Andrea Chénier - Munich festival - 28 juillet 2017
Festival de Munich, 28 juillet, Andrea Chénier
Munich, the dream place with the dream cast...
Avec Jonas Kaufmann, Anna Harteros, Luca Salsi
Séance du 28 juillet
Opéra en trois actes de
Umberto Giordano
Immense Andrea Chénier ce soir 28 juillet perfection des
interprètes, tension dramatique exceptionnelle, public en transe, standing
ovation, Kaufmann-Harteros-Salsi au sommet de leur forme, orchestre
parfaitement en adéquation, mise en scène formidablement adaptée, que du
bonheur.
5 jours après deux performances de la Forza del destino, les 19 et
23 juillet, avec le même couple des enfants prodigieux du pays, Jonas Kaufmann
et Anja Harteros, l'opéra de Munich nous offre pour son festival
d'été deux performances d'Andrea Chénier les 28 et 31 juillet. La mise en
scène de Philipp Stölzl est de celle qu’on apprécie de plus en plus
au fur et à mesure qu’on la voit. Elle m'avait déjà impressionnée sur place le
2 avril dernier mais j'étais moins bien placée, trop de côté pour voir
l'ensemble de la scène.
Hier soir, 28 juillet, pour la reprise, cette superbe et astucieuse
mise en scène qui valorise l’opéra et lui donne le tour dramatique nécessaire,
était totalement opérationnelle, parfaitement maitrisée par les chanteurs, les
figurants, le choeur, avec quelques petites adaptations évitant d’enfermer les
voix dans les cases du décor.
Dès le début avant même le début de l’opéra à proprement parler, la
salle s’éteint complètement, fosse d’orchestre compris, le rideau (noir pour la
circonstance) se lève sur la scène, éclairée d’une lumière indirecte et
l’ensemble des figurants est figé dans un très beau tableau figurant la maison des Coigny, domestiques dans les bas-fond, aristocrates dans le salon. Apparait
alors un personnage symbole des « sans-culotte », figure du Joker,
qui chante d’une voix tonitruante qui s’étrangle à la fin « Ah, ça ira, ça
ira ».
Lumière dans la fosse, l’opéra commence.
Les figurants s'animent.
Les figurants s'animent.
Le jeu très astucieux des décors qui coulissent, représentant en
permanence deux, trois ou quatre scènes différentes, donne à l’ensemble une
très grande profondeur : la petite histoire dans la grande, les
aristocrates finissant (et particulièrement méprisant à l’égard du petit
peuple), le ballet de l’acte 1 qui symbolise tant la fin d’un monde, les
sous-sols où s’affairent les domestiques, puis les caves où se cachent Chénier
et Maddalena, puis le cachot où le poète arrêté est torturé. La scène se dégage
pour le procès qui occupe toute la largeur rendant en quelque sorte l’unité de
lieu au moment décisif et le plus tragique de l’opéra : Chénier comprenant
qu’il va mourir de la main de ceux qu’il a soutenu dans l’idéal révolutionnaire.
Autant dire qu’après sept représentations au printemps, cette
reprise d’été est parfaitement rôdée.
Et du plus petit figurant aux stars de la soirée, tout le monde joue
parfaitement bien. Plus que bien même.
Il est fréquent que, lors d’une soirée, l’un des trois ou quatre
rôles principaux ne soit pas tout à fait à sa place, ou que les rôles
secondaires soient négligés, là il n’en était rien.
Et il faut bien le dire, c’est assez exceptionnel.
Andrea Chénier est un opéra dont la musique n’est pas facile, qui
comporte des longueurs notamment dans l’acte 1 (ensuite tout s’accélère) mais
aussi des airs superbes, remplis de panache et de colère, de nostalgie et de
poésie qui nécessitent des interprètes exceptionnels. Il faut des ingrédients
aussi riches que ceux qui nous été proposés hier soir pour que « ça »
marche du début à la fin.
Outre l’équipe de chanteurs exceptionnels que nous avions, il faut
féliciter l’orchestre et les choeurs toujours superlatifs de l’opéra de
Bavière.
Omer Meir Wellber que j’avais trouvé « excessivement
vériste » la première fois, m’a paru avoir parfaitement trouvé ses marques
hier soir, enflant le son aux moments les plus tragiques, faisant monter la
tension sans jamais couvrir les chanteurs et surtout en harmonie parfaite avec
eux.
Je garderai de légères réserves sur le début de l’acte 1, avant
l’arrivée de Chénier, où la mise en scène fait que les chanteurs ont un peu de
mal à se faire entendre trop enfermés dans les petites boites alors que dès que
le décor bouge pour dévoiler la petite scène du ballet, O miracle de
l’acoustique, cette impression « d’enfermement des voix » disparait
pour ne plus jamais réapparaitre.
Car il faut donner de la voix dans Andrea Chenier.
Et de ce côté là nous somme servis.
Jonas Kaufmann d’abord, confirme qu’il a retrouvé tous ses moyens
vocaux, je ne me répète pas, c’est de plus en plus vrai au fur et à mesure
qu’il enchaine les performances et c’est plutot bon signe, puisqu’il vient
quand même d’assurer 7 Otello de suite, deux Forza del destino une semaine
après son dernier Otello et un Andrea Chénier (suivi d’un deuxième lundi
prochain) 6 jours encore plus tard. Tous ces rôles nécessitent une grande
endurance et présente nombre de difficultés vocales pour un ténor, même en
grande forme.
