Le noël enchanté de Jonas Kaufmann : it's Christmas !

It’s Christmas




Jonas Kaufmann
Avec : le St Florianer Sängerknaben, le BachChor de Salzbourg, le Mozarteumorchester de Salzbourg, Florian Pedarnig (Harpe), le Cologne Studio Big Band (Till Brönner soliste trompette)

Double CD Sony Classical

Sortie : Novembre 2020


Jonas Kaufmann sort son quatrième CD en six mois chez Sony Classical, chaque opus étant par ailleurs radicalement différent de l’autre : un Otello enregistré en studio avec l’orchestre de la Santa Cecilia et Antonio Pappano, sorti en juin 2020 mais capté en juillet 2019, un CD surprise, Seliege Stunde, absolument délicieux, composé de Lieder divers avec son complice Helmut Deutsch, entièrement réalisé pendant le confinement et sorti en septembre, l’enregistrement live du Sommernacht viennois avec l’orchestre philharmonique de Vienne et Valery Gergiev, et enfin ce double CD, Christmas, sorti en novembre pour une promotion de noël, une tournée de concerts, qui sera globalement reportée à l’an prochain, COVID oblige si on excepte un film tourné en Autriche à la mi-novembre et qui devrait être diffusé lors des fêtes sur les télévisions.


Ces deux derniers CD avec leur quarante deux titres comportent leur lot de « traditionnels » chants de noël, religieux ou folkloriques, réorchestrés ou non, accompagnés de manière classique par l’orchestre Mozarteum de Salzbourg sous la direction de Jochen Rieder ou dans un style « jazzy », avec le Cologne studio Big Band, sans oublier des swings qui révèlent une palette de « talents » étonnants, mais pas forcément inattendus, de la part d’un ténor qui ne cesse jamais de surprendre (et de cliver d’ailleurs !).

Et tant qu’à faire Kaufmann nous offre des airs d’Eglise en latin, des airs traditionnels et modernes en français, en allemand, et en anglais (british ou américains) avec un accent du pays et une prononciation que beaucoup de « natives » pourraient lui envier. 


Il y a un côté caméléon dans ces deux CD. 

D’abord un Kaufmann qui respecte ce qu’on attend de lui : un recueil de Christmas Songs, auquel tous les artistes célèbres ont eu droit à un moment ou un autre de leurs carrières. Et là, on appréciera son style impeccable, sa belle voix, son timbre chaleureux et son immense respect des notes et des mots…mais on regrettera parfois un côté trop lisse, presque martial parfois, trop sérieux, à la manière dont on chante lors des messes et des cérémonies de l’avent dans les Eglises de Bavière, ce qu’il a beaucoup fait d’ailleurs. Ainsi en est-il des morceaux, tels que le « Gloria » (avec chœurs d’enfants),  « Herald-angels sing » de Mendelssohn, l’Adeste fideles ou Minuit Chrétiens/holy night  ou encore le « In dulce jubilo » voire même le « Kommet, ihr Hirten » ou le « Tochter Zion » de Haendel et quelques autres pièces, pas forcément regroupées d’ailleurs puisqu’on les retrouve dans le premier CD comme le début du deuxième CD.

Curieuse impression pourtant un peu mitigée, tant la voix est belle, saine, superbe même, le timbre noble et les notes allongées avec le frisson que créé toujours ce style souverain et pourtant… un petit quelque chose parait un peu « forcé » comme si le ténor ne s’amusait pas vraiment à cet exercice qu’il a si souvent réalisé par le passé…il faut dire que l’accompagnement très cuivres/orgue manque de légèreté et d’originalité. La battue est régulière et un rien « martiale » avec une voix d’opéra magistrale, trop peut-être…

Et puis il y a dans le même CD ou le suivant, brusquement, sans crier gare, le Kaufmann qui s’évade vers d’autres cieux, vers la découverte des jouets au pied du sapin après la messe de minuit, avec toute une série de petites miniatures presque sussurées, qui sont autant de chants traditionnels, autrichiens, bavarois ou autres, que chantent les petits et dont on imagine qu’il a pu les chanter de tout cœur, petit garçon, qui appartenait à une chorale d’enfants.

