Wien, le dernier CD de Jonas Kaufmann, pour s'évader un peu...

"Wien"


Le nouveau CD de Jonas Kaufmann 

Titres 
Robert Stolz
Wien wird bei Nacht erst schön
Rudolf Siekzynski
Wien, Wien, nur du allein
Hans May
Heut ist der schönste Tag in meinem Leben
Robert Stolz
Im Prater blühn wieder die Bäume
Johann Strauss II 
(en duo avec Rachel Willis-Sørensen)
Wiener Blut, Wiener Blut (Wiener Blut)
Ach, wie so herrlich zu schaun (Eine Nacht in Venedig)
Dieser Anstand, so manierlich (Die Fledermaus)
(Seul)
Draussen in Sievering blüht schon der Flieder (Die Tänzerin Fanny Elssler)
Sei mir gegrüsst, du holdes Venezia (Eine Nacht in Venedig -Version Korngold)
Komm in die Gondel (Eine Nacht in Venedig)
Franz Lehar (en duo avec Rachel Willis-Sørensen)
Lippen schweigen (Die lustige Witwe)
Emmerich Kalmann
Zwei Märchenaugen (Die Zirkusprinzessin)
Carl Zeller
Schenkt man sich Rosen in Tirol (Der Vogelhändler)
Jaromir Weinberger
Du warst fur mich die Frau gewesen
Hermann Leopoldi
In einem kleinen Cafe in Hernals
Hans May
Es wird im Leben dir mehr genommen als gegeben
Ralph Benatzky
Ich muss wieder einmal in Grinzing sein
Peter Kreuder
Sag beim Abschied leise "Servus"
Georg Kreisler
Der Tod, das muss ein Wiener sein
(avec accompagnement de piano par Michael Rot).

Jonas Kaufmann, ténor
Rachel Willis-Sørensen, soprano
Michael Rot, piano
Wiener Philharmoniker
Direction musicale : Ádám Fischer

