Munich nous offre une Bohème rêveuse, drôle et tragique, magnifiquement interprétée, avec Jonas Kaufmann, Rachel Willis-Sørensen et Andrei Zhilikhovsky

La Bohème


Giacomo Puccini

Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, d'après Scène de la vie de bohème“ de Henri Murger 

 

Direction musicale : Asher Fisch 

Mise en scène : Otto Schenk 

Décors et Costumes : Rudolf Heinrich 

Choeurs : Stellario Fagone

 

Séance captée en direct le 27 novembre sans public, retransmise le 30 novembre puis disponible en VOD en décembre.

https://www.staatsoper.de/stueckinfo/mo ... 9903061686

 

Avec

Mimì : Rachel Willis-Sørensen 

Musetta : Mirjam Mesak 

Rodolfo : Jonas Kaufmann 

Marcello : Andrei Zhilikhovsky 

Schaunard : Sean Michael Plumb 

Colline : Tareq Nazmi 


Orchestre du Bayerisches Staatsorchester 

Choeurs du Bayerische Staatsoper 

Choeurs d'enfants du Bayerische Staatsoper

 

 Pour mémoire, 6 séances de la Bohème avaient été rajoutées pour novembre-décembre, au moment des remaniements de programme fin septembre, suite à l'annulation de la reprise du Dialogue des Carmélites et de South Pole. Cette reprise de la mise en scène d'Otto Shenk devait comprendre alors : les 22, 27 novembre et 9 décembre : avec Rachel Willis-Sørensen et Jonas Kaufmann et les 16, 19 et 21 décembre : avec Ailyn Pérez et Benjamin Bernheim.

Le lockdown a, à nouveau, bousculé les plans et la seule séance du 27 novembre a eu lieu, à huis-clos mais avec captation et diffusion le lundi suivant, dans le cadre des "Montagsstücke" (concerts et opéras du lundi à Munich, exécutés sur scène et retransmis) qui ont repris depuis début novembre.

L’Opéra de Munich, confronté comme la plupart des salles de spectacle, au difficile coix de productions qui pourraient à tout instant être remises en cause, a fait preuve d’un remarquable discernement en révisant sa programmation pour l’automne, en s’appuyant sur les artistes qui lui sont fidèles depuis plus d’une décennie, et en se donnant l’assurance, en tout état de cause, de pouvoir remplacer toute série de représentations programmées par, au moins, une séance jouée, filmée et retransmise.

Et si à Berlin, la plupart des salles ont préféré fermer face à des restrictions bien plus drastiques qu’à Munich, qui s’imposent jusque sur la scène et dans l’orchestre, Munich assure la continuité de vrais spectacles. Même avec un public réduit, nous avions eu juste avant le deuxième lockdown, le formidable et rare “Die Vögel”.

Ainsi en sera-t-il également,  demain de Falstaff avec Wolfgang Koch. Ainsi en était-il hier soir de la Bohème avec Jonas Kaufmann. Deux superstars dans des opéras populaires, avec des distributions de luxe et un grand soin donné aux mises en scène, ancienne pour la Bohème, nouvelle pour Falstaff.

La Bohème c’est Montmartre, la “vie de bohème” de quatre artistes jeunes, drôles, insouciants qui tentent de survivre de leur art avec passion, enthousiasme, humour et… amour. On connait l’histoire :  Lucia, dite “Mimi”, cousette, grimpe jusqu’à leur mansarde, Rodolfo le poète tombe éperdument amoureux d’elle, Marcello le peintre, lui, file des amours orageuses avec la volcanique Musette. Et puis il y a des drames, des querelles, la vie quoi… mais Mimi tombe gravement malade et vient mourir chez les quatre compagnons. Mimiiiiiii. Rideau.

C’est l’un de ces operas que je recommande toujours à ceux qui pensent ne pas aimer le genre, qui trouvent souvent les postures et les paroles grandiloquentes, ou l’oeuvre trop longue. Là rien de tel. C’est un drame moderne, un récit vif et court, qui en moins de deux heures nous raconte une histoire triste et mélancolique qui donne la part belle à la jeunesse et à ses rêves, à l’art et à l’amitié.

Musicalement, c’est enlevé, c’est du Puccini, la musique de film s’inspirera énormément du maestro italien, notamment dans ses brusques changement de style annonçant des tournants dans le déroulé de l’histoire. Il n’y a donc aucune difficulté d’accès et moi-même, j’avoue bouder rarement une représentation de la Bohème, juste pour le plaisir.

Le plaisir est décuplé quand on a la qualité “Munich” en plus. Malgré la tristesse qui s’empare des habitués à la vue de l’Opéra et de la place désespérément vide quand, à l’habitude cela grouille de spectateurs attendant que les portes ne s’ouvrent, dès les premières notes, on est de nouveau dans la salle. Ou presque….

Même si j’ai parfois trouvé les tempi d’Ascher Fisch un peu rapides, l’orchestre de l’Opéra de Bavière a toujours cette qualité musicale et cette illustration des contrastes qui fait merveille. Et quelle précision dans les accélérations, les crescendo, puis soudain, les pianissimi accompagnant les chanteurs jusque dans les moindres nuances. Dommage qu’une prise de son pas toujours parfaitement calée, faisait varier sa sonorité selon les captations.

