Le beau CD "Verdi" d'Ildar Abdrazakov avec Yannick Nezet-Seguin

Ildar Abdrazakov chante Verdi : petit aperçu d'un grand CD



En commençant par les extraits d'Attila, le plus emblématique de ses rôles, celui qu'il habite littéralement et où il a brillé très récemment en ouverture de la saison de la Scala (dominant presque outrageusement ses partenaires), Ildar Abdrazakov joue sur du velours pour accrocher immédiatement l'auditeur. 
Si le très court “Uldino! Uldin! Mio Re!” (avec Villazon) reste un peu anecdotique, comme une mis en bouche, le "Mentre gonfiarsi l'anima" est un monument d'émotions, arrêts, reprises, ralentissements,  notes longuement tenues, nuances, mezza voce,  beauté des graves, legato verdien, tout y est, avec cette capacité des très grands de vous faire frissonner dès les premières notes. 
L'attaque du “Raccapriccio!” lui permet aussitôt après le moment de grande gravité de passer à cet air entrainant et conquérant. L'orchestre est une vraie fête, accompagnant de toutes ses couleurs, la performance vocale qui se termine par un "aigu" très longuement tenu, la beauté, la classe, le talent, l'émotion.
Personnellement, même si un très léger vibrato se fait entendre lors de la très courte introduction, je trouve cette entrée en matière carrément luxueuse et Ildar Abdrazakov en pleine maturité rayonnante dans une entente parfaite avec ce diable de YNS qui sait faire danser son orchestre.

L’introduction orchestrale du thème du Don Carlo qui suit est à elle seule un très bel enregistrement, les cordes sont soyeuses et nostalgiques, tout le malheur du monde s’entend à cet instant et la voix de Ildar/Don Filippo s’élève alors, un petit peu tremblotante, avant de se stabiliser pour dialoguer avec le violoncelle tout doucement, puis avec l’orchestre avec force. Et comme toujours avec Abradzakov, la tension s’installe dans ce "Ella giammai m'amò!" puis du "Dormiro sol" monte doucement, avec une maitrise stupéfiante (malgré quelques vibratos), les longues notes filées se font pianissimo puis crescendo, et, en l’écoutant, il n’est plus de doute que la jeune basse russe a une maitrise passionnante de Verdi et une grande intelligence musicale.
L’écoute de l’enregistrement sur les plate-formes musicales permet de bénéficier de deux passionnants « bonus » puisqu’il s’agit des deux mêmes airs mais extraits du Don Carlos, donc de la version française celle où Abradzakov avait interprété Don Filippo en intégralité à la Bastille avec Jonas Kaufmann, Ludovic Tézier, Elina Garança et Sonya Yoncheva. Légèrement plus rapide, dans un français enviable (et bien meilleur qu’à l’époque), les deux airs ont une tonalité différente, plus « jeune », plus innocente sans doute aussi. Bref, la comparaison est tout à fait passionnante.

Les deux airs de Nabucco qui suivent chantés par Zacharia "Sperate, o Figli!" et "D'Egitto là sui lidi" (air et cabalette) se situent au début de l’opéra dont c’est l’un des temps forts. On admirera là encore la solennité de l’aria, et la soudaineté de l’intervention des chœurs (splendides) suivis d’une cabalette énergique et étincelante à laquelle il ne manque aucune de ces répétitions qui qualifient le genre avec une belle conclusion orchestrale brève mais magistrale.

C’est son Fiesco dans Simon Boccanegra qui m’a paru le moins abouti : les extrêmes graves de "Il lacerato spirito" sont parfaitement assumés mais la voix manque à plusieurs reprise d’assurance. Là encore superbe accompagnement de l’orchestre et des chœurs.

Oberto, conte di San Bonifacio, premier opéra de Verdi, rarement donné, le retrouve à l’inverse très à l’aise dans le rôle-titre de facture verdienne « classique » avec trois airs enlevés sans grande imagination musicale mais dont Abdrazakov ne fait qu’une bouchée savoureuse et très bien maitrisée, au rythme soutenu et très conquérant. Direction d’orchestre encore une fois de grande classe qui ne se contente pas d’accompagner … Ce n’est pas ce que Verdi a écrit de mieux mais c’est … entrainant !

On revient ensuite à Nabucco (sans que l’ordre choisi soit très compréhensible …) avec le « Vieni o levita » de l’acte 2 (Zacharias) suivi du « tu sul labbro dei veggenti », lent et solennel, musicalement superbe qui vous prend aux tripes, timbre idéal et gestion splendide du souffle et belles notes basses.

