Une "Elektra" bouleversante, choc de l'ouverture du 100ème festival de Salzbourg

Elektra


Richard Strauss
Livret de Hugo von Hofmannsthal d'après la tragédie éponyme de Sophocle.
1909.
 Festival de Salzbourg, été 2020, Première du 1er Aout retransmise en direct à 17h sur la chaine Mezzo (puis en différé sur ARTE Concert).

Franz Welser-Möst Direction musicale
Krzysztof Warlikowski Mise en scène
Małgorzata Szczęśniak Sets and Costumes 

Avec
Tanja Ariane Baumgartner Klytämnestra 
Ausrine Stundyte Elektra 
Asmik Grigorian Chrysothemis 
Michael Laurenz Aegisth 
Derek Welton Orest 

Concert Association of the Vienna State Opera Chorus 
Ernst Raffelsberger Chorus Master 
Vienna Philharmonic

L'opéra de Richard Strauss est un condensé musical à l'orchestration riche et complexe, une sorte de torrent d'instruments qui déferle par vague, dans une conception tout à la fois héritière du romantisme allemand et annonçant les formes plus complexes de la composition musicale du 20ème siècle.
Plus que jamais le mariage entre l'écrivain poète Hofmannsthal et le compositeur de génie Strauss, prouve sa fonctionnalité extrême dans la beauté et la modernité des thèmes et des paroles d'une cruauté exacerbée, du chant qui épouse l'orchestre et réciproquement sans qu'on puisse jamais séparer l'un de l'autre. Comme pour Die Frau Ohne Schatten, on atteint avec cet Elektra une sorte de perfection qui se regarde et s'écoute sans temps mort et dont Warlikowski a respecté scrupuleusement l'enroulement dramatique de la fatalité des Atrides.

Pour condenser son propos et sa lecture, il met d'ailleurs en scène une Clytemnestre hagarde, aux mains ensanglantées qui, dans un Prologue, raconte son crime, le meurtre de son époux Agamemnon et rappelle les raisons de sa haine meurtrière, le sacrifice d'Iphigénie. On voit également un Agamemnon au front troué et sanglant qui entre et traverse la scène comme un fantôme tandis qu'Elektra chante sa soif de vengeance et l'amour de son père assassiné.
Elektra, tragédie rapide, serrée, oppressante se situe dans un décor de thermes où coule une vraie rivière/piscine, et où les "accessoires" sont très réduits (la hache, un banc, des douches, une vidéo qui passe les éclairs d'un visuel d'électricité assez obsédant, puis le sang dégoulinant du meurtre et de temps en temps des scènes en noir et blancs comme celles d'un vieux film qui repasse le passé tragique) et où le jeu des lumières plongeant régulièrement la scène dans la pénombre avant de l'éclairer violemment, souvent en lumière carmin vive et sinistre tout à la fois. La "maison" des Atrides, celle où les deux soeurs sont enfermées et d'où Chrysotémis voudrait tellement s'enfuir pour vivre une vie normale tandis qu'Elektra nourrit sa et prépare sa vengeance, est symbolisée par un caisson aux contours rouges.
On pourra rechercher toutes les références cinématographiques dont Warli s'est servi pour habiller ses personnages, d'une Elektra tout à fois décoiffée et échevelée comme elle se décrira elle même dans son fabuleux dialogue avec Oreste, en robe blanche de poupée, une Chrysothémis en tailleurs paillette court et sexy, une Clytemnestre aux allures de Cruella, des servantes type gouvernantes début de siècle, un Oreste au pull jacquard type Jean Marais, et j'en ai forcément loupé pas mal :wink: 
Mais l'essentiel est comme toujours, une direction d'acteurs au cordeau, au millimètre, servie il est vrai par une équipe absolument formidable, et qui valorise à chaque minute les fascinants affrontement/dialogues/rencontres vocaux et scéniques entre Elektra et Chrysotémis, entre Elektra et Clytemnestre (quelle scène !), entre Elektra et Oreste.


Ausrine Stundyte, que nous avons vue récemment à Paris dans Lady Macbeth de Mzensk, mise en scène par le même Warlikowski, est une Elektra bouleversante : petite figure fermée, obstinée, obsédée, elle marche vers un destin qu'elle sait devoir accomplir quoiqu'elle arrive. Et elle déploie un art du chant toujours étonnant puisque dans une tension extrême où elle doit "passer" les torrents de décibels de l'orchestre, sa voir n'est jamais criarde, toujours parfaitement maitrisée, des graves aux aigus, sans qu'elle perde jamais le sens profond de ce qu'elle "dit" et exprime.
Mais la plus belle surprise (pour moi) vient du personnage de Chrysothémis parfois considéré comme assez secondaire et où l'on a pu entendre des sopranos en peine avec les aigus redoutables du rôle. Avec Asmik Grigorian on est dans l'excellence. La "soeur" qui rêve d'épouser un berger et d'avoir des enfants, bref une vie "normale" quoi... est magistralement campée et sans aucun doute, beaucoup plus valorisée qu'à l'habitude.
La Clytemnestre de Tanja Ariane Baumgartner a, elle aussi, des accents touchants, refusant finalement d'être réduite à la "femme à abattre" et défendant elle aussi la gravité de sa part de souffrance dans la tornade du destin des Atrides.
Et ce sont des personnages féminins si humains qu'ils chargent la tragédie de plus d'émotion encore qu'à l'habitude d'autant, qu'exceptionnellement là aussi, nous avons un magnifique Oreste en la personne du baryton Derek Welton (Lear dans la reprise à Garnier l'an dernier), très impressionnant interprète d'un rôle parfois considéré lui aussi comme secondaire et qui prend toute sa place ici.

Evidemment malgré les distances physiques, les choeurs impressionnent tout comme le magnifique orchestre philharmonique de Vienne (qu'on retrouve avec plaisir après l'arrêt forcé pendant de longs mois) sous la direction très inspirée et très colorée de Franz Welser-Möst.

C'était peut-être un "festival" un peu spécial du fait de la crise et de l'annulation du programme prévu initialement, ce n'en était pas moins un événement digne du 100ème anniversaire...

A revoir sur ARTE concert.

Commentaires

Les plus lus....

Le Tannhäuser de Jonas Kaufmann dans la mise en scène de Castellucci à Salzbourg, une soirée choc !

Magnifique « Turandot » à Vienne : le triomphe d’un couple, Asmik Grigorian et Jonas Kaufmann et d’un metteur en scène, Claus Guth

Salomé - Richard Strauss - Vienne le 20/09/2017