La mise en scène d’Otto Schenk est une magnifique illustration de l’oeuvre, précise dans sa direction d’acteurs à chaque instant, à chaque tournant, fidèle jusque dans ses détails, sans pour autant surcharger la scène. Saluons les décors soignés et un rien esthétisants, qui rendent à l’oeuvre ce qu’elle comporte de “conte de noël” sans oublier la neige bien sûr…

Les artistes de Munich, superstar ou non, se connaissent bien, chantent souvent ensemble, ont en commun le goût pour le travail d’équipe et nous emmènent dès le premier tableau au coeur même de l’histoire.

La représentation est d’ailleurs très bien captée par les cameras nous plongeant au milieu des protagonistes, guettant leurs expressions, leurs échanges de regards, leurs postures. Bref ce n’est pas d’abord du beau chant, c’est d’abord une histoire racontée avec un talent collectif parfait.

Mais c’est aussi du beau chant et là on manque de superlatifs pour qualifier cet ensemble de voix et d’interprétations superbes.

Jonas Kaufmann n’avait pas chanté Rodolfo en entier depuis 2012, date à laquelle il avait remplacé la voix défaillante de Piotr Beczala pour un soir lors du festival de Salzbourg (auquel il participait pour Ariadne auf Naxos de Strauss). Même il avait fréquement mis à son repertoire de concert le “Soave Fanciulla”, après Otello, Andrea Chenier, ou Alvaro, le rôle, très lyrique, paraissait moins evident pour le ténor dont la voix s’assombrit beaucoup.

Mais, comme on pouvait s’y attendre le connaissant, il campe un Rodolfo bien à lui, plus mûr qu’à l’ordinaire, dont la forte personnalité irradie le plateau et dont l’interprétation est tout simplement fabuleuse. En pleine forme vocale, le ténor garde une ligne de chant soignée et raffinée qui est sa marque de fabrique, sans jamais donner dans le sanglot du vérisme excessif, nous offrant un magnifique contre ut en pleine voix pour conclure son “che gelida manina”. Tendre et juste amoureux aux actes 1 et 2, il n’a d’yeux que pour Mimi dès qu’elle parait, c’est remarquablement émouvant surtout quand à l’acte 3, prenant des accents plus “spinto”, il exprime sa colère et sa peine devant son attitude. Et il y a ces deux “Mimi”, avant le tombée du rideau qui arrachent des larmes. Un bon Rodolfo doit faire partager sa peine et son désarroi…

Mais hier soir, j’ai aussi découvert le Marcello d’un très bon (et beau) baryton avec Andrei Zhilikhovsky (qui a chanté Schaunard également notamment dans une production du MET). Très à l’aise sur scène, la voix est claire et percutante, beaucoup plus juvénile que celle du ténor, le personnage formidablement bien campé, en contraste avec la douceur du rêveur poète Rodolfo et leur duo de l’acte 3 sous la neige, est l’une des grands moments de cette Bohème. Electrisant et finalement assez rare avec deux interprètes de grande classe qui « jouent » vraiment devant nous. Et ce côté ténor à voix sombre et baryton à voix claire est franchement inédit et très plaisant.


La Mimì de Rachel Willis-Sørensen est à l’image de ce que fait généralement cette belle soprano américaine : du beau chant, élégant, sans beaucoup de nuances cependant, mais avec un très joli timbre, une grande élégance sur scène et puis, un petit quelque chose qui lui manque encore dans le drame, la petite fêlure qu’on doit ressentir chez Mimi pour qu’elle nous attendrisse complètement…

J’ai beaucoup aimé la Musetta de Mirjam Mesak, très bien chantée et surtout magnifiquement incarnée dans le rôle d’une fille pleine d’humour et d’allant, dont le grand coeur se révèlera à l’acte 4, beaucoup de talent chez cette soprano. 

Sans surprise, nous avons aussi un très bon Schaunard avec Sean Michael Plumb et un Colline de grande classe avec Tareq Nazmi sans parler des choeurs, des petits rôles divers et de l’ensemble de cette troupe de Munich qui donne toujours dans l’excellence.


Une très belle soirée, rendue sans doute encore plus mélancolique qu’à l’ordinaire, du fait de l’étrange "silence "de la salle. Tant d’airs sont traditionnellement applaudis dans cette Bohème, et auraient du l’être surtout à Munich où le public peut rappeler les chanteurs durant près de vingt minutes quand il est content. Rien de tout cela évidemment. Juste le rideau rouge et or qui se baisse après les derniers accents de l’orchestre. Et à Munich rien ne rouvrira avant le 20 décembre, plus tard peut-être encore...





Retransmission en VIDEO-ON-DEMAND à partir du 3 décembre

Prix: 14,90 Euro


A noter : la production d’Otto Schenk date de 1969 et le Bayerische Staatsoper a publié deux photos des décors… à l’époque !






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