortie en janvier 2019

Après l'énorme succès du CD Sony Classical "An Italian night", sorti en septembre dernier, à partir de la captation (de luxe) de Sony lors de la soirée de la Waldbühne à Berlin en juillet 2018, c'est Warner, la maison de Diana Damrau qui sort à son tour un CD en ce mois de janvier 2019, autre captation soignée d'ailleurs, d'une des représentations de la tournée "Wolf" de Diana Damrau et Jonas Kaufmann.

Le CD "An Italian night" jouait déjà sur le "live" bien filmé et très bien enregistré, nous offrant finalement un son parfois plus juste et généralement beaucoup plus authentique que certains résultats "studio" récents de Sony que je trouve surfaits et fort peu naturels.
La Waldbühne (qui a donné lieu à un film passé en septembre dans des salles de cinéma combles et qui peut s'écouter en CD ou se voir en DVD), permet à Jonas Kaufmann de chanter quelques airs d'opéra en première partie avec une partenaire de grand luxe en la personne d'Anita Rachvelishvili. Leur complicité très ancienne puisqu'elle a début en Carmen à ses côtés en 2009 lors de représentations triomphales à la Scala de Milan, fait merveille, notamment dans les extraits de Cavaliera rusticana. La deuxième partie est consacrée à la chanson italienne ou sicilienne, art où Jonas Kaufmann donne une version rocailleuse et séduisante, même si les puristes la trouveront peu "italienne", où Anita Rachvelishvili se révèle excellente dans le genre, notamment dans le Caruso qu'elle chante seule avec une voix presque méconnaissable. Après quelques bis, le spectacle (et le CD) se termine pas un très brillant « Nessun Dorma » exécuté de main de maître par un Jonas Kaufmann en pleine forme vocale (et en maitrise idéale de ses fameux crescendo) puisque ce concert se situe entre quelques Parsifal et un Siegmund, sans parler de quelques autres concerts.


C’est à un tout autre exercice que se livre Jonas Kaufmann avec Diana Damrau et Helmut Deutsch dans ce récital de Lieder que les trois artistes revisitent très intelligemment, reconstruisant l’ordre initial pour en faire un véritable récit des affres, bonheurs et malheurs des amours d’un couple.
Ainsi la première partie regroupe-t-elle plutôt les courtes pièces comportant les déclarations d’amour, avec alternance entre lui et elle. C’est à la fois romantique et espiègle, les chanteurs-acteurs font merveille pour illustrer cette première partie printanière et faire saisir l’atmosphère des douces déclarations d’amour. Pour lui elle est plus belle que les plus beaux monuments d’Italie, elle le supplie de la voir en cachette si leurs amours sont interdites…et ainsi de suite et autant de toutes petites images un peu comme ces tout petits tableaux qui croquent chacun une situation, une comparaison, une déclaration. 
Le dernier vers est délicieux « dites-lui que sur une journée de 24 heures, elle me manque pendant vingt-cinq ».
La deuxième partie, c’est le temps des épines. On s’écorche, on se cherche noise. « Oh si tu savais qu’à cause de toi, renégate, j’ai souffert la nuit », « Malheureux que je suis ». Il se plaint, elle réplique : « Tes visites chez moi, je t’en fais cadeau/Va voir l’amoureuse qui te plaît mieux !/Qui donc t’a appelé, qui t’a fait venir ? ». il y a de la colère « Que les abîmes engloutissent la petite maison de mon amour,Qu’à sa place s’ébatte la mer furieuse, Que le ciel y verse des billes de plomb » et de la réconciliation « Faisons maintenant la paix, mon cher amour/ Trop longtemps déjà nous nous disputons »
Beau final provisoire, en état de grâce, avec le magnifique « Wenn du, mein Liebster, steigst zum Himmel auf » (Quand, mon amour, tu monteras au ciel).
La troisième partie est le temps de reconquête, d’une certaine spiritualité avec recherche de Dieu, invoqué comme le temps de l’amour éternel mais aussi celui de la mort.
Et c’est à Jonas Kaufmann que revient alors ce qui constitue sans doute, le plus beau passage « Sterb’ ich, so hüllt in Blumen meine Glieder [Si je meurs, qu’on m’entoure de fleurs] qu’il chante avec son style à nul autre pareil, en mezza voce et longues notes filées absolument superbes. Comme dans un souffle, toute l’émotion qu’il porte, vous transperce littéralement.
La quatrième partie enfin, est à nouveau plus tendue, comme serait les facettes du bilan d’un couple avec ses regrets « Comme j’ai perdu mon temps à t’aimer ! /Si j’avais adoré Dieu pendant tout ce temps /J’aurais ma place réservée au paradis », son amertume « Heureux aveugles qui ne voyez point Les charmes qui déchaînent nos passions », ses petites mesquineries « Tu me dis que je ne suis pas une princesse /Mais tu n’es pas né non plus sur le trône d’Espagne. » et se termine par ce petit pamphlet qu’elle chante pour lui rappeler un peu à la manière du catalogue, ses propres amoureux….
C’est tout à la fois très judicieux et très jubilatoire du fait d’une interprétation d’une grande intelligence musicale. Diana Damrau se fait tout à la fois ironique, coléreuse, mutine et séductrice. Lui est souvent plus romantique, plus grave, plus amoureux. Telle est la répartition des rôles qui convient à merveille à leur deux tempéraments et le mariage de leurs voix et de leurs superbes timbres, est un ravissement. 

