Jonas Kaufmann embrase les arènes de Vérone avec Wagner, Verdi, Giordano, Puccini !

Jonas Kaufmann, gala





Arènes de Vérone, 17 Aout

 

Avec l'orchestre de la fondation des Arènes de Vérone sous la direction de Jochen Rieder

Jonas Kaufmann, ténor

Martina Serafin, Soprano

Le Gala Jonas Kaufmann était l'un des événements importants de ce 98ème festival d'opéra des Arènes de Vérone, avec l'Aida en version concert donné sous la direction de Riccardo Muti pour le 150ème anniversaire de Verdi, la "nuit" Placido Domingo, la soirée Roberto Bolle, le Requiem de Verdi et la IXème symphonie de Beethoven. Et bien sûr la pluie d'étoiles des très riches distributions des oeuvres données, Aida, Turandot, Cav/Pag, Nabucco, la Traviata.

D'une part, Jonas Kaufmann venait pour la première fois chanter dans les Arènes. D'autre part, il présentait en première partie, Wagner, grand absent du festival depuis pas mal d'années.

Interviewé de multiples fois avant son récital, le ténor a souligné à plusieurs reprises, qu'il lui était naturel de chanter Wagner en tant que chanteur allemand, mais tout autant l'opéra italien, surtout en Italie, où il rappelle que l'un des tournants décisifs de sa carrière, a été la rencontre en 1998, avec Georgio Strehler (qui aurait fêté ses cent ans ces jours-ci) au Piccolo teatro de Milan, pour un Cosi Fan Tutte très réussi. Le grand metteur en scène de théâtre avait trouvé la mort en plein milieu des répétitions et les jeunes chanteurs lui avaient rendu hommage lors de la première en plaçant une bougie sur scène au moment des saluts, trace éphémère de son rôle et de la vie qui s'éteint quand l'ouvre demeure.

Quant au fait de chanter en extérieur, "sous les étoiles", c'est « un vrai plaisir » qui comporte bien des avantages qu'il décrit ainsi : « Beauté pure. Lorsque la soirée est favorable et que le climat est dégagé, la nature elle-même aide à entrer en contact avec le monde de l'opéra et il est plus facile pour le public d'être enchanté par la musique. Beaucoup de gens considèrent que chanter en extérieur n'est pas assez "pur", mais certains discours ne m'intéressent que très peu. Je fais ce métier pour transmettre des émotions, alors pourquoi ne pas aller là où c'est le plus facile à faire ? De plus, dans une pièce fermée, l'atmosphère se réchauffe à chaque air, tandis qu'à l'extérieur, c'est le contraire et vous pouvez mieux respirer. »

Le choix du programme est donc revendiqué comme tel : Wagner, Verdi, Giordano.






Mais tous ceux qui connaissent la faculté de Kaufmann de transformer un concert au départ corseté, en une aventure dont on se demande si elle va s’arrêter, savent que le nombre de « bis » dépendra de l’ambiance qu’il aura su créer.

Et hier soir, le ténor, maitre du jeu, entrainant ses partenaires, Serafin comme Rieder, a conduit les 7000 spectateurs dans un crescendo de plus en plus enthousiasmant, où il paraissait littéralement infatigable jusqu’à ce « Ombra de nube » romantique et apaisant, pour un adieu à minuit passé, suivi d’une interminable standing ovation où les cris de remerciements fusaient dans cet immense amphithéâtre plongé depuis longtemps dans la nuit douce de Vérone, étoiles au ciel, croissant de lune au dessus de la tête des chanteurs.

En plus d’être un ténor au répertoire impressionnant et au charisme incontestable sur scène, Kaufmann est un véritable « showman » et peut, quand il est en forme et « sent » le public, se transformer complètement en une soirée, du Siegmund aux interminables et brillants « Wälse », en frac et nœud pap blanc, au chanteur de charme, costume trois pièce et cravate bleue, qui sait camper un Cavaradossi de légende en quelques minutes, puis, après l’émotion intense où les larmes viennent, enchainer Leoncavallo (en italien) et Lehar (en allemand) en passant par deux extraits très emblématiques et longs de ses meilleurs rôles, l’Alvaro de la Forza del Destino et l’Andrea Chenier de Giordano.

Et pourtant, il y avait une certaine audace de la part de ce « natif d’Allemagne, mais Italien d’adoption », comme il se définit souvent, à commencer par l’austère Siegmund dont les longues strophes ne sont pas forcément aussi familières à un public italien qu’à un auditoire allemand. Jonas Kaufmann aime ce rôle de frère et amant de Sieglinde, tourmenté et sensible, qui comporte des ombres et des lumières. Et il faut lui reconnaitre qu’il y excelle devant un auditoire silencieux et attentif, avec une partenaire qui a également souvent chanté Sieglinde et connait parfaitement ce répertoire, avec un orchestre qui, sous la battue de son ami Rieder, sait accompagner les moments héroiques comme les moments élégiaques et presque lyriques de cette magnifique partition. C’est un vrai beau Siegmund, émouvant, alternant le sombre et le lumineux et même si le ténor a parfois de légères scories dans une voix qui atteint peu à peu sa plénitude (notamment pour un magnifique « Wintersturme ») il fait une démonstration impressionnante en plein air, au milieu d’une brise légère et devant d’impressionantes vidéos « images » de forêts, du bonheur qu’est le retour de Wagner à Vérone.

