Innocence de Kaija Saariaho : un opéra moderne, véritable thriller, passionnant de bout en bout, un choc !

Innocence



De Kaija Saariaho 

Opéra En Cinq Actes

Livret original en Finnois De Sofi Oksanen

Version multilingue du Livret d’Aleksi Barrière

 

Création Mondiale -  Juillet 2021 à Aix-en-provence

Grand Théâtre de Provence

 

Direction musicale : Susanna Mälkki

London Symphony Orchestra

Mise en scène : Simon Stone

Serveuse Magdalena Kožená

Mère du marié Sandrine Piau

Père du marié Tuomas Pursio

Jeune mariée Lilian Farahani

Jeune marié Markus Nykänen

Pasteur Jukka Rasilainen

Professeur Lucy Shelton

Elève 1 (Marketa) Vilma Jää

Elève 2 (Lilly) Beate Moral*

Elève 3 (Iris) Julie Hega

Elève 4 Simon Kluth

Elève 5 (Jerónimo) Camilo Delgado Díaz

Elève 6 Marina Dumont

 

Retransmission du 10 juillet sur ARTE Concert

 

L'oeuvre qui devait être créée l'an dernier à Aix, s'est directement inspirée du massacre de Tuusula en Finlande, où un lycéen avait tué à l'arme à feu, sept élèves et la proviseur.

Basé sur la lancinante interrogation du "pourquoi" l'oeuvre composée par Kaija Saariaho sur un livret original en finnois de Sofi Oksanen, imagine retrouver les protagonistes survivants du massacre, dix ans plus tard, revivant sans cesse les scènes d'horreur et révélant leurs profonds traumatismes, pendant que non loin de là, se déroule le banquet d'un mariage entre le frère de l'assassin et une jeune fille qui ignore tout de son lien avec la tragédie. L'une des serveuses n'est autre que la mère de l'une des victimes. 

Tout au long de ce récit coup-de-poing, où l'on chante et parle dans toutes les langues pour mieux symboliser le caractère international de l'école choisie par la compositrice et sa librettiste, et pour renforcer encore le caractère universel du message, ce "pourquoi" va occuper tous les dialogues faisant peu à peu apparaitre la responsabilité de chacun, chacune dans l'engrenage tragique du massacre.


Musicalement c'est sans doute l'oeuvre la plus achevée de Kaija Saariaho dont on connait surtout le premier opéra "L'Amour de loin" sur un livret d'Amin Maalouf et "Only the sounds remains".

L'orchestration d'"Innocence" est d'une grande richesse sonore et musicale et propose une série de contrastes de rythmes et de couleurs qui épouse étroitement le chant choral des artistes -séquences parlées, puis séquences chantées, et leurs propres variations de tonalité et d'expressivité. Ecrite pour 80 musiciens d'une formation classique et interprétée magistralement par le London Symphony Orchestra sous la direction de l'énergique, inspirée et fluide de Suzanna Mälkki, la partition propose de brusques tournants, des moments climax faisant monter la tension et de merveilleuses pages nostalgiques sur l'innocence perdue.


L'histoire connait ses rebondissements au fur et à mesures que sont révélés les actes et les personnalités réelles de chacun et cette brève mais fulgurante remontée dans le temps pour reconstruire une vérité dramatique, ne laisse personne en territoire innocent. Sans réussir à répondre totalement à ce "pourquoi" un jeune homme, presque un enfant, a un matin, massacré ses camarades, l'opéra tisse les fils d'une somme d'explications qui interroge chacun sur les choses de la vie, les relations entre jeunes, la violence quotidienne, les ports d'arme, l'éducation des enfants, les références qui leur sont inculquées. Et les adultes ne sont pas laissés de côté, le père et son amour des armes à feu, la mère et son aveuglement total, le pasteur qui n'a pas voulu entendre les jeunes, le professeur qui n'a pas compris ce qui se cachait derrière les rédactions du futur assassin parlant de sa haine de l'humanité...

Ils et elles sont treize sur scène, parlent et/ou chantent en anglais, finnois, tchèque, roumain, français, suédois, allemand, espagnol, grec, soit neuf langues différentes à consonances diverses et dont la propre "musique" est partie prenante de l'oeuvre.

 

Simon Stone est totalement à son affaire dans ce conte moderne à labyrinthe comme il l'était dans sa mise en scène de Die Tote Stadt (DVD de l'opéra de Munich qui sort ce mois)

Il crée d'ailleurs exactement le même décor, petits cubes entassés les uns sur les autres montrant les pièces du banquet (salle principale, entrée, cuisines) et celles du collège (diverses salles de classe, douches, toilettes, entrée). L'ensemble de la structure est totalement ou partiellement éclairée selon l'effet recherché et tourne pour dévoiler telles ou telles pièces. La direction d'acteur est très efficace, cela se regarde avec passion et sans temps morts, c'est moderne, fluide, angoissant, et très très bien interprété. Petit à petit d'ailleurs, les "cubes" changent d'intérieur et les cloisons de place, pour que le drame les occupe progressivement toutes, que la salle du mariage disparaisse et que les murs des salles de classe se couvre de sang.


Et une équipe de choc d'artistes chanteurs/acteurs nous fait vivre ce drame avec brio à commencer par l'impressionnante mater dolorosa de Magdalena Kožená qui crie sa souffrance et sa haine, ses reproches et ses violentes accusations contre la famille de l'assassin de sa fille avec un réalisme sidérant... Magnifique performance rejointe dans l'extraordinaire par la jeune Vilma Jää (Marketa), "sa" fille, à la voix percutante et inoubliable, sa fille, "assassinée de trois balles dans le coeur", "morte sur le coup" et qui bouleverse profondément à chacune de ses interventions, tant le style de chant qui lui est réservé par la compositrice sort totalement des sentiers battus de l'art lyrique, s'apparentant assez directement au folklore sans pour autant détoner. 

Saluons également la "mère de l'assassin", Sandrine Piau tout à son déni, presque recroquevillée sur elle même et empêtrée dans ses mensonges, terriblement impressionnante, Lucy Shelton le professeur qui ne se pardonnera jamais et refait sans cesse le film de cette journée tragique, Julie Hega (Iris) qui révèlera peu à peu le rôle tragique qu'elle a joué elle aussi tout comme Markus Nykänen le frère de l'assassin. Mais c'est l'ensemble de l'équipe mêlant chanteurs d'opéra et chanteurs de variété,  à laquelle s'ajoute les techniciens très sollicités durant la séance, qu'il faut saluer.


Une très belle réalisation pour une création passionnante qui aura sans aucun doute, un bel avenir, à voir et à revoir sur Arte Concert.

https://www.arte.tv/fr/videos/097910-00 ... ence-2021/


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