Munich : Un « Bal Masqué » onirique et mystérieux, Ludovic Tézier et Nicole Car dominent la distribution



Créé en 1859 à Rome, « Un ballo in maschera » (le Bal Masqué) est l’un des derniers opéras de Giuseppe Verdi, composé juste avant la « Forza del destino » dont il partage les thèmes dominants. Chœurs et solistes s’y taillent la part du lion avec des airs superbes où se sont illustrés de grands noms de l’art lyrique. Depuis la création en 2016 d’une très esthétisante et intéressante mise en scène, Munich reprend régulièrement l’œuvre pour quelques représentations avec de nouvelles distributions à la hauteur de la réputation de la maison. Car, disons-le franchement, on vient aussi (d’abord ?) pour les chanteurs (et acteurs).

 Originalité et beauté de la mise en scène

La mise en scène de Johannes Erath, créée à Munich en mars 2016, avait été copieusement huée lors de la Première. Depuis, comme c’est souvent le cas, elle s’est installée et la beauté artistique de ses décors « Berlin des années vingt » lui donne un charme et une élégance qui n’a pas pris une ride depuis presque dix ans. 

Piotr Beczala, Anja Harteros (la star de Munich à l’époque) et Georges Pétéan incarnaient les rôles principaux et l’une des représentations, captée et diffusée en direct, avait fait l’objet d’un DVD bienvenu, la discographie de haut niveau du Ballo in Maschera étant tombée en panne depuis les incarnations (inoubliables) des trios Carreras/Caballé/Wixell et Domingo/Riciarelli/Bruson pour citer mes préférés.

S’appuyant sur le thème du « destin » (et de sa force irrésistible supposée), Erath, qui faisait alors ses débuts à Munich, propose une sorte de huis-clos très luxueux au décor unique, de Heike Scheele, une chambre circulaire avec un lit immense, aux tentures et rideaux qui s’ouvrent et se ferment avec élégance, surmontée d’un gigantesque escalier en spirale qui ménage les entrées et les sorties des artistes d’une manière aussi originale qu’impressionnante. L’arrivée d’Amelia descendant lentement les marches est un grand moment d’émotion.

Le lit tout drapé de soie et d’étoffes brillantes, a son « double » au plafond « miroir » tout près des cintres, et l’on y voit la chevelure blonde de la sorcière Ulrica. Le sol est composé d’un carrelage sophistiqué et mouvant et l’ensemble des costumes (de) respire l’élégance et la distinction jusque dans le choix des « vêtements d’intérieur » que portent les protagonistes dans leur intimité. La robe de chambre de Riccardo avec son « tsunami » (encore une annonce du destin qui l’attend) façon Hokusai, brodé, en est l’une des plus belles illustrations.

Tout se passe sur et autour de ce lit, comme dans un rêve dont Riccardo peinerait à s’éveiller après une manifeste soirée de beuveries vue la position dans laquelle il git, allongé, lors de sa première apparition. 

Pendant l’Ouverture, sur le rideau transparent encore fermé, se projettent les images noir et blanc d’un bal où déambulent avec élégance de beaux messieurs et de belles dames en frac et robes de soirées.

Et dès le début Riccardo, comte de Warwick, le plus élégant et distingué des gentlemen de cette soirée mondaine, parie sur sa vie et sa mort par le truchement du jeu sinistre de la roulette russe lorsque Ulrica tend un revolver à Riccardo. Les chœurs en contre-jour et dans un style 

On le sait, Verdi avait d’abord voulu mettre en scène l’assassinat du roi de Suède, Gustave III mais la censure italienne lui avait interdit d’orchestrer le meurtre d’un roi sur scène en guise de divertissement et il dut se rabattre sur cette solution boiteuse et improbable du crime commis par un mari jaloux contre le gouverneur de… Boston. 

Peu importe alors en effet pour un metteur en scène, de ne s’intéresser qu’au fil rouge du drame, à savoir, comme pour Macbeth ou la Forza del destino, la réalisation d’une prophétie d’une sorcière qui symbolise le « mal ».