Le « O patria » suivi du « O tu Palermo » reste dans la tonalité très grave, lente et solennelle pour ces deux airs célèbres, celui des superbes Vespri Siciliani, avec toujours cette subtile et intelligente introduction de l’orchestre qui se fait léger tout en annonçant la gravité du propos. Abdrazakov sait donner à la deuxième partie de son Palermo, toute la fièvre de Procida, tandis que l’orchestre accélère et enfle progressivement pour donner toute sa solennité à cet hymne à la patrie bafouée (et l’on sait combien Verdi chargeait de sens à peine caché tous ces airs). 

Très belle maitrise de l’air de Walter dans Luisa Miller, Il mio sangue la vita darei, là aussi avec ces belles accélérations/crescendo, ces aigus « arrêtés », ce très beau legato à suivre et ce final à la longue note tenue qui est l’une des qualités principales requise pour un bel interprète de Verdi (on l’aura remarqué, je n’aime pas ceux qui « trichent » et coupent dans la longueur de ces notes parce qu’ayant mal maitrisé le souffle nécessaire).

L’enregistrement atteint des sommets à mon avis avec le « come dal ciel precipita », l’air de Banco dans Macbeth qu’il chantera au MET à la rentrée. Un modèle de beau chant expressif très maitrisé, aux multiples nuances, paroles fortes scandées avec autorité suivies de pianissimo sublimes, mille facettes, mille couleurs dans la voix, une gestion des rythmes parfaite.

Autant de bonheur pour ces extraits d’Ernani avec le « Infelice!..e tuo credevi » de Don Ruy Gomez, du beau chant verdien qui fait vivre le personnage, ses états d’âme et ses colères qui rattache Abdrazakov aux grandes basses comme Samuel Ramey.

Outre le magnifique orchestre Métropolitain de Montréal (et le très inspiré Yannick Nezet-Seguin décidément un des chefs les plus intéressants du moment), et les chœurs du metropolitan, Ildar Abdrazakov se fait donner la réplique par Rolando Villazon et l’on retrouve pendant deux ou trois phrases musicales et avec émotion, le sens « verdien » du chant du ténor qui fut, un temps, le ténor le plus demandé. Petite réplique aussi du baryton Geoffroy Salvas pour Luisa Miller.

De la belle ouvrage….à écouter d'urgence alors que la basse Russe reprendra à plusieurs reprises le rôle de Filippo dans Don Carlo lors de la saison qui s'ouvre (Bolchoi de Moscou, Festival de Pacques de Salzbourg, Opéra de Munich, Opéra de Dresden), chantera Banco dans le Macbeth du MET (et Mefistofele dans la Damnation de Faust toujours au MET), le tout étant retransmis au cinéma et donnera un récital à Bordeaux. A suivre de près !

Ildar Abdrazakov
Yannick Nezet-Seguin

Orchestre Métropolitain de Montréal
Int. Release 16 Aug. 2019

1 CD Deutsche Grammophon
0289 483 6096 3


Giuseppe Verdi (1813 - 1901)
Attila
Act 1
1.“Uldino! Uldin! Mio Re!”
(avec Rolando Villazón)
2."Mentre gonfiarsi l'anima"
3.“Raccapriccio!”

Don Carlo
Act 3
4."Ella giammai m'amò!"
5. "Dormiro sol"

Nabucco
Act 1
6."Sperate, o Figli!"
7. "D'Egitto là sui lidi"
avec Rolando Villazón

Simon Boccanegra
Prologue
8. "A te l'estremo addio"
9. "Il lacerato spirito"

Oberto, Conte di San Bonifacio
Act 2
10. "Ei tarda ancor!"
11. "L'orror del tradimento"
12. "Ma tu, superbo giovane"

Nabucco
Act 2
13. "Vieni, o Levita!"
14. "Tu sul labbro dei veggenti"

I vespri siciliani
Act 2 -
15. "O patria"
16."O tu, Palermo"

Luisa Miller
Act 1
17. "Che mai narrasti!"
18. "Il mio sangue, la vita darei"

Macbeth
Act 2
19. "Studia il passo, o mio figlio"
20."Come dal ciel precipita"


Ernani
Act 1
21. "Che mai veggio"
22. "Infelice!... e tuo credevi"
23."Infin che un brando vindice"

Don Carlos (bonus hors CD)
1. Elle ne m'aime pas
2. Je dormirai

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