Il y a un aspect « collectionneur » chez Jonas Kaufmann. Depuis son premier CD « solo », celui des Lieder de Strauss paru dans l’indifférence quasi générale en 2007 chez Harmonia Mundi, et à l’opposé, l’explosion médiatique soudaine qui suivit son deuxième opus, «Romantics Arias » en 2008, le ténor bavarois a quasiment sorti un titre par an, sans compter bien sûr ses participations diverses à des intégrales live ou en studio.
Et le moins qu’on puisse dire est qu’il brasse large : dans le Lied (Richard Strauss mais aussi Schubert par deux fois, Hugo Wolf récemment et Mahler avec un Chant de la terre où il assurait les deux voix), dans la « variété lyrique » avec deux CD de suite qui se sont agréablement complétés pour démontrer l’étendue de son répertoire d’alors dans des rôles qu’il n’avait souvent pas encore incarnés sur la scène, avec un CD consacré au vérisme et les suivants successivement à Wagner, Verdi puis Puccini, mais aussi à l’opérette de Vienne et de Berlin des années 20-30, à la chanson italienne et napolitaine par deux fois.
Question « intégrale » il serait trop long de les citer toutes, rappelons son dernier enregistrement studio d’Aida avec l’orchestre de la Santa Cecilia qui sera suivi dans quelques mois d’une intégrale « Otello », rôle où il est, comme souvent le concernant, objet de vives controverses. (Mais nous, nous appréciions beaucoup son Otello).
Etrange artiste incontestablement, car enfin, peut-on chanter autant d’éléments de répertoires différents qui font appel à des qualités vocales très différentes, avec un égal bonheur ? Eh bien non évidemment. Mais Jonas Kaufmann est un artiste « entier » qui va au bout de ses désirs, de ses rêves d’interprétation et si Otello ne pouvait pas lui échapper (malgré la prévisible controverse), Tristan sera aussi l’un de ses défis au même titre que… le fait de s’emparer de l’opérette et de la chanson viennoise pour laquelle sa voix sombre n’est pas forcément taillée. Et pourtant quelle réussite et quel bonheur !
Il est assez amusant de noter que la pochette le représente souriant, sage, tiré à quatre épingles comme il est généralement dans ses récitals, avec une ombre sautillante manière chanteur de variété sautant sur scène les bras étendus, joyeux et léger.
Le « héros » d’opéra et son double comique… et il y a beaucoup de cela dans cet enregistrement qui évoque évidemment son précédent tout en étant finalement assez différent.
Jonas Kaufmann chante l’opérette viennoise (Une nuit à Venise, Fledermaus, la Veuve joyeuse) ... avec une voix d’opéra assez large aux harmoniques très riches, et un timbre de surcroit particulièrement sombre, au grain de bronze qui sonne davantage dès qu’il s’agit d’appuyer une phrase musicale dans le tragique, le nostalgique ou le solennel et de donner ses fameuses notes filées, ses crescendo/decrescendo du plus bel effet. 
C’est incontestablement surprenant à la première écoute surtout quand sa partenaire, la belle soprano Rachel Willis-Sorensen, arbore encore plus que lui, ce style typiquement lyrique. Mais il y a tant d’humour perceptible dans leurs échanges, tant de précisions dans les parties comiques, dans les jeux de syllabes que l’on adopte très vite leurs personnages et qu'on apprécie la qualité incroyable de leur interprétation.
Rien n’est jamais chanté de manière uniforme, ça sautille, ça vit, ça vibre et on se prend à secouer la tête en rythme bien souvent pendant leurs envolées brillantes et légères.
Ce d’autant plus que ce CD a un atout extraordinaire : l’accompagnement du Wiener Philharmoniker, cette formation orchestrale de génie biberonnée à la musique viennoise qui scande avec eux les époustouflants airs, appuyant leurs effets et produisant les siens propres avec le talent qu’on lui connait. Et la direction légère et inspirée du chef Adam Fischer. On peut valser sans problème sur le « Dieser Anstand, so manierlich » de Fledermaus.
Mais aussi réussis soient ces interprétations, l’opérette de Strauss n’est pas à proprement parler, le meilleur terrain de jeu de Kaufmann, bien des artistes ont brillé différemment dans ce style et il ne parvient pas toujours à les faire oublier même si son talent et son superbe timbre parviennent à réellement séduire. L’opérette façon Kaufmann…en quelque sorte ! Quelque chose de "spécial" comme toujours pour lequel on ne boude pas son plaisir !
On avait déjà entendu son Eisenstein dans Fledermaus, donné en version concert à Dresde à l’occasion du nouvel an 2019, il maitrise bien le rôle, à sa manière bien sûr. 
Par contre bien qu’il ait souvent raconté qu’il avait chanté des dizaines de fois le rôle de Caramello dans Une nuit à Venise dans les années 90 alors qu’il était en troupe, nous n’avions pas eu l’occasion de l’entendre et subodorions un rôle pour le moins très très léger. Les deux extraits que nous propose Kaufmann, seul cette fois, sont bien plus soutenus, nostalgiques et rêveurs qu’imaginé, et il est probable que le jeune ténor léger allemand qu’il était alors, n’interprétaient pas ces bluettes avec autant d’intensité et de force dans les accents, de couleurs et de romantisme, mélange de voix légère et d’immenses crescendos sur notes longuement tenues. 
Sympa et surprenant surtout l’air de « Komm in die Gondel », accompagné comme le reste du CD, avec délicatesse par l’orchestre qui suit toutes les nuances de son interprète sans jamais s’en éloigner, et donne une sorte d’écho lointain en début et en fin de pistes sur le « Und Warum » avec violons qui s’éteignent doucement. Petits frissons délicieux.
On peut « sauter » le duo suivant tiré de la Veuve Joyeuse qui n’apporte rien à la gloire de l’un ni de l’autre (et ils n’en feront surement pas des rôles à leur mesure) même si comme toujours, c’est soigné et expressif, mais reste trop scolaire à mon goût pour se tenir à la hauteur des autres titres et l’air est sans doute trop connu pour ne pas évoquer d’autres interprètes illustres…