La voix est plus sombre que pour Otello, plus
« traditionnellement kaufmanienne », les aigus restent lumineux, très
sonores et vous percutent de plein fouet. Son premier air “Colpito qui
m'avete... Un dì all'azzurro spazio » est comme à son habitude, donnée
avec force et colère, loin de certaines traditions “lyriques” en la matière qui
ne correspondent pas aux intentions du librettiste ni du compositeurs, ni à la
situation. C’est un poète sommé d’improviser quelques vers dans un salon
aristocratique où l’on aime l’art “artificiel”, c’est un révolutionnaire qui
répondra avec la fougue de son indignation face aux injustices de ce monde.
Et d'un bout à l'autre de l'opéra, il est Chénier, avec sa force de
conviction, sa maitrise millimétrée de la partition et l'impression qu'il donne
toujours d'une grande subtilité des personnages qu'il incarne. Son poème chanté
en prison est sublime et si révélateur du désespoir qu'il magnifie en rêve du
futur.
Le duo avec Harteros atteint des sommets de complicité, son “Soaaaaave”
en son filé crescendo étant bien réussi, le ténor (qui l’avait partiellement
raté au TCE lors de la version concert donnée de cet Andrea Chenier), en
confiance, réussit comme d’habitude des miracles avec sa partenaire de rêve.
Car Anja Harteros, dont c’est la prise de rôle, confirme qu’elle
était, encore une fois, la star de la soirée. J’ai entendu la soprano si
souvent à Munich (et parfois ailleurs...), si souvent en prise de rôle, que je
ne peux que souligner à quel point elle m’impressionne toujours quant au
naturel de ces “premières fois” qui semblent couler de source, aller de soi.
Elle a compris le rôle, l’endosse scéniquement et vocalement sans difficulté,
et nous offre immédiatement des pages d’opéra inoubliables.
Sa Madeleine de Coigny est tout simplement bluffante : sa Mamma
Morta (air de toute beauté, immortalisé par Callas et repris dans le film
Philadelphia ce qui en a fait un tube mondialement connu) vous arrache des
larmes systématiquement, sa manière de moduler ses aigus, d’enfler les effets
dramatiques, de se faire toute douce pour adorer son Chénier ou décidée et
conquérante dans son affrontement avec Gérard, sont autant de moments
inoubliables. Et elle aussi vient d'enchainer une Elisabetta magistrale dans
Tannhauser, puis Leonora de la Forza et enfin cette Maddalena. Qui la surpasse
aujourd'hui ?
Et le couple... On le dit on le répète mais ce n’est pas une figure
de style.
Kaufmann-Harteros c’est du cousu-main. Cela donne des duos de rêve,
des émotions très très fortes et l’envie immédiate de les réentendre ensmble
encore une fois dans un autre opéra...
Mais il faut être au moins trois pour que l’opéra ne soit pas
boiteux.
Le baryton n’est pas en reste, au contraire.
Luca Salsi confirme qu’il a, outre une très belle voix, un très grand sens du personnage (superbe au demeurant) de Carlo Gérard : il habille, lui aussi, parfaitement, ce rôle difficile vocalement qu’il maitrise parfaitement et nous donne un “Nemico alla patria” à la hauteur des plus grands dans ce répertoire très prisé des grands chanteurs d’opéra.
Luca Salsi confirme qu’il a, outre une très belle voix, un très grand sens du personnage (superbe au demeurant) de Carlo Gérard : il habille, lui aussi, parfaitement, ce rôle difficile vocalement qu’il maitrise parfaitement et nous donne un “Nemico alla patria” à la hauteur des plus grands dans ce répertoire très prisé des grands chanteurs d’opéra.
Un nom à suivre absolument, il n’y a pas tant de barytons de son
envergure, de son intelligence et de sa sensibilité sur les scènes lyriques
actuellement qui, de surcroit, jouent magnifiquement un personnage complexe.
Des autres rôles (tous à la hauteur) je retiendra la Maddelon de Elena
Zilio, à qui l’on pardonnera un petit saut de registre en début d’air, qui
soulève toujours des foules d’émotion du haut de ses 77 ans, et qui a été à
juste titre, ovationnée et la Comtesse de Coigny de Doris Soffel, très en voix
et magnifique dans sa représentation de l’aristocratie trop sûre d’elle,
cruelle et arrogante, qui finira très mal...
La salle a applaudi les grands airs comme il se doit mais sans plus,
attachée surtout visiblement à comprendre cet opéra parfois déconcertant
musicalement (et qui ne vaut pas le récent Siberia, exhumé par le festival de
Montpellier du même auteur et du même compositeur) avant d’exploser aux saluts
dans une interminable ovation qui n’a épargné personne, s’est terminée debout,
pieds tapés en cadence sur le sol, dans une interminable manifestation de
reconnaissance aux artistes d’avoir tout donné, et si bien, ce 28 juillet à
Munich où le beau temps en avait profité pour s’installer.
La joie aux saluts du 28 juillet, photo Josiane Mouron
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