Un Lohengrin un peu routinier à Munich où il manquait un petit grain de folie !

Lohengrin


Musique et livret de Richard Wagner
Création en 1850 à Weimar.
Création française en 1887

Direction musicale : Lothar Koenigs 
Mise en scène : Richard Jones 
Décors et Costumes : Ultz 
Avec 
Heinrich der Vogler : Christof Fischesser 
Lohengrin : Klaus Florian Vogt 
Elsa von Brabant : Anja Harteros 
Friedrich von Telramund : Wolfgang Koch 
Ortrud : Karita Mattila 
Heerrufer des Königs : Martin Gantner 

Bayerisches Staatsorchester
Chor und Extrachor der Bayerischen Staatsoper

Séance du 21 novembre 2019
Salle comble à Munich pour cette reprise du Lohengrin mis en scène par Richard Jones il y a dix ans maintenant, pour les débuts du couple Jonas Kaufmann/Anja Harteros dans cette oeuvre et ces rôles sous la direction de Kent Nagano et qui avait donné lieu à un DVD.
Il existe de nombreuses mises en scène discutables -et abondamment discutées- qui s'avèrent avec les ans, prétendre à un statut plus neutre, devenant même parfois des "classiques" que l'on s'amuse, le cas échéant, à découvrir tardivement. Celle de Neuenfels à Bayreuth, créée un an plus tard avec le même Jonas Kaufmann pour ses débuts sur la colline, a très bien résisté au temps et survécu sans dommage jusqu'à la nouvelle création l'an dernier.
C'est sans doute que, pour audacieuse qu'elle soit sur le plan visuel (les rats !), elle avait du sens, et donnait une lecture de Lohengrin cohérente et assez fidèle.
Ce n'est franchement pas le cas de celle de Jones, que j'avais trouvé brouillonne et contre-productive il y a dix ans et qui confirme pour le coup, son côté tartignole et déplaisant. C'est sans doute que je n'aime pas du tout ce que Jones a à dire : Elsa vit dans une "secte", elle construit des maisons. comme ses camarades, ils sont "dérangés" par une administration tatillonne qui lui demande des comptes sur son frère, dresse un bûcher de poutrelles et de briques pour l'holocauste alors qu'arrive un Lohengrin portant un cygne assez tarte lui aussi, qui la sauve et... construit avec elle la maison de leurs rêves, berceau pour le bébé compris. Leur union est scellée lors d'une simple signature, le final réunit les adeptes de la secte au T-Shirt bleu pour un dernier adieu. De temps en temps, la scène se réduit à la bande qui borde la fosse.
Il faut saluer le travail titanesque des techniciens sur scènes quand la maison se construit et la précision des changements de décor et espérer que Munich s'offrira un jour un nouveau Lohengrin capable de conduire au rêve et à la magie que celui-ci rend si difficile sauf si les interprètes sont, de ce point de vue, exceptionnels.
Saluons aussi les multiples "spatialisations" des cuivres et des percussions prévues dans cette production (instrumentistes dans les grandes loges de côté ou tout en haut de l'édifice) qui réveillent de temps en temps un orchestre que j'ai trouvé assez conventionnel sous la baguette d'un chef qui peine franchement à donner de l'élan à l'ensemble.
La mise en scène (et les décors) ne rendent pas toujours "audibles" les choeurs depuis le parterre (ils sont parfois cachés par un panneau) et d'une manière générale je les ai trouvé insuffisamment sonores tout comme d'ailleurs, j'ai trouvé assez brouillons les ensembles à trois, quatre, cinq d'où les solistes ressortent insuffisamment.
Du côté du plateau, comme souvent, Munich soigne ses reprises du répertoire ménageant même quelques bonnes surprises.
Christof Fischesser par exemple est un vaillant Heinrich der Vogler qui ouvre le bal avec beaucoup de conviction et rapidement rejoint par le Heerrufer des Königs de Martin Gantner, prouve que ces deux rôles peuvent être magnifiquement servis tout au long de l'oeuvre dans une distribution réellement prestigieuse.  
Autre belle "surprise" parce qu'on ne l'attend pas forcément dans ce rôle : l'Ortrud de Karita Mattila, que j'ai vue il y a quelques années en Tosca sur cette même scène et qui voit là un emploi qui correspond à l'évolution de sa voix qui garde un très beau médium et des graves solides dans sa tessiture, et qui a une présence scénique toujours intense qui accompagne les modulations de son chant. Une vraie Otrud belle et méchante qui nous offre deux duos de référence durant cette soirée, celui avec Telramund (très grand moment) et celui avec Elsa. 
Le Friedrich von Telramund de Wolfgang Koch (qui était déjà de la première distribution) est une promenade de santé pour le baryton que j'ai vu dans de multiples rôles à Munich. En forme vocale, il délivre comme d'habitude un très beau chant, extrêmement vivant et varié, incarnant réellement son personnage perfide et ambigu et ne ménageant pas ses efforts pour entrer dans cette mise en scène qui, en plus de ses non-sens permanents, a une direction d'acteurs très sommaire. On ne compte pas les moments où les chanteurs sont côte à côte ou groupés, face au public, notamment dans les "ensembles".
Enfin les deux "stars" Anja Harteros et Klaus-Florian Vogt tout en nous livrant du très beau chant, très fidèle à la partition, nuances comprises, ne m'ont jamais paru croire vraiment à leurs personnages. Il y a des soirs de moindre alchimie, j'imagine, où bien que tout aille très bien pour les chanteurs, le courant ne passe pas aussi bien qu'on aurait pu l'espérer.
Anja Harteros n'a pas cette passion que l'on sent habituellement chez elle dans n'importe quel rôle, ce feu sous la glace, et engoncée dans un personnage sans romantisme (salopette et tresses), elle ne parvient pas toujours à en sortir par le chant. Pourtant c'est admirablement interprété, le timbre est beau et charnu, l'aisance évidente, on ne la sent jamais en difficulté dans un registre qu'elle maitrise admirablement bien, mais on ne décolle pas vraiment. Il manque une petite touche de magie.
C'est la même chose pour le Lohengrin de Klaus-Florian Vogt, voix claire, regard clair, cheveux clairs, bref personnage étrange venu d'ailleurs, qui ne "rencontre" finalement jamais vraiment l'Elsa de Anja Harteros.
Cette manière très uniforme et lisse de chanter, plait à ses admirateurs mais, en ce qui me concerne, je garde de sérieuses réserves à l'égard de ce style évaporé et de ce timbre presque blanc, avec peu d'harmoniques, qui rend à la longue, ce chant légèrement soporifique et l'incarnation un peu monotone.
Faute de contrastes, faute d'interprétation réellement charnelle du personnage, on reste un peu en dehors malgré la grande beauté du couple et le caractère irréprochable techniquement de leurs prestations.
C'était beau mais ce n'était pas magique. Il manquait ce petit grain de folie des grands soirs...


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