Opéra de Munich : Hansel und Gretel entre rire et terreur !




Classique des fêtes de noël outre-Rhin, l’opéra de Humperdinck est peu connu en France. Il fait pourtant tous les ans, la joie des enfants, et fonctionne comme une expérience initiatique à l’art lyrique. La mise en scène de Jones accentue la noirceur du propos tandis que la direction dynamtique de Jurowski valorise une partition qui n’a rien de mièvre. Une très belle distribution complète la représentation fort agréable et fêtée par les très nombreux enfants présents.


Un public enfantin

Hansel und Gretel est un conte des frères Grimm toujours coté au royaume féérique des enfants malgré son incontestable cruauté. L’excellent compositeur allemand, Engelbert Humperdinck, peu connu dans nos contrées mais très populaire dans le monde germanique, en a tiré un opéra flamboyant, à l’orchestration complexe sur un livret limpide et poétique de sa sœur Adelheid Wette. Il suffit de préciser que la Première a eu lieu à noël 1893 à Weimar sous la direction de Richard Strauss, pour situer le compositeur dans son époque, le post-wagnérisme, qui fut si généreux en œuvres passionnantes.


Avec l’opérette de Johann Strauss, Die Fledermaus (1874), Hansel und Gretel est de tradition à l’approche des fêtes en Allemagne et nombreux sont les enfants qui se voient offrir leur premier opéra « en vrai » et « comme les grands » à l’occasion des multiples représentations de ce joyau.


L’opéra de Munich ne fait pas exception bien évidemment et les enfants, parfois très jeunes, composaient plus d’un tiers du public de ce samedi soir. Le 12 décembre, Munich donnera même deux représentations, l’une dans la journée l’autre le soir en alternant les distributions.


Il n’y a ni coupures, ni aménagement réservé aux enfants et l’on devine les ambiances musicales et les préparations à l’œuvre dont ils et elles ont pu bénéficier dès leur plus jeune âge à leur sagesse et à leur évidente jubilation devant ce spectacle dont on peut pourtant se demander s’il est exactement fait pour les petits, surtout dans le cadre d’une mise en scène féérique mais sans complaisance ou arrangement de Richard Jones.


Dont acte, non seulement le jeune public ne montre guère de signes de fatigue ou de peur, mais il reste captivé jusqu’au dernières minutes (Début : 19h, fin 21h30, un entracte de 30 minutes) et ovationne littéralement l’ensemble des artistes dès le rideau final baissé.

La production de Richard Jones, à qui l’on doit des réalisations aussi diverses que Lohengrin ou les Contes d’Hofmann à Munich, et plus récemment Parsifal à Paris Bastille, ne fait pas dans la dentelle et « traduit » en quelque sorte les situations dramatiques auxquelles sont confrontés les deux jeunes héros de l’histoire.





Jones à la mise en scène

L’ouverture flamboyante menée de main de maître par le directeur musical de l’opéra de Bavière, Vladimir Jurowski, doit être écoutée en tant que telle : aucune illustration scénique autre qu’un rideau baissé dont l’illustration représente une assiette, une fourchette et un couteau, ne vient distraire le spectateur. C’est rendre hommage et justice à cette musique puissante aux contrastes abyssaux, aux tessitures complexes, qui rend compte de manière particulièrement expressionniste des contradictions du monde de l’enfance partagé entre joie de vivre, insouciance et peur des fantômes de la nuit. On passe ainsi du chœur des anges gardiens interprétés par les cors au royaume de la sorcellerie, brutal et heurté, pour revenir vers la douceur du retour à la normale et à la mélodie.


On se met donc dans l’ambiance quand s’ouvre le rideau dévoilant une petite scène qui semble suspendue au milieu de la grande scène de Munich, comme une maison de poupée au décor intérieur assez banal : fenêtre, porte, table, chaises, buffet, balai. 


Nos deux merveilleuses interprètes -qui paraissent avoir l’âge supposé du rôle-, Rachael Wilson en Hansel et Nikola Hillebrand en Gretel- jouent, chantent et dansent dans la cuisine un peu terne de la demeure familiale, pour tromper la faim qui les ronge. Les airs et mouvements de ballet sont connus des enfants (notamment les « Brüderchen, komm tanz mit mir! » et « Suse, liebe Suse, was raschelt im Stroh? » (Petit frère, viens danser avec moi ! » – « Susie, ma chère Susie, qu'est-ce qui bruisse dans la paille ?) et le premier tableau très ludique et très entrainant. 


L’arrivée de leur mère, Gertrud, incarnée avec énergie par la soprano Juliane Banse, perturbe le bel équilibre entre les deux enfants. Grondés pour leur batifolage, ils doivent nettoyer la maison et sont finalement envoyés dans la forêt pour y chercher (!) des fraises.

