Entretien avec Alexandre Duhamel (baryton)

Entretien avec Alexandre Duhamel, baryton

Bonjour Alexandre et merci de nous accorder cet interview alors que vous êtes en pleines répétitions dans les Indes Galantes à l’opéra Bastille (on y reviendra bien sûr). Vous terminiez un précédent entretien pour ODB (1) avec Jérôme Pesqué par une phrase que j’ai beaucoup appréciée : « Le jour où on est content de soi, il faut arrêter ». C’était il y a neuf ans… cette exigence envers vous-même vous a permis d’assumer de nombreux rôles dans de nombreuses et prestigieuses maisons d’opéra. Quels sont vos meilleurs souvenirs de ce point de vue ?
Alexandre Duhamel (en riant) Oh je ne suis toujours pas content de moi ! Mais je transforme cette appréciation en philosophie de vie positive à présent. En 9 ans, j’ai ​beaucoup travaillé ma technique mais j'ai aussi pris confiance en moi et c’est l’un des éléments les plus importants. On peut comparer ​notre vie à celle des sportifs. Beaucoup de choses qui déterminent notre attitude se passent ​dans notre tête. Nous (les chanteurs) sommes tous sur un chemin et le plus important est d'avancer et de faire de notre mieux. Donc beaucoup d'exigence oui mais aussi de l'indulgence et de la patience. Je suis désormais moins impressionné par des contextes intimidants comme les grandes scènes, les grands chefs ou les grands chanteurs (même si je les admire toujours autant !).
Cette confiance en soi apporte une plus grande constance lors d'​une représentation, plus de prises de risque et davantage de stabilité dans la voix. Avant j’avais parfois des soirs avec et des soirs sans, j’étais moins posé, moins sur mon axe, moins ancré sur scène. Pavarotti disait jusqu’à la fin de sa vie qu’il apprenait tous les jours, qu'il était un éternel étudiant. Continuer à se remettre en question tout en prenant de l’assurance, voilà, je crois, ce qui est la bonne ligne de conduite. 

Et vos meilleurs souvenirs durant cette décennie ou votre meilleur souvenir ?
Difficile d'en choisir un seul ! Mon premier grand souvenir est ma prise de rôle dans mon rôle fétiche, Zurga, pour les Pêcheurs de Perles de Bizet, avec Roberto Alagna et Nino Machaidze en 2011 salle Pleyel. Quand je réécoute, je me rends compte que c’est encore un peu « vert » mais c’était à Paris, chez moi, c’était un rôle principal, une étape. Et c’est si stimulant de travailler avec un grand artiste comme Alagna : quand il chante on ne perçoit aucun effort, il chante avec tant de naturel, de détente et de plus, c’est un collègue extra (d’autres auraient dit « c’est quoi ce baryton inconnu qu’on m’a collé ? » (rires). Chanter avec des chanteurs de si haut niveau cela tire vers le haut, c’est une expérience très enrichissante.
Ensuite mon deuxième grand souvenir c’est la Scala, les Troyens, pas tant pour le rôle de Panthée qui est succint, mais pour la salle mythique avec en plus une mise en scène de McVicar et un chef fabuleux, Antonio Pappano, que j’adore. C’était au printemps (2014), j’ai gardé le souvenir d’une ville super et d’un séjour passionnant.
Ensuite je citerai le rôle de Sancho dans « les voyages de Don Quichotte » à Bordeaux pour l’ouverture du mandat de Marc Minkowski, j’ai rarement été si ému sur scène tellement la fin de l'acte V est bouleversante.
Et enfin Golaud dans Pelleas et Mélisande de Debussy, toujours à Bordeaux avec Minkowski en 2018. Si je n’avais qu’un très bon souvenir à choisir, je prendrais Golaud. J’ai adoré ce rôle, et il a marqué une véritable étape dans ma vie d'artiste.