Et on revient du coup à plus de qualité et d’expressivité à mon oreille et même à un vrai bonheur de l’écoute à partir de ces délicieux titres comme le « Süsser die Glocken nie klingen », délicieuse berceuse où le ténor jour merveilleusement sur les consonnes qui se répondent en « kl », « g » pour sonner comme les cloches de noël. Avec tous ces titres, malheureusement disséminés dans les deux enregistrements (on trouve plus loin le « Kling, Glökchen, klingelingeling" pourtant très voisin), on quitte d’ailleurs un peu le côté par trop solennel et religieux (pour mon goût personnel) pour aborder de tendres berceuses susurrées qui correspondent à ce que Kaufmann aime dans son « noël » d’enfant bavarois où marchés de noël, sapins à tous les coins de rue,  crèches géantes, vin chaud, biscuits à la cannelle, rennes et traineaux, neige et frimas, avaient (et ont encore) un sens festif et joyeux réel.

 Ces titres respectent ce choix de petites chansons traditionnelles délicieuses comme ce petit bijou de chanson enfantine autrichienne « es wird scho dumpa », où il prend sinon une voix, une tonalité d’enfant. ou encore ce chant typique de l’Avent, "Maria durch ein Dornwald ging », ce bel hymne à la neige qui tombe « Leise rieselt der Schnee » magnifiquement chanté. Et bien sûr l’inévitable « O Tannenbaum » moins convainquant d’ailleurs (un peu bûcheron comme dirait un de mes amis…) tandis que le célèbre « Stille Nacht » est délicieusement murmuré avec toute la délicatesse que le chant requiert et cette incroyable précision de la prosodie allemande qui joue là aussi sur la musique des mots pour finir le premier CD avec ce vingt sixième titre dans la même veine le « Still, still, Still ». Ce sont deux des titres accompagnés avec la dentelle fine de la harpe de Florian Pedarnig. 

Mais pour mieux signifier le caractère universel de cette fête des enfants, Kaufmann chante aussi le célèbre « Stille Nacht » en anglais (Silent night) dans le deuxième CD, titre qui suit une série de jolies mélodies puisées dans le répertoire international, parmi lesquelles on citera « In the Bleak Midwinter » ou « Entre le bœuf et l’âne » .Parmi eux j’aurais une préférence pour la tendresse de « What child it is ? » merveilleusement prosodié, dans un bel anglais mélodieux qui vous emporte loin dans les souvenirs d’enfance…et où l’orchestre se fait caressant jouant des harpes et des violons pour entourer la voix du ténor.

Et il y a aussi le Kaufmann d’aujourd’hui, celui aime surprendre et s’évade brusquement sous d’autres cieux pour s’essayer avec un talent fou au swing, avec le fameux « Let it snow » accompagné d’ailleurs d’une vidéo rigolote où l’artiste tourne en dérision son propre show avec neige artificielle en plein mois d’Août… et nous rend compte finalement des parties de rigolade que peuvent être ces séances d’enregistrements.



Et on glisse (réellement…) délicieusement vers Kaufmann « crooner » avec ce « White Christmas » et franchement, je le trouve à son aise, à son avantage et apportant un vrai « plus » à ce style jusque là peu exploré par le ténor. Comme en écho on a du coup droit à un « jingle bell » joyeux, lui aussi « crooné », d’un rythme festif et entrainant sans ostentation, avec la simplicité de celui qui créée juste la joie autour de lui en souvenir de grands bonheurs passés. L’air est sans doute trop connu pour ne pas souffrir de nombreuses comparaisons mais le choix de Kaufmann est défendable et dans le cours du CD plutôt agréable. Et personnellement, j’apprécie sans réserve le Kaufmann des mélodies américaines à la Sinatra, plutôt bien accompagnées avec subtilité et suavité (beau solo de saxophone…), comme le « have yourself a merry Christmas », ou le fameux « Let it snow » par lequel Kaufmann aurait du terminer son enregistrement, nous évitant un inutile « All Want for Christmas is You », la chanson de Maria Carey qui n’apporte rien à sa gloire et montre juste que tout le monde, même lui, ne peut pas tout chanter. Mais quel entrain !