L’omniprésence, dès le début de la représentation, d’Ulrica sur le plateau, apparaissant par une trappe du dessous du plancher ou au sommet de l’escalier, est une sorte de rappel obsessionnel du « ce-qui-soit-arriver-arrivera ». Loin de la sorcière noire du livret, cette Ulrica-là est blonde et revêtue d’une très élégante robe noire à buste, évoquant davantage la tentation par la beauté que le maléfice. 

Face à elle, Riccardo est un jouet consentant du destin puisqu’il croit uniquement à sa chance. Le personnage est très caractérisé par Erath qui lui donne force de mouvements et de postures à exécuter, rendant vivantes et même passionnantes, ses aventures de dandy incrédule finalement victime surprise de son amour interdite mais aussi, de son arrogance. 




Amelia, elle, en belle jeune femme qui n’a jamais fauté autrement que par la pensée, reste sobre (chevelure brune bien coiffée et robe blanc immaculé) dans ce déferlement de séduction qu’exécute son amant magnifique, on la sent déchirée, jamais vraiment heureuse et sans cesse culpabilisée.

Quant à Renato, le mari trompé, il n’est pas en reste dans la scénographie imaginée par Erath puisqu’il ne cesse d’imposer son autorité bafouée avec force de gestes décidés.

Oscar est un véritable lutin sautillant dans tous les coins du plateau et grimpant régulièrement sur le meuble au dos du lit pour faire ses numéros.

Erath complexifie sa mise en scène en créant pour chacun des personnages (sauf Renato dont la psychologie sommaire est un peu l’axe de stabilité du récit), un double : marionnette pour ventriloque qui change régulièrement de costumes pour s’adapter aux différents tableaux et que tiennent Oscar ou Riccardo, silhouette de figurante tenant par la main un enfant pour Amelia, symbolisant les hésitations entre la mère et l’amante, figure classique du triangle amoureux. Beaucoup d’objets sont utilisés pour symboliser cette action qui prend très souvent l’apparence d’un rêve (ou d’un cauchemar) comme les sphères des lampes dont l’un devient la boule de cristal de Ulrica et surtout, cet étonnant effet miroir du plafond dans lequel se reflètent les situations sauf lors du dernier tableau où Riccardo, assassiné, reste immobile comme lors de l’ouverture de l’opéra, allongé la tête en bas, sur son lit.




 

Tézier règle en maître dans Verdi… et à Munich !

 

Il faut bien sûr d’excellent chanteurs pour servir Verdi mais aussi d’excellents acteurs pour assurer l’ensemble des caractéristiques d’une mise en scène très théâtrale.

De ce point de vue, chacun a brillé par son inventivité et la précision de ses gestes et expressions sur le plateau durant la soirée d’hier, troisième représentation de cette reprise. 

Il faut décerner la palme d’or à Charles Castronovo de ce point de vue, tant il apparait parfaitement à l’aise dans l’incarnation d’un personnage auquel il offre son physique avantageux, la souplesse de ses mouvements et l’intelligence de son interprétation du héros fantasque, amoureux, fanfaron et peut-être inconsciemment un peu suicidaire dans la vision d’Erath. 

Mais les autres présentent chacun dans leur rôle, des qualités théâtrales incontestables qui dépassent très largement nombre de Bal Masqué vus précédemment.

 

Côté chant, ça se gâte un peu essentiellement du fait de la méforme manifeste du ténor américain qui peine à « tenir » sa ligne de chant et offre à plusieurs reprises, une diction un peu pâteuse, un style un peu débraillé et un timbre peu élégant. Si toutes les notes y sont, aigus comme graves, et qu’il tente à plusieurs reprises quelques « pianos » que l’on sent un peu difficiles, l’ensemble laisse insatisfait un public qui l’accueille d’ailleurs sans enthousiasme malgré les « tubes » de ténor dont sa partie est truffée. Grippé récemment, ce qui l’avait amené à annuler la Première de cette reprise, Castronovo n’aura sans doute pas recouvré toutes ses capacités vocales dans un rôle de ténor lyrique très exigeant.

Ses petits défauts récurrents sont évidemment particulièrement visibles en regard de l’excellence de ses deux partenaires.