Mais Kaufmann est loin d’avoir choisi pour cet album, une dominantes d’airs connus des opérettes jouées et surjouées notamment en Allemagne et en Autriche. L'essentiel se situe dans ces petites chansons de Vienne qu'il a ressorti de l'oubli pour beaucoup d'entre elles. La carte ci dessus indique les lieux et quartiers qu'elle illustre.
Cet album comme le précédent, plus orienté "Berlin, est un hommage à ces viennoiseries écrites en un temps où l'on ne voyait pas qu'il allait être minuit dans le siècle, mélodies populaires, d'un répertoire léger et ironique quand où l'on savait s'amuser mais aussi ironiser.
Et comme il n’y a pas que la crème et les sucreries dans la vie, c’est dans le vaste choix des autres chansons, que Kaufmann nous touche le plus.
A commencer par mon coup de cœur, que je réécoute quasiment en boucle, le magistral «Zwei Märchenaugen » de Kalman, que chantait merveilleusement bien Wunderlich, et que Kaufmann réussit à surpasser par un investissement vocal et » scénique » tout à la fois. L’air commence par un solo de clarinette basse puis la voix de Kaufmann valse lentement, saisissant la musique des mots avec les deux premier vers « Wieder hinaus ins strahlende Licht /Wieder hinaus mit frohem Gesicht! » et sa voix enfle dans un déchirant "Grell wie ein Clown, das weiße Antlitz bemalt! /Zeig' deine Kunst, denn du wirst ja bezahlt!". Aigus forte  pour Bist nur ein Gaukler, ein Spielball des Glücks. Puis decrescendo pour Zeig deine Kunst, zeig deine Tricks! /Tust du es recht, der Menge, winkt dir Applaus,/Wenn du versagst, lacht man dich aus!". Et retour à la valse des mots sur Heute da, morgen dort, was macht es!/Heute hier, morgen fort, was macht es! Et force et émotion à nouveau sur 
Reicht das Glück dir die Hand /Rasch greif zu, Komödiant – Et ainsi de suite. Une petite voix toute douce pour "Zwei Märchenaugen, wie die Sterne so schön /Zwei Märchenaugen, die ich einmal gesehn! Puis crescendo et accélération sur "Meiner Lust, meiner Traum,/Du süßes Märchen:Es war einmal. "
Mais outre cette très belle réussite que j’ai décortiquée, la plupart des morceaux ont cette qualité, celle de la découverte et de la séduction assez rapide même pour un répertoire peu connu chez nous. Il ne faut surtout pas d'ailleurs rester sur l'impression assez triste, quoique romantique et délicate, de la chanson sur Vienne qui ouvre l'album (Wien wird bei nacht erst schön) de Robert Stolz, belle réalisation que Lucia Popp elle même avait enregistré mais qui, comme la suivante (qui se termine par un glorieux "Mein Wien"), ne reflète qu'une petite partie du style choisi par Kaufmann pour l'essentiel des pistes. Ce début en douceur fait très "soirs d'été à Vienne".
On se laisse bercer par la voix, par ses couleurs, ses contrastes et la surprise de ses aigus où Kaufmann se lâche pour chanter à pleine voix ses conclusions grandioses.
Ecoutez le contraste entre le jeu sur les sonorités en « s »  Schenkt man sich Rosen in Tirol de  Carl Zeller (qui se termine majestueusement) et la douceur nostalgique et rêveuse de la célèbre chanson du compositeur hongrois Jaromir Weinberger « Du warst fur mich die Frau gewesen » avec ses délicats écarts de notes, qui devient nerveuse au milieu du gué (et comment l’orchestre annonce cette dramatisation soudaine) ou la jolie petite valse musette « In einem kleinen Cafe in Hernals » de Hermann Leopoldi où chaque mot semble sculpté sur les rimes avec accordéon, sifflets et histoire de « rendez-vous » (en français dans le texte comme on dit…).
La chanson qui suit « Es wird im Leben Dir mehr genommen als gegeben » est une douce philosophie de la vie là aussi avec ce rythme des mots (et l’accent autrichien !) qui se mêle à la musique, que Kaufmann sait valoriser sur chaque mesure.
Changement de rythme à nouveau avec le satirique « Ich muss wieder einmal in Grinzing sein» au rythme heurté avant de se faire encore une fois « valse » à trois temps, mais intense et contrasté, rapide et nerveuse, aigus sollicités en forte notamment au final. Là encore on comparera l’interprétation de Wunderlich pour se dire que c’est bien d’avoir deux talents aussi différents ayant enregistré cette belle mélodie de Benatzky avant autant d’expression.
La dernière petite valse au rythme complexe enregistrée avec orchestre est le fameux « Sag beim abschied leise Servus » de Peter Kreider, qui a été rendu célèbre outre Rhin par les interprétations du chanteur de variété Peter Alexander.
Et pour finir, petite chanson accompagnée au piano seul, en forme d’adieu rempli d’humour sur la mort et sur Vienne « Der Tod, das muss ein Wiener sein » où l’on imagine sans peine Jonas Kaufmann le chapeau haut- de-forme à la main, saluant la foule dans un dernier pied de nez aux chansons de son enfance tirolienne là haut sur la montagne, en vacances chez ses grands-parents. L’artiste raconte qu’il adorait faire le clown et imiter ces chanteurs qu’il entendait à la radio, le voilà ravi de nous les interpréter.
Et le ténor est en grande forme vocale pour cet enregistrement se permettant toutes sortes de fantaisies et de variations. 
Une sommes d’airs pas si légers que cela, rendus expressifs et passionnants par le travail des artistes, de petits bijoux de mélodie, d’humour, de drames en quelques minutes, le tout logé dans un écrin de rêve, celui d’un orchestre fabuleux rompu à ce répertoire. Un grand bol d'air frais et de bonne humeur garantie !