 

En regardant les dates et lieux des trois séances d’enregistrements différentes, on découvre  que la première a eu lieu juste après la série de représentations de « Die Tote Stadt » à Munich, la deuxième et la troisième en plein été 2020, donc des périodes assez différentes, avant et après le confinement…Les accompagnements sont tous très dissemblables également, l’assemblage des morceaux n’est pas facile à suivre, les mixages ne sont pas du tout de même qualité et même Jonas Kaufmann semble avoir hésité entre plusieurs styles sans réussir à choisir toujours le bon. Sans doute est-ce la raison pour laquelles certains « titres » m’ont-ils paru chantés de manière peu expressive, où l’on surprend peut-être pour la première fois en ce qui me concerne, une appétence très moyenne du ténor pour ce qu’il est en train de faire…alors que pour d’autres titres – en gros toute la partie « internationale et crooner » et les chansonnettes de son enfance, on retrouve au contraire la joie de vivre et de chanter qui caractérise si souvent cet artiste d’exception.


Réserves personnelles bien sûr qui peuvent également tenir au fait que je ne suis pas fan de tous ces « tubes » de noël…et que peut-être, comme moi, Kaufmann s’ennuyait-il finalement lors des chants solennels des Messes de minuit, attendant le retour dans le cocon familial sous le sapin…


Une chose est sûr ces deux CD ne sont pas d’abord des CD « de commande » de Sony. Kaufmann y a mis autant qu’il a pu, son âme et ses souvenirs, sa forte personnalité et le rappel d’une enfance heureuse. 


L’album, très richement mais très simplement illustré, comporte, outre les paroles des chants, des photos de ces noëls d’antan, et surtout, quelques délicieuses recettes pour confectionner les sucreries qui les accompagnent dans la tradition allemande. Le tout accompagné d’un très joli récit « Quand je pense à noël » où il évoque tout à la fois des souvenirs familiaux et les origines de cette fête des enfants.L’on apprend ainsi que ce « conteur » né avait remporté un prix de narration à l’école à 8 ans, pour un récit d’une soirée de noël dans sa famille. Coupure de presse à l’appui du petit garçon d’alors devenu un si grand ténor…



CD 1: 

1. Gloria In Excelsis Deo 

2. Süßer Die Glocken Nie Klingen 

3. In Dulci Jubilo 

4. Kommet, Ihr Hirten 

5. Tochter Zion 

6. Ihr Kinderlein, Kommet 

7. Alle Jahre Wieder 

8. Was Soll Das Bedeuten? 

9. Vom Himmel Hoch, Ihr Englein, Kommt! 

10. Lasst Uns Froh Und Munter Sein 

11. Leise Rieselt Der Schnee 

12. Morgen, Kinder, Wird's Was Geben 

13. Es Ist Ein Ros Entsprungen 

14. Macht Hoch Die Tür 

15. Ich Steh An Deiner Krippen Hier, Bwv 469 

16. O Du Fröhliche 

17. Still, Still, Still 

18. O Heiland, Reiß Die Himmel Auf 

19. Kling, Glöckchen, Klingelingeling 

20. Es Wird Scho Glei Dumpa 

21. Maria Durch Ein Dornwald Ging 

22. Im Woid Is So Staad 

23. Vom Himmel Hoch, Da Komm Ich Her 

24. O Tannenbaum 

25. Stille Nacht 

26. Still, Still, Still 

 

CD2: 

1. Adeste Fideles 

2. Cantique De Noel (Minuit, Chretiens) / O Holy Night 

3. Gesu Bambino 

4. Hark! The Herald Angels Sing 

5. In The Bleak Midwinter 

6. Nu Tändas Tusen Juleljus 

7. Entre Le Boeuf Et L'ane Gris 

8. What Child Is This? 

9. Silent Night 

10. White Christmas 

11. Jingle Bells 

12. Have Yourself A Merry Little Christmas 

13. Winter Wonderland 

14. The Christmas Song (Chestnuts Roasting On An Open Fire) 

15. Let It Snow! Let It Snow! Let It Snow! 

16. All I Want For Christmas Is You

 

Jonas Kaufmann (tenor)

Mozarteum Orchester Salzburg, Jochen Rieder

 

CD 1 : 1-16 et CD 2 : 1-5, 7-11 : enregistrés à la Konzerthaus de Salsbourg du 2 au 5 décembre 2019

CD 2 : 6, 12-16, enregistrés à Bonn entre les 12 et 16 juillet 2020, avec le Cologne Studio Big Band

CD 1 :17-20-22-25 : enregistrés à Munich en Août 2020





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