Nous avons la chance d’entendre Ludovic Tézier ici à Munich, parce que, pour cause de grippe également, il n’a pas pu assurer les répétitions de « Das Rheingold » à Paris et a dû renoncer à son rôle de Wotan (ce que nous regrettons comme lui on l’imagine).

J’ai vu Tézier à ses débuts à Munich, les deux fois dans des rôles verdiens exceptionnels, Posa pour un Don Carlos durant l’été 2013 puis Don Carlo de la Varga dans une Forza del Destino mémorable, fin 2013, début 2014, et l’on peut dire sans hésiter, qu’alors relativement inconnu du public bavarois, il a su immédiatement les conquérir. A tel point que notre baryton français, parfois un peu emprunté sur scène, m’a toujours paru très à l’aise sur celle de Munich et hier soir ne faisait pas exception. Il campe un Renato un rien solennel et dominateur, d’une grande autorité sur le plateau, offrant une véritable leçon de chant verdien : legato souverain, aigus en forte magnifiquement projetés mais sans ostentation excessive, diction impeccable avec sens du rythme, des accents, des couleurs, des nuances tout ce qui fait la richesse d’une interprétation vocale de qualité.

Il a d’ailleurs été ovationné dès son « Alla vita che t'arride », magistral.




 

Nicole Car souveraine en Amelia

 

Nicole Car est, pour moi, la très bonne surprise de la soirée. Qu’on le veuille ou non, succéder à Anja Harteros dans l’un de ses rôles emblématiques de sa grande période dans « sa » maison (le programme est rempli des superbes photos de la diva dans ce rôle) n’est pas chose aisée. Sondra Radvanovsky, la première à l’avoir « remplacée » en Amelia, avait réussi le challenge du fait de sa propre forte personnalité, d’une manière très différente de chanter le rôle et de sa propre notoriété à Munich après des Norma et des Tosca inoubliables.

Nicole Car, quant à elle, évoque directement et à plusieurs reprises, le timbre et le style d’Anja Harteros à tel point qu’on en est parfois (délicieusement) troublé. Nous lui trouvions à ses débuts, un timbre parfois un peu strident dans les aigus. Elle a manifestement énormément travaillé sa voix et sa technique car sa prestation était éblouissante de justesse, de beauté, de nuances avec un « Morrò, ma prima in grazia » qui a provoqué, à son tour, une ovation immense du public ému et manifestement touché. 

 

C’est la mezzo-soprano russe Yulia Matochkina qui chante (et joue) la maléfique Ulrica. Elle nous avait beaucoup impressionnée en Mafra à l’Opéra de Paris dans la Khovantchina il y a quelques années. C’est l’une des meilleures mezzos dramatiques de ces dernières années et l’on se réjouit de la retrouver également en Santuzza dans la nouvelle production de Cav/Pag à Munich en mai prochain. Le timbre est large et opulent, le registre des graves (sollcité à plusieurs reprises dans Un Ballo) bien soudé à un medium particulièrement chaleureux, les aigus se déploient facilement et l’ensemble est bien articulé. 

Le page Oscar de la colorature Seonwoo Lee est certainement très agréable à voir et à écouter avec ses vocalises très fraîches et très précises, mais la projection est assez limitée et l’on parfois tendre l’oreille malgré la qualité technique.

Les deux basses, ennemis du compte, Samuele et Tom, sont solidement et intelligemment interprétés par les basses, habitués de Munich, que nous avons déjà remarqués dans plusieurs rôles, Bálint Szabó et Roman Chabaranok, tout comme le marin Silvano assuré par le baryton Andrew Hamilton.L’on remarque également les petits rôles de ténors de Tansel Akzeybek (Un juge) et Dafydd Jones (Un serviteur d’Amelia).

La direction de Andrea Battistoni est comme toujours jeune, dynamique, colorée, inspirée et ne manque pas d’atouts pour du bon Verdi surtout à la tête d’un orchestre et de chœurs de très haut niveau.

Munich nous a offert comme souvent, une belle soirée de reprise d’une œuvre de Verdi que l’on regrette de ne pas voir plus souvent tant elle regorge de trésors musicaux.




  Photos : BSO/ Crédit Geoffroy Schied. (saluts : photo personnelle)

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