CD Sony Classical, edition de luxe, édition normale, Blue ray. Sorti le 11 octobre 2019

En plus de ce CD, un DVD est programmé suite à la captation du concert de Vienne le 14 octobre.


Trailer



Le Times, article cité :

Commentaires

  1. Danke für die Beschreibung. Mich als Österreichern wundert es allerdings, wie Menschen aus Frankreich oder sonst woher das Wienerische beurteilen zu können glauben..... Jonas ist perfekt in der "Melodie des Dialekts", mal mehr, mal weniger eingesetzt. Er spürt das Wesen dieser Sprache und kann es wiedergeben. Die Operetten-Lieder sind in den opern-ähnlichen Zusammenhang zu stellen. Die nachfolgenden richtigen Wienerlieder haben einen völlig anderen Charakter. Keineswegs kann man sich den Sänger beim letzten Lied in Frack und Zylinder vorstellen; im Gegenteil: hier geht er in Straßekleidung durch die Gassen.......

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  2. Pardon, Hélène, pour cette digression, mais où la faire mieux qu'après ce commentaire enchanté.
    ( et comme elle restera non publiée...)
    Oui, le gros et grand livre arrivé aujourd'hui est magnifique, plein de merveilleuses photos (plus de 1000 sur 430 pages) dont beaucoup d'inédites.
    A la Scala, en répétition, Anja-Elsa penchée sur un Lohengrin mort de rire, les dernières de l'album avec chacun de ses quatre enfants dont Baby de face.
    Quel cadeau pour et de ses 50 ans que cet album retraçant sa carrière et donnant à voir la personnalité d'exception.
    Combien vous rappelleront les moments captivés où vous avez vu l'artiste en scène !
    Enjoy, Hélène !

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