DVD Lohengrin, Dresde- Anna Netrebko-Piotr Beczala-
Lohengrin
Direction musicale : Christian Thielemann
Mise en scène : Christine Mielitz
Avec
Henri l'Oiseleur : Georg Zeppenfeld
Lohengrin : Piotr Beczala
Elsa : Anna Netrebko
Friedrich von Telramund : Tomasz Konieczny
Ortrud : Evelyn Herlitzius
Le Héraut du roi : Derek Welton
Orchestre de la Staatskapelle de Dresde.
La série de représentations de ce Lohengrin données en mai 2016 dans
la belle salle de Staatskapelle de Dresde était très attendue. D’une part le
chef d’orchestre Christian Thielemann, directeur musical de la Staatskapelle et
du festival de Bayreuth, est un habitué des opéras de Wagner et chacun de ses
projets est un événement.
D’autre part, Anna Netrebko, la soprano sans doute la plus célèbre
aujourd’hui, superstar incontestable de ces dernières années, accomplissait un
sacré challenge : son premier rôle wagnérien, en Allemagne, pour une soprano
qui ne parle pas un traitre mot de la langue de Goethe quand on sait
l’attachement qu’ont (à juste titre) les citoyens germaniques pour le beau
traitement de leur langue que Richard Wagner a toujours respecté.
En effet les livrets de Wagner sont en osmose parfaite avec la
musique de Wagner, l’orchestre dialogue avec les choeurs, les ensembles, les
duettistes, les solistes. Il n’y a pas de “grands airs” où le soliste brille et
se fait applaudir, il n’y a pas de morceau de bravoure individuel, il ne doit y
avoir aucun conflit entre les voix et l’orchestration. Exercice souvent
périlleux pour un chef qui doit veiller à chaque instant à ne pas couvrir les
chanteurs dans leurs longs monologues au phrasé wagnérien fameux qui
nécessitent un long souffle et ne supportent pas d’être haché ni que la musique
des mots ne soit pas respecté. Rythme, accent tonique, rimes des sons, Wagner
confie aux chanteurs un exercice périlleux, qui ont de longues plages où ils
doivent passer du “récit” chanté aux parties héroiques, de mesures presque
lyriques à des sauts de style brutaux.
Dans Wagner il faut tenir l’opéra de la première note à la dernière.
Il faut donc savoir ménager sa monture si je puis dire pour ne pas
arriver à bout de souffle en fin de parcours. Et les partitions de Wagner
comportent non seulement de nombreux changements de style mais aussi de longues
plages où l’un ou l’autre personnage n’est pas sollicité avant de l’être au
maximum pendant des temps très longs. Il faut alors savoir préparer ces longs
temps, respecter toutes les nuances nécessaires pour exprimer clairement ce que
ces longs monologues signifient sans ennuyer le spectateur.
Oui un sacré challenge pour une soprano Russe, même de la classe
d’Anna Netrebko.
Et c’est sans doute ce qui fait qu’elle est bien une superstar :
elle réussit ce challenge même si l’ensemble de sa prestation souffre de
quelques défauts –et la place loin derrière ma “meilleure” Elsa actuelle, Anja
Harteros, avec laquelle il est difficile de rivaliser dans ce répertoire. J’ai
entendu récemment également Annette Dasch, Edith Haller et Martina Serafin,
souvent titulaires du rôle, meilleures les unes ou les autres par certains
aspects du chant mais moins bonnes sur l’ensemble de la prestation à mon avis.
Une mise en scène qui distille l’ennui
Commençons par dire tout de suite que la mise en scène de Christine
Mielitz, qui a plus de trois décennie de bons et loyaux services, pourrait
utilement être remisée au musée, elle et ses costumes surannés dans des décors
sans grand intérêt.
Que lui reprocher dans son souci de coller au texte ? Déjà d’y
prétendre sans le faire vraiment, en rajoutant forces de chaines et de barreaux
enfermant Elsa quand les didascalies ne prévoient rien de tel, et surtout, de
distiller un ennui mortel. Personnages figés, très peu de mouvements, très peu
d’élans, chacun reste à sa place dans une grandiloquence qui n’est plus de
mise.
Certains aiment. Passons. Ce n’est pas l’essentiel.
Une direction musicale tout en nuances
La direction musicale nous montre un Thielemann dans ses bons jours
(ce qui est souvent le cas dans Wagner à mon avis mais pas toujours). Elle est
subtile, nuancée, même si les coups de fanfare sont toujours trop appuyés à mon
sens, et nous offre le fondu-enchainé que j’apprécie dans cet opéra qui
comporte peu de leitmotivs différents mais une grande diversité de styles et de
formes musicales.
Pourtant l’ouverture –O combien célèbre- est un peu brouillon en
tous cas dans ses attaques un peu molles qui ne rendent pas toujours justice à
son génie. De la même manière les débuts des “ensembles” à 5 voix renforcés
ensuite par des choeurs qui sont l’une des grandes difficultés de Lohengrin, notamment
à la fin de la scène 3 juste avant le combat et juste après, ne sont pas
correctement et harmonieusement coordonnés. Les solistes ont alors tendance à
chanter chacun pour soi ce qui est un non sens dans ces magnifiques parties
musicales où chaque voix doit être entendue séparément en même temps que
l’ensemble forme une choralle. Kiril Petrenko (directeur musicale de l’opéra de
Munich et bientôt de l’orchestre philharmonique de Berlin) y excelle.
Christian Thielemann pas toujours.
Mais dans l’ensemble, l’orchestre, sous sa direction, forme un tapis
musical propice aux chanteurs qui ne sont guère couverts que... par leur
partenaire de temps à autres, jamais par les musiciens.
Un plateau lyrique haut de gamme mais ...
On attendait Anna Netrebko ai-je rappelé, et on n’est pas déçu par
sa prestation. Elle campe une Elsa moins éthérée que d’habitude, plus
vaindicative et plus amoureuse aussi finalement, qu’on sent trop passionnée et
trop “entière” pour vivre dans cet entre-deux que lui propose le Chevalier du
cygne. La mise en scène ne lui propose pas grand chose d’intéressant mais elle
le fait intelligemment et avec pas mal de conviction.