Le public l’accueille avec bienveillance mais sans excès. Nous ne sommes en réalité qu’au début du concert…

La voix est définitivement chauffée et les moyens vocaux sont tous rassemblés pour cet air d’Alvaro qui commence par une longue introduction musicale et se termine par l’un des plus beaux crescendos qui part du pianissimo pour enfler jusqu’au fortissimo, une de ces réussites impressionnantes qui signe le talent du ténor et son sens fabuleux de l’interprétation.

Son improvizzo d’Andrea Chenier, suivi d’ailleurs du duo qui comprend tout le final de l’opéra, jusqu’aux derniers échanges tragiques des amants prêts à monter à l’échafaud (Viva la morte insiem !), a définitivement conquis l’arène embrasée qui hurle « bis », « bis » au ténor qui n’hésite pas à se lancer dans un nouveau marathon celui des « encores » pour la plus grande joie de ceux et celles qui n’en croient pas leur bonheur d’avoir la chance d’entendre « en vrai » un ténor un peu mythique aujourd’hui et qui ne ménage pas sa peine pour plaire.

Martina Serafin de son côté, bien meilleure dans Wagner que dans Verdi, ne convainc pas franchement ni dans Macbeth, ni dans Giordano, les aigus sont d’ailleurs de plus en plus « criés ». Elle garde pour elle, un beau medium et un grand sens de la scène mais la voix bouge beaucoup. Elle a malgré tout une qualité assez rare dans le circuit actuellement, le fait de chanter tout à la fois Lady Macbeth (Verdi), Sieglinde (Wagner) et Madeleine de Coigny (Giordano). Si Anja Harteros acceptait ce genre de show 

 cceptait ce genre de show (qui ne semble pas être sa tasse de thé), elle serait évidemment une partenaire de rêve pour Kaufmann, dans l’ensemble de son répertoire. Mais…


Les « bis » ont commencé par deux valeurs sûres de tout récital d’airs d’opéra pour un ténor : Nessun Dorma et Lucevan le Stelle. Dans les deux cas, Kaufmann a une interprétation bien à lui qui séduit et même électrise le publi sans coup férir. C’est tout à la fois fort et tout en nuances, chaque syllabe a sa couleur et chaque phrase son sens.

La chanson italienne était de rigueur et elle est accueillie avec enthousiasme par un public qui monte crescendo comme le ténor (tandis que la nuit fraichit…), ce sont des « bis » habituels des grands soirs de Kaufmann en concert, il leur donne toutes les nuances qu’il sait faire et les fameux « forte » de conclusion ou les longs crescendo impressionnants de maitrise, sont des garanties de succès immédiats.

Mais il chante aussi un duo en allemand de Lehar, avant de conclure par ce « Ombra de nube » qui lui sert souvent de conclusion romantique et magnifique, surtout à minuit passé quand il faut savoir finir un concert. Je n’ai pas de mots pour décrire la standing ovation qui a suivi, les spectateurs s’avançant par les travées vers la scène pour le saluer, l’immense bonheur qui retarde les départs et puis, en témoignent les nombreuses photos des réseaux sociaux, l’accueil du ténor à l’extérieur des arènes avec selfies divers. Infatigable, Kaufmann reste souriant et détendu. Il l’a dit souvent : le public, le vrai, est la seule chose importante pour un artiste. Ce soir, l’année maudite sans public a été effacée pour lui comme pour nous.


Programme

 

Première partie

 

Prélude acte 3

Lohengrin (Wagner)

 

Acte 1, scène 3 et final, Die Walküre (Wagner)

Jonas Kaufmann, Siegmund

Martina Serafin, Sieglinde

 

Deuxième partie

Ouverture, la Forza del destino (Verdi)

 

Jonas Kaufmann

La vita e inferno all'infelice... O tu che in seno agli angeli

La Forza del destino (Verdi)

 

Martina Serafin

Nel di della vittoria...vieni ! T'affretta !

Macbeth (Verdi)

 

Intermezzo

Manon Lescaut (Puccini)

 

Jonas Kaufmann

Un di all'azzurro spazio

Andrea Chenier (Giordano)

 

Martina Serafin

La Mamma morta

Andrea Chenier (Giordano)

 

Jonas Kaufmann et Martina Serafin

Vicino a te s'acqueta et final

Andrea Chenier (Giordano)

(avec la courte participation du baryton Nicolò Ceriani)

 

"Bis"

Jonas Kaufmann

"Nessun Dorma » (Turandot, Puccini)

 

« E lucevan le stelle » (Tosca, Puccini) 

 

« Mattinata » (Leoncavallo)

 

Martina Serafin 

« Meine lippen sie kussen zu heiss » (Lehar)

 

Jonas Kaufmann

« Non ti scordar di me »

 

Jonas Kaufmann et Martina Serafin

« Lippen schweigen » (Lehar) 

 

Jonas Kaufmann

« Ombra di Nube » (Refice)

 

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