J’en profite pour vous parler de votre répertoire qui apparait assez vaste actuellement ?
Je m’occupe en attendant les grands rôles de ma vie (rires) mais en fait j'ai souvent refusé des rôles qui seront pour moi plus tard, comme Scarpia ou Iago par exemple. Si je les chante maintenant, je n’aurai pas la distance nécessaire, le « troisième œil » des « grands » chanteurs, il faut un métal sans faille dans la voix, quelque chose qui ne peut s’acquérir qu’au fil des années. Alors pour le moment je reste prudent pour ne pas gâcher la suite. Je suis définitivement un baryton. Dans le baroque, il n'est pas vraiment précisé baryton ou basse, la seule notation est « voix grave » ou clé de fa ! 
Je chante les rôles dans lesquels je me sens confortable et crédible mais mon répertoire-cible, disons que c’est le répertoire dramatique. Le Grand-Prêtre dans Samson et Dalila ou Thoas dans l’Iphigénie de Gluck en est une bonne illustration.

 Je vous ai beaucoup apprécié dans ce rôle presque à contre-courant du reste de l’opéra, celui du cruel Thoas dans l’Iphigénie de Gluck au théâtre des Champs-Elysées, parlez-nous de cette expérience et de la manière dont vous avez abordé ce rôle difficile ?
Les premières choses que le chef (Thomas Hengelbrock) m’ait dites est que Wagner était un grand admirateur de Gluck et qu’il fallait aborder le rôle avec un maximum de théâtralité. La mise en scène aussi renforçait le coté haletant, l'urgence et la parano obsessionnelle du personnage imaginant en permanence la mort au dessus de lui. C'est un rôle en total contraste avec les autres rôles du livret, nettement plus lyriques, raffinés et avec plus d’horizontalité. Thoas est un rôle très tendu qui sollicite des aigus héroïques et un ambigus très large, ce qui me plait car j'aime chanter dans cette zone de ma voix et je l'entretiens avec passion... mon passé de ténor ! (rires). On m’a parfois catalogué comme baryton-basse mais je me considère plutôt comme un jeune baryton dramatique, avec un timbre relativement sombre oui mais une vraie attirance pour l'aigu. 

 J’ai compris que vous n’aviez pas très bien vécu certaines critiques sur ODB (1) concernant ce Thoas justement, parlez-nous un peu de cette relation de l’artiste à la critique et de votre ressenti. 
Oh pas tant que ça ! Sur le moment ça pique un peu c'est sûr mais on ne peut pas plaire à tout le monde et il est quasiment impossible de faire l'unanimité... J'apprends peu à peu à rester concentré sur ce qu'on peut contrôler, le travail ! On a pas de pouvoir sur le jugement des autres. Comme tout le monde, je préfère plaire évidemment (rires)mais je trouve que c’est bien et sain que l’opéra suscite autant de passions et, même pour tout dire, finalement cela prouve que je ne suis pas passé inaperçu, ce qui peut arriver pour le personnage de Thoas ! Beaucoup vous diront qu’ils ne lisent pas les critiques mais je n'en suis pas si sûr (rires)…et même si cela n’est pas toujours facile à avouer, une critique qui revient plusieurs fois notamment sur un forum libre comme ODB, cela vous force à réfléchir. La seule chose regrettable est que parfois on a l'impression que certaines critiques jugent avec beaucoup d'ardeur sans se dire que l'artiste a reçu telle ou telle consigne du chef ou du metteur en scène... Nous ne sommes pas libres de tous les choix artistiques, loin de là, et j'apprends tous les jours à rendre compatibles les différentes exigences demandées sans jamais mettre en péril mon instrument.

  
Vos fortes envies, vos modèles, votre avenir, dîtes-nous tout cela maintenant que vous abordez de plus en plus de rôles importants ?
Le "Hollandais" me trotte sérieusement dans la tête depuis qu’on m’a proposé de le chanter. J’étais alors avec Julien Dran en colocation à Nice pendant nos « Pêcheurs de Perles » et il m’a entendu chanter des extraits. Il est entré dans la chambre assez étonné en me disant « tu y es vraiment ! ». J'ai tant de d'estime et d'amitié pour lui que je ne pouvais rester indifférent ! (rires). 
Aborder Wagner me tente beaucoup. J’ai déjà chanté un petit rôle dans Lohengrin, Der Heerrufer à Montpellier et cela marchait bien mais il faut y aller très doucement. Idéalement, je souhaiterais commencer par Wolfram. Le Hollandais, j’en ai parlé à Bryn Terfel justement quand il donnait son récital à Bordeaux l’an dernier et il m’a donné un conseil « refuse de chanter le duo en entier, ça tue ! ». 
En fait, aussi étonnant que cela puisse paraitre, je me fatigue moins à travailler le Hollandais qu’à chanter un rôle léger comme Morales par exemple ! Mon souffle s'y installe assez naturellement et je sens un engagement corporel total et un grand ancrage, indispensables pour ce répertoire.  