Le décor de John Macfarlane évolue alors sensiblement vers le surnaturel avec le même dispositif scénique, mais représentant cette fois la salle à manger délabrée d’un château où poussent des arbres étranges et inquiétants (figurants dotés de grandes branches qu’ils lèvent ou abaissent en cadence). Les enfants les affrontent pour remplir leurs paniers de baies avant de se blottir contre les pieds de la table pour s’endormir.

Le désir de manger est omniprésent dans l’œuvre comme dans l’illustration de Jones. Ainsi après l’apparition très réussie du marchand de sable (belle performance de Meg Brilleslyper), accompagnée d’une étrange marionnette macabre, aux allures squelettiques. Et le sommeil des enfants au lieu d’être bercé par le chœur des anges qui les protègent, voit surgir comme dans un cauchemar, une nuée de cuisiniers apportant des mets sur la grande table tandis que le lustre s’éclaire et qu’un chef à tête de poisson, on l’imagine, hante les rêves empoisonnés des enfants endormis.

Puis on bascule dans l’horreur avec l’entrée par une bouche grande ouverte, ouverture ménagée dans le rideau au début du dernier acte, dans la fameuse maison de pain d’épices, siège de la sorcière mangeuse d’enfants, après la brève et élégante apparition de la fée de la rosée (Taunmännchen) joliment chantée par la soprano arménienne Iana Alvazian.





Rien ne nous sera épargné, ni les cadavres d’enfants jonchant le sol ou enfermés dans les placards, ni l’embrochage et le gavage du pauvre Hansel anéanti par la sorcière. Mais bon, tout ça c’est « pour de faux », et les enfants ne sont pas dupes. La courageuse Gretel se défera du sort qui lui a été jeté, libèrera son frère et leur ruse conduira la sorcière dans le four. Son cadavre fumant sera dégusté (mais si …) par les enfants libérés eux aussi de leur état et tout le monde fera la fête, les parents imprudents ayant retrouvé leurs enfants perdus.


Et l’on saluera la qualité des chœurs d’enfants de l’opéra de Bavière pour le dernier tableau, joyeux et débridés.


Loin de certains clichés basés sur l’aspect appétissant de la maison en pain d’épices remplie de friandises, Jones préfère taper fort pour montrer finalement une sorte d’antre du malheur où règnerait un monstre, tel Chronos ou Saturne, qui mange les enfants.

Comme tout est bien qui finit bien, le degré de l’horreur est forcément relativisé par le jeune public qui ressort manifestement enchanté, même si, ici ou là, on aperçoit un jeune visage pensif qui semble s’interroger sur ce qu’il a vu.


Et très belle distribution

Le plateau vocal est comme toujours à Munich de très haute tenue. La maison peut s’appuyer sur la solidité des solistes de sa troupe, et, malgré l’évidente difficulté de la partition, notamment pour les deux héros des rôle-titre, chacun-e s’en tire à merveille.

Le timbre de Rachael Wilson (Hansel) est plus sombre et plus lourd que celui de Nikola Hillebrand (Gretel) ce qui forme un couple de frère et sœur fort crédible et juvénile, gracieux, élégant et doté de nombreux dons pour la danse et le théâtre qui ont été à juste titre ovationnés. La progression dramatique de leurs émotions d’enfants est particulièrement bien rendue, le côté sautillant des premiers airs, comme l’aspect lyrique de leur promenade en forêt, sans oublier bien sûr la prestation finale de Nikola Hillebrand en Gretel vengeresse, particulièrement impressionnante.

On saluera également l’autre couple, celui des parents : Thomas Mole pour le fabriquant de balais, Peter, un jeune baryton de la troupe dont la projection insolente fait imaginer beaucoup d’autres rôles intéressants dans le futur et la mezzo-soprano Juliane Base pour la mère, qui déploie un beau timbre autoritaire, d’abord virago hystérique avant de se calmer puis de s’inquiéter.

La sorcière est là, distribuée à un ténor (les tessitures choisies sont variables), le taiwanais Ya-Chung Huang, tout à la fois débonnaire et effrayant, qui chante de manière particulièrement convaincante sa partie.

Vladimir Jurowski dirige l’ensemble avec force de mouvements qui vont de la fosse au plateau en vrai chef d’opéra, attentifs aux chanteurs autant qu’aux instrumentistes dont il tire comme toujours, un très bon son, un rythme vif et haletant, ne ménageant aucun des moments explosifs de la partition mais valorisant aussi ses grands moments lyriques. 

Une belle soirée de plus à l’Opéra de Munich, avec une œuvre que nous souhaiterions voir plus souvent en France et pour laquelle nous saluons au passage l’initiative de l’Opéra du Rhin qui reprend en ce moment même la production d’Emmanuel Rousseau.

 

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