Beau service rendu à Wolf en tous cas que le rajeunissement de son cycle grâce à cette tournée de 14 concerts qui a rempli 14 salles immenses, y compris dans des villes où Wolf est fort peu connu (Paris, Londres, Barcelone), à cette échelle !
On se rappelle que la Philharmonie de Paris lors du concert du 14 février, ne nous avait pas donné de surtitres. Le petit livret qui accompagne le CD, très joliment illustré par des photos des trois artistes pris dans le très photogénique Palau de la Musica à Barcelone, joyau de l’art nouveau, répare cette erreur avec trois versions : allemand, français, anglais.

Car il est important de comprendre ce qui est chanté, même si le sens inné de l’interprétation du couple Kaufmann/Damrau permet de suivre les évolutions du comportement des deux « amoureux ».

Beauté des deux voix et contrepoint parfait d’un piano qui joue un rôle en tant que tel, coloration de chaque note, chaque phrase, excellence du mariage de deux très beaux timbres et musicalité parfaite des trois artistes, font de ce recueil de 48 véritables petites miniatures, un joyau à écouter pendant les soirées d’hiver avec plaisir.

Détail du récital dans l'ordre donné par les artistes
I. Auch kleine Dinge [Même de petits riens]
IV. Gesegnet sei, den durch die Welt entsund [Béni soit le Créateur]
XXXIX. Gesegnet sei das Grün [Béni soit le vert]
III. Ihr seid die Allerschönste [Tu es partout la plus belle]
XXI. Man sagt mir, deine Mutter woll’n es nicht [On me dit ta mère ne veut pas]
XLI. Heut’ Nacht erhob ich mich um Mitternacht [Cette nuit, je me levai à minuit]
XL. O wär’ dein Haus durchsichtig wie ein Glas [Oh, si ta maison était de verre]
XXVII. Schon streckt’ ich aus im Bett die müden Glieder [Tandis qu’au lit j’étends
mes membres fatigués]
XVIII. Heb’ auf dein blondes Haupt [Relève ta tête blonde]
XX. Mein Liebster singt am Haus [Mon amoureux chante dehors]
XXII. Ein Ständchen Euch zu bringen [Pour vous offrir une petite sérénade]
XLII. Nicht länger kann ich singen [Je ne puis chanter plus longtemps]
XLIII. Schweig einmal still [Tais-toi donc]
XLIV. O wüßtest du, wieviel ich deinetwegen [Oh ! si tu savais qu’à cause de toi]
VI. Wer rief dich denn? [Qui donc t’a appelé ?]
XXXI. Wie soll ich fröhlich sein [Comment serais-je heureuse]
X. Du denkst mit einem Fädchen mich zu fangen [Tu crois qu’avec un fil]
XIV. Geselle, woll’n wir uns in Kutten hüllen [Ami, prendrons-nous la bure]
XLV. Verschling’ der Abgrund meines Liebsten Hütte [Que les abîmes engloutissent
la petite maison de mon amour]
VIII. Nun laß uns Frieden schließen [Faisons maintenant la paix]
XXIX. Wohl kenn’ ich Euren Stand [Je connais votre rang]
XXXVIII. Wenn du mich mit den Augen streifst [Quand tes yeux me caressent]
XXXVI. Wenn du, mein Liebster, steigst zum Himmel auf [Quand, mon amour,
tu monteras au ciel]
XXIII. Was für ein Lied soll dir gesungen werden? [Quelle chanson faut-il te chanter ?]
XIX. Wir haben beide lange Zeit geschwiegen [Nous avons tous deux gardé
un long silence]
XXXIV. Und steht Ihr früh am Morgen auf [Quand vous vous levez tôt de votre lit]
XVI. Ihr jungen Leute [Vous autres, jeunes gens]
IX. Daß doch gemalt all deine Reize wären [Si seulement ta splendeur était peinte]
II. Mir ward gesagt [On m’a dit]
XVII. Und willst du dein Liebsten sterben stehen [Si tu veux voir mourir ton amoureux]
XXXIII. Sterb’ ich, so hüllt in Blumen meine Glieder [Si je meurs, qu’on m’entoure
de fleurs]
XV. Mein Liebster ist so klein [Mon amoureux est si petit]
XXXV. Benedeit die sel’ge Mutter [Bénie soit la mère bienheureuse]
XXIV. Ich esse nun mein Brot nicht trocken mehr [Je ne mange plus mon pain sec]
VII. Der Mond hat eine schwere Klag’ erhoben [Grave complainte de la lune]
XXV. Mein Liebster hat zu Tische mich geladen [Mon amoureux m’a invitée à table]
XXVI. Ich ließ mir sagen und mir ward erzählt [Je me suis laissé dire et on m’a conté]
XI. Wie lange schon war immer mein Verlangen [Depuis longtemps il me tardait]
XXXVII. Wie viele Zeit verlor ich, dich zu lieben! [Comme j’ai perdu mon temps
à t’aimer !]
XXXII. Was soll der Zorn, mein Schatz [Pourquoi cette colère, mon amour]
V. Selig ihr Blinden [Heureux aveugles]
XII. Nein, junger Herr [Non, jeune homme]
XIII. Hoffärtig seid Ihr, schönes Kind [Vous êtes bien altière, belle enfant]
XXVIII. Du sagst mir, daß ich keine Fürstin sei [Tu me dis que je ne suis pas
une princesse]
XXX. Laß sie nur geh’n [Laisse-la donc aller]
XLVI. Ich hab in Penna einen Liebsten wohnen [J’ai un amour à Penna]


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