Pas de problème avec l’allemand ?
Cela me demandera beaucoup de travail bien sûr, ce n’est pas la même prosodie, il faut bien comprendre ce que l’on chante et les livrets sont assez denses mais j’aime tant ce genre de rôles que ça en vaut la peine. J'arrive assez facilement à aborder différentes langues. J’ai chanté par exemple dans la Petite Renarde Rusée (Janacek) à Glyndebourne dans la langue je crois la plus difficile à maîtriser, le tchèque et le chef Hrusa m’a demandé si j’avais des origines tchèques ! 

Projets dans Wagner donc que nous allons suivre de près et dans Verdi aussi je suppose et d’autres compositeurs ?
Jusqu’à mon premier Golaud, mon grand rêve était Rigoletto, comme beaucoup de barytons. Cela reste un espoir et un objectif sérieux. C’est l’un des plus beaux rôles et j’espère pouvoir un jour le chanter... Mais pas tout de suite !  
Mais dans mes rêves il y a aussi Athanaël (Thais de Massenet), Iago (Otello), Scarpia (Tosca), Posa (Don Carlo) et également, Jochanaan (Salomé de Richard Strauss). On m’a aussi souvent parlé de Mandrika (Arabella) que j'ai découvert récemment et que j'adore.
Ma voix va dans cette direction. C’est un répertoire à chanter avec la souplesse de la voix et pas avec les muscles sinon, à 40 ans, le vibrato peut s’installer ! J’aime alterner les rôles et les styles, c'est une nécessité. Je fais toujours en sorte que chaque saison soit un bon dosage entre rôles dramatiques et rôles plus lyriques. J’ai chanté Lescaut cette année et je ferai mon premier Don Giovanni l'année prochaine. Cela me permet de donner un poids différent à ma voix, et m'encourage toujours à bien concentrer mon émission et trouver un maximum de couleurs.
Et j’aime aussi reprendre des rôles déjà appris, c’est un confort bien agréable comme de rentrer chez soi pour souffler un peu. C'est toujours intéressant de voir l'influence du temps passé... On est souvent surpris de voir que les difficultés ne se situent plus aux mêmes endroits ! 
Et je fais attention à la longévité. J’espère chanter encore à 60 ans ! Je regarde souvent la chronologie des rôles abordés par certains chanteurs qui sont mes modèles : Ernest Blanc par exemple, qui est mon dieu absolu !


C’est le dieu de tous les barytons français, non ?
Oui. Il est tout simplement merveilleux, il a tout, la diction, la conduite du souffle, la beauté du timbre, l’humanité dans son chant, c’est formidable…

Et quelques collègues aussi ?
Oui J'ai une grande estime pour Florian Sempey ou Etienne Dupuis, et évidemment Ludovic Tézier qui tire le wagon de tous les jeunes barytons que nous sommes. Son parcours et sa technique sont exemplaires.
  
Vous avez un parcours un peu atypique puisque vous n’avez abordé la musique classique que tardivement, voulu d’abord être ténor, fait une école de journalisme pour finalement être le baryton que nous connaissons. Que vous a apporté avec le recul, toutes ces expériences passées et ce chemin si particulier ?
Je n’ai pas appris le solfège quand j’étais enfant et quand je me suis présenté au conservatoire, je ne savais pas déchiffrer rapidement une partition alors j’ai chanté très fort quelque chose qui n’était pas vraiment écrite. Le jury a du se demander qui était cet énergumène qui osait se présenter devant eux sans savoir lire correctement les notes (rires) Mais bon, ils ont eu l'intelligence de me donner ma chance et de m'accepter (Merci Catherine Daiprés et sa patience d'ange... mon professeur au CNSM !). J’ai travaillé le solfège 6 heures par semaine pour rattraper mon retard.
Quant à l’école de journalisme, cela m’a appris de développer mon intérêt pour les mots et ma foi, l’opéra c’est aussi et surtout un livret... Sans mots, pas d'Opéra !

