4 novembre : Jonas Kaufmann au théâtre du Châtelet en hommage à Puccini
La tournée de concerts que donne actuellement Jonas Kaufmann en hommage à Giacomo Puccini dont on fête le centenaire de la disparition, passait par Paris, théâtre du Châtelet qui, à cette occasion, affichait complet dans l’effervescence des grands soirs. Le grand ténor se fait rare en France et il était fêté comme l’immense star qu’il est depuis deux décennies maintenant dans le monde de l’art lyrique.
Un phénomène…
Notre confrère Michael Atzinger conclue l’article qu’il consacre au concert précédent, celui de la Philharmonie de Munich, le 2 novembre, par ces mots : Er ist und bleibt ein Phänomen (il est et reste un phénomène).
Il est incontestable que Jonas Kaufmann impressionne par ses capacités à toujours rebondir quand nombre d’observateurs jugent régulièrement que sa carrière est sur le point de se terminer. Certes, il n’aligne plus les glorieuses prises de rôles des années 2010 à 2017 où il réussissait à inaugurer sa propre (et toujours remarquée) interprétation de rôles successifs aussi différents que Siegmund et Faust (au MET en 2011), et où il triomphait dans Lohengrin et Cavaradossi, Werther et Des Grieux, don José et Radamès, Parsifal et Andrea Chenier, Don Carlo et Don Carlos, Otello et Tristan et on en oublie forcément !
Mais il peut encore réaliser l’exploit rare d’assurer onze concerts de suite « Viva Puccini » sur le même format que celui du Châtelet, à raison d’un concert tous les deux ou trois soirs, de Vienne au Konzerthaus à Lucerne au KKL, en passant par Munich, Stuttgart, Francfort, Dortmund, Brême, Hambourg… Le tout avec décontraction, bonne humeur, élégance et style, et savoir-faire désormais rodé pour animer de véritables saynètes qui séduisent immédiatement le public conquis dès le premier (et brillant) air solo, Recondita Armonia, l’extrait de l’acte 1 de Tosca.
L'art des nuances, des couleurs, des demi-teintes
On argumentera sur l’assombrissement de son timbre (qui ne serait pas très « italien ») mais personnellement, j’apprécie tout particulièrement cette voix unique qui restera dans les annales du chant ténoral, comme capable de donner des accents d’une très grande expressivité avec une palette de couleurs impressionnante et des aigus très bien projetés et claironnants tout en « sonnant » comme un baryton.
Et puis il reste incontestablement le roi de la messa di voce (l'art de la conduite de la voix), des demi-teintes, des diminuendos/crescendos où la phrase musicale se déploie autour d’une réelle lecture des sentiments exprimés, bien loin de toute déclamation ou de tout excès vériste avec sanglots dans la voix.
Et c’est peut-être d’ailleurs parce qu’il rend justice à Puccini en lui redonnant ses lettres de noblesse sans céder aux facilités « véristes » ou aux coups de glotte pour faire de l’effet, qu’on aime cette classe et cette distinction très personnelle, ce charisme scénique qui lui est propre, là aussi.
Les airs solo qu’il donne alors dans les concerts de cette tournée, ne sont pas très nombreux (et on le regrette) mais ils marquent la soirée : son « Lucevan le stelle » (Tosca), absolument prodigieux d’intelligence musicale qui émeut jusqu’au tréfond par sa sobriété et la qualité de cet immense hymne à la vie à la veille d’une mort programmée, son « Ch'ella mì creda libero e lontano » (la Fanciulla del west), sans doute l’un de mes airs pucciniens préférés et dont il est là aussi, le meilleur interprète possible, et bien sûr son « Nessun Dorma » (Turandot), l’apothéose habituelle de ses concerts.
Concernant les duos, son talent et son style, uniques dans ce répertoire, méritaient sans doute une partenaire plus aguerrie que la soprano Valeria Sepe, égarée dans Puccini, dont elle ne maitrise vraiment que l’air de Liu (Turandot) et celui de Gianni Schicchi, n’ayant pas le format vocal adéquat pour Manon Lescaut, Tosca, Madame Butterfly ou Mimi (La Bohème).
La voix est celle des rôles tels que Suzanne dans Mozart. Trop étroite et parfois stridente du fait de la difficulté à déployer des aigus larges, elle ne peut pas couvrir la richesse harmonique de ces rôles de spinto et l’erreur de distribution est manifeste.
Kaufmann en gentleman, la couvre d’attentions lors de leurs duos, on lui sait gré de sa gentillesse mais le public, qui ne s’y trompe pas, réserve quand même des applaudissements plus polis que sincères aux prestations de la soprano.
Sans doute est-il difficile de trouver une artiste volontaire pour le suivre dans autant de concerts (Maria Agresta l’a accompagné à Stuttgart), les sopranos confirmées dans ce répertoire ayant de nombreux engagements de début de saison, mais force est de constater que le résultat est un peu frustrant du fait de ce déséquilibre. Et ce, malgré l'immense talent que le ténor déploie dans l'ensemble de ces véritables joyaux qui voient s'affronter et s'attirer mutuellement dans les affres de la passion les couples les plus célèbres mis en musique par Puccini.
L’orchestre du Deutsche Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz dirigé par Jochen Rieder est le partenaire fidèle de Kaufmann lors de ses longues tournées. Il n’échappe pas toujours à la tentation d’exagérer les accents dramatiques de Puccini sans en rendre toujours toutes les couleurs et la richesse musicale réelle, et adopte à plusieurs reprises des tempi trop lents. Mais dans l’ensemble son entente avec le chanteur est réelle, et l’ensemble assure une cohérence dans la tenue du concert durant toute la soirée.
La soirée se termine par une standing ovation dont les applaudissements semblent ne jamais vouloir finir. La joie du public parisien est manifeste et incontestable. C’est la marque des grandes stars.
Puccini Love Affairs, un bien beau CD
Cette tournée assure également la promotion du CD « Puccini Love Affairs » sorti en septembre et qui alignait des duos de très grande qualité avec de prestigieuses sopranos telles que Pretty Yende, Asmik Grigorian, Sonya Yoncheva ou Anna Netrebko, très bel enregistrement auquel nous avions consacré un article dans le magasine en ligne Cult.news
C’est avec cette dernière qu’il chantera le dernier acte entier du Manon Lescaut de Puccini, dans la soirée de prestige de la Scala de Milan sous la direction de Riccardo Chailly le 29 novembre prochain. Arte en assurera la retransmission en direct.
(C) Gregor Hohenberg / Sony Music
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