Un chanteur d’opéra doit chanter bien sûr mais aussi jouer la comédie et aujourd’hui, avec la circulation rapide des vidéos et les retransmissions cinématographiques, ce deuxième aspect a autant d’importance ou presque que le premier. Etre à l’aise sur scène tout en se concentrant sur son chant, incarner un personnage, comment analysez-vous cela ?
Il faut faire attention à son physique en permanence ; on m’a proposé mon premier Don Giovanni, même si on peut penser qu'à priori je suis plutôt Leporello (rires). Il est évident que pour être crédible dans Don Giovanni il faut avoir un physique disons… séducteur. Alors je fais très attention, je fais du sport, et je fais en ce moment une diète douce mais efficace ! 
Je n’aime pas être dans la complaisance et j’aime me bousculer un peu... Don Giovanni est l’anti-Thoas en quelque sorte. Pas un coup d’archet qui ne doive s’entendre, la sérénade par exemple est tout en douceur et souplesse. Un de mes autres modèles de baryton, Van Dam, la chante allongé par exemple dans une vidéo à Aix, c’est magnifique…
Et c’est vrai que la vidéo nous impose de faire « bonne figure » en « gros plan » (sourire), d'être juste dans notre interprétation et pas dans la caricature. Alors je travaille souvent mon rôle devant un miroir pour être sûr que l’expression de mon visage corresponde bien à ce que je veux exprimer. L'opéra, c'est du théâtre chanté, et incarner un rôle avec le plus de profondeur et de justesse possible m'est indispensable pour l'interpréter. 

Vous avez travaillé avec des chefs prestigieux : Minkowski, Jordan et d’autres. Quel est votre meilleur souvenir ?
Marc Minkowski est sans aucun doute le chef de mes plus beaux débuts ! Débuts dans des rôles piliers de mon répertoire : Sancho, Golaud, Don Giovanni... débuts au festival de Salzbourg, début dans le baroque dans Platée à Garnier. C'est le premier grand chef à avoir cru en moi et m'avoir donné ces superbes opportunités. C’est un chef que les artistes aiment beaucoup, et ce n'est pas un hasard s'il a été tant soutenu l'été dernier. En plus d'être un chef hors norme, tant par ses idées, sa sensibilité, ses choix de couleurs, son authenticité, son humanité, il nous met en confiance, nous encourage à toujours aller plus loin... Quand on est sur scène en face de lui, on se sent bien, on ressent une écoute et une attention mutuelles... et cela s'entend évidemment dans la salle... Il a une très bonne oreille et sait souvent comment un chanteur évoluera dans 5 ans, dans 10 ans. D’autres chefs ne sont pas du tout comme cela : on pourrait les remplacer par un métronome ce serait pareil ! Et il y a aussi les chefs à deux vitesses, très à l'écoute des "grands chanteurs" mais indifférents avec les jeunes chanteurs. 

Les chefs avec qui on peut respirer et dialoguer sont assez rares. A la maison lorsqu'on prépare un rôle, on se projette, on travaille sur le texte, les couleurs et puis parfois à la première répétition, on se fait imposer avec autorité un tempo, une respiration, des choses qui n’ont parfois rien à voir avec ce qu’on avait pensé et je regrette qu'on puisse trop rarement échanger et finalement se retrouver à mi-chemin. 
Outre Minko, j’ai adoré travaillé avec Antonio Pappano, c'est un vrai magicien qui parvient à créer des atmosphères incroyables, et il est aux petits soins avec tous les chanteurs ! Et Leo Alarcon, avec qui je fais mon premier Huascar dans les Indes Galantes, est vraiment un chef fabuleux, une superbe rencontre... Depuis la première répétition, on s'écoute, on construit ensemble et on se fait confiance.
Parmi les autres chefs que j'apprécie, j'ai récemment rencontré John Nelson avec qui j’ai fait une Damnation de Faust en live et enregistré récemment avec Courjal, Joyce DiDonato et Michael Spyres. Le CD sortira bientôt. Très belle expérience pour moi en Brander, et surtout un grand bonheur d'avoir été témoin et acteur de ce bel enregistrement. 
Je dois également beaucoup à Jean-Yves Ossonce avec qui j'ai fait mes débuts dans Guglielmo à Tours. Il est le genre de chef qui nous apprend parfaitement le métier, la rigueur, la souplesse, et c'est un chef avec qui j'aimerais vraiment retravailler. Je pourrais bien entendu en citer d'autres merveilleux comme Edward Gardner, Michael Schønwandt, David Reiland, Jakub Hrůša, Robert Tuohy....

 Et votre rapports aux metteurs en scène justement à propos de ces Indes Galantes dont la mise en scène de Clément Cogitore fait déjà du bruit. On leur reproche parfois de s’approprier l’œuvre pour la dénaturer, qu’en pensez-vous ?
Ici ce n'est pas le cas, Clément a vraiment travaillé son projet en profondeur et avec intelligence. D'une manière générale, je ne suis pas fermé aux mises en scène modernes voire originales tant que la musique et le livret sont respectés. Si cela n’a ni queue ni tête et n’est là que pour servir le narcissisme du metteur en scène je suis contre ; plus ma carrière se développera, plus j'espère pouvoir devenir exigeant à ce sujet.

Les chanteurs disent que c’est difficile et qu’ils ne connaissent pas la future mise en scène en signant leur contrat
Oui mais bon... On sait quand même souvent avec quel metteur en scène se fera une future production et on peut se renseigner...
Cela dit je ne suis pas fermé du tout à la modernité et j’aime ce que nous propose Clément Cogitore dans les Indes Galantes. C’est fascinant de voir comment les danseurs de Krump (2) se marient avec la musique de Rameau, Ce mélange est vraiment formidable, surtout avec Alarcon qui traite le baroque de manière si vivante. Il aime le baroque organique, qu'on va chercher avec nos tripes et notre coeur, rien à voir avec une certaine tradition trop intellectuelle et une embouchure qu'on appelle «cul de poule » dans notre jargon (rires). Le Baroque à Bastille, c'est une nouveauté, il faut donc chanter avec toute sa voix et l’orchestre – avec instruments d’époque et diapason correspondant- sonne magnifiquement dans ce vaisseau ! 
Au débuts des répétitions, Alarcon se mettait au piano ou au clavecin, nous faisait écouter les modulations, les accords magiques de Rameau et nous montrait comment valoriser telle ou telle mélodie. C'est vraiment un chef qui nous challenge et nous donne envie de nous surpasser. Par exemple, il souhaitait un "brillant soleil" plutôt rapide (Alexandre chante le début de l’air)...
J’ai travaillé en accélérant progressivement le métronome pour arriver au tempo mais je ne suis pas vraiment un baryton qui vocalise donc c’était dur... mais j'ai fini par y arriver ! Leo ne m'a mis aucune pression en me disant "je ne te mettrai jamais en danger de toute façon et s'il faut on le fera plus lent mais je sais que tu peux le faire !"

Et sur la mise en scène des Indes Galantes ? On a déjà vu le court-métrage de Cogitore sur la troisième scène (3) mais le reste, c’est secret ?
Non, les danseurs de Krump que l’on voit sur le petit film, sont bien sur la scène en permanence avec les solistes. Mais il n y a pas que des danseurs de Krump, c'est un mélange de plein de danses différentes. Ils sont incroyables... passionnés, ultra motivés, motivants, perfectionnistes, habités et si généreux. Une vraie inspiration. Et nos relations avec eux sont fantastiques... Nous venons d'univers si lointains mais nous travaillons ensemble avec tant de respect, d'humilité.... et de bonne humeur !
Pour les Incas (du Pérou, deuxième entrée du ballet), c’est un peu Huascar et les lascars. Je suis chef de gang, bad boy, avec capuche, tête baissée. Les solistes se fondent dans les différentes danses. Et je passe de chef de gang à star de pop music, je fais un concert un peu comme le chanteur d’Oasis. C’est très visuel, très moderne, très beau esthétiquement et la partition est totalement respectée. 

Pas de coupure ?
Non il ne me semble pas. Je pense que c’est complet.
Cela dit bien sûr cela va s’agiter autour de cette mise en scène et évidemment, on aura droit à « pauvre Rameau, il n’a pas mérité ça» alors que je pense vraiment l’inverse, Rameau aurait apprécié cette lecture ! 

Quand il y a coupure cela vient de qui en général ? Metteur en scène ou chef ?
Oh l'un ou l'autre... Il y a parfois un vrai rapport de forces entre les deux. Il m'est arrivé de vivre quelques moments de tensions... avec par exemple un chef arrivant furieux sur le plateau et disant au metteur en scène : pendant un mois je t’ai laissé faire ce que tu voulais, maintenant l’orchestre est là, je ne veux plus t’entendre… » 

(petit apparté sur Sabine Deviehle, Stanislas de Barbeyrac, qui apparaissent au café, Julie Fuchs aussi)

Quelle équipe !
Oui c’est une sacrée équipe. Ce sont des chanteurs avec qui j’adore travailler... L'ambiance est extra. C'est un vrai plus lorsqu'on répète et chante avec des amis ! J'ai adoré par exemple faire Pelléas avec Stanislas de B, les Pêcheurs de Perles avec Julien Dran ou Manon avec Benjamin Bernheim... Ce sont vraiment tous les trois des artistes magnifiques.

Beaucoup de rôles importants pour l’avenir, nous l’avons vu, notamment Don Giovanni et Don Alfonso (Cosi) à Bordeaux, le comte de Nevers des Huguenots à Genève, et un récital que vous donnez en avril prochain à l’Elephant Paname à Paris, avec Angelique Boudeville, quel genre de programme allez-vous nous proposer (si vous en avez déjà une idée)
Je ne connais pas encore Angélique donc nous échangeons par mail pour décider du programme : sans doute Thais et les Pêcheurs, du Verdi, du Puccini et en première partie des mélodies dans cette superbe salle qui s'y prête très bien.

Le Lied, la mélodie sont aussi dans vos cordes ?
Oui... Schubert, Schumann, Tchaikovski et bien entendu Ravel, Ibert, Duparc etc. Nous sommes très privilégiés les barytons ! Et c’est très bon pour la voix comme le fait de chanter Mozart d’ailleurs. J’aimerais bien faire plus de récitals de musique de chambre mais je n’ai pas trop le temps car j'ai beaucoup de prises de rôles. Avec Golaud par exemple, j’ai du m’y consacrer exclusivement durant trois mois...

D’autres CD en vue ?
Oui mais je ne peux rien dire pour le moment ! 

Les chanteurs français de votre génération font de plus en plus souvent parler d’eux mais parfois on se demande s’ils ont de bons agents. Vous ?
(rires) J’ai un agent Italien qui vit à Munich, Federico Tondelli, et il me convient parfaitement ! 
 Vous allez chanter à Munich ?
Je l'espère ! Cela s’était très bien passé à Lyon avec le directeur Serge Dorny lorsque j'avais chanté le Grand-Prêtre dans Alceste... donc pourquoi pas ?

Je vous le souhaite, c’est une maison bien agréable au public très courtois et très chaleureux ! Merci Alexandre et à bientôt pour ces Indes Galantes que vous allez répéter encore ce soir !

Photos Marine Cessa-Begler (copyright)

Notes de précision :
(1) ODB : cet entretien est réalisé pour le site ODB, Operadatabase
http://www.odb-opera.com/index.php

(2) Le Krump est une danse née dans les années 2000 au cœur des quartiers pauvres de Los Angeles. Cette danse, non-violente malgré son apparence agressive à cause des mouvements exécutés très rapidement, de la rage ou la colère qui peut se lire parfois sur les visages des danseurs de Krump que l'on appelle les « Krumpers », se veut être une danse représentant la « vie » et toute sa « jouissance ». En effet, il n'y a aucun conflit physique entre les danseurs.


(3) Cour métrage de la « troisième scène »

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