Mais c’est surtout sa prestation vocale qui retient l’attention : pourtant, on la sent en insécurité lors de sa première apparition à l’acte 1, on devine son regard rivé sur le prompteur pour ne pas commettre d’erreurs dans son texte, mais il n’en est rien. Elle n’atteint évidemment pas le niveau de perfection du phrasé d’Anja Harteros dont c’est la langue maternelle et qui a longtemps chanté Mozart avant Wagner, rompue donc à la prosodie allemande dans l’art lyrique. Mais elle s’en tire bien mieux que ses deux partenaires masculins non germanophones, j’y reviendra, car cela a consitué une vraie surprise pour moi. Mais le DVD est impitoyable ...
Le timbre est superbe dans l’ensemble même si on sent des
difficultés dans certains passages héroiques typiquement wagnériens oùpasser"re
wagnérien et force pour le "à armes égales avec l'es typiquement
wagnériens ole ...
aie allemande dans l'r ne pas comm, malgré ses importants moyens,
elle souffre manifestement d’un souffle pas assez long pour lutter à armes
égales avec l’orchestre wagnérien et force pour le “passer” plus facilement.
Je n’étais pas totalement convaincue
à l’acte 1 disons-le franchement, et puis il y a eu la scène 2 de l’acte
2. L’acte 2 débute par l’affrontement entre Telramund et Ortrud : la scène est
longue et souvent fastidieuse dans une mise en scène qui n’a rien à montrer.
L’arrivée d’Elsa puis son très long duo avec Ortrud est une pure merveille.
Anna Netrebko y déploie alors tout le lyrisme nécessaire qui va bien mieux à sa
voix que le style dramatique héroïque, une mezza voce de rêve et une douceur
qui tranche avec l’agressivité à fleur de peau d’Ortrud malade de jalousie qui
ressemble de plus en plus à une véritable harpie.


L’interprétation de Anna Netrebko est alors un grand moment de beauté
musicale pure. L’entente entre les deux chanteuses est tout simplement
magnifique.
Lors de la scène 4 de l’acte 2, cela se gâte un peu, Anna Netrebko
est contrainte de “forcer” sa voix au delà de sa zone de confort. DansWagner
elle a du mal avec certains passages où il faut “passer” l’orchestre en gardant
la beauté du phrasé et du timbre et le legato du récit.
Puis dominant d’un timbre superbe, l’ensemble qui conclut l’acte 2,
Anna Netrebko nous offre une très belle fin d’acte et lors de l’acte 3, celui
de Lohengrin, c’est elle encore qui imposera ses fabuleux moyens face au
rôle-titre. On lui pardonnera (mais bon... ) de n’avoir jamais réussi tout au
long de sa prestation à prononcer correctement le “ch” allemand de “ich”,
“mich”, “dich” etc... dans cet éblouissant duel quand elle veut savoir qui est
son tout nouvel époux... le pâle Lohengrin.
Ce n’est pas l’Elsa du siècle ni même de l’année d’ailleurs, un tel
rôle lui demande un réel effort visible à plusieurs reprises, elle ne se sent
pas suffisamment à l’aise dans la culture wagnérienne, elle a donc raison de ne
pas persévérer et de préférer s’orienter vers de nouveaux rôles verdiens, pucciniens
ou véristes qui lui conviendront mieux. Mais elle n’a pas démérité et sa
prestation vaut d’être revue...


Ma principale déception vient plutôt du Lohengrin sans couleur et
sans relief de Piotr Beczala. D’une part, surprise, sa prononciation allemande
est loin d’être parfaite, et surtout, il est loin du phrasé wagnérien, distille
fort peu d’émotions dans un chant très uniforme et très palt, oscille entre le
lyrisme qu’il maitrise à peu près mais avec des aigus très peu tenus (et
tendus) qu’on sent précautionneux et les passages héroïques où on le voit
parfois au bout du rouleau. Difficile de dire ce qui s’est passé avec cette
interprétation assez banale et peu séduisante, ce qu’il est arrivé à un ténor
de stature internationale qui nous offre régulièrement de très belles
interprétations et semble dans ce rôle difficile, toujours en deça de ce qu’il
faudrait montrer.
Ce passage par exemple, fort connu des amateurs de Lohengrin
“Elsa, soll ich dein Gatte heißen,
Soll Land und Leut’ ich schirmen dir,
Soll nichts mich wieder von dir reißen,
Mußt Eines du geloben mir:
Nie sollst du mich befragen, noch Wissens Sorge tragen, Woher ich kam der Fahrt, noch wie mein Nam’ und Art! “
Soll Land und Leut’ ich schirmen dir,
Soll nichts mich wieder von dir reißen,
Mußt Eines du geloben mir:
Nie sollst du mich befragen, noch Wissens Sorge tragen, Woher ich kam der Fahrt, noch wie mein Nam’ und Art! “
perd tout relief, toute la force de ses mots quand le chanteur ne
parvient pas à opposer “mich gefragen” à “Sorge tragen”, avec l’accent sur le
“a” puis “Fahrt” et “Art” avec cet art de prononcer le “t” final en le sortant
quasiment du mot, art qui appartient entièrement à la conception wagnérienne.
Sans rentrer dans trop de détails techniques, Pior Beczala n’a pas
lui-même considéré semble-t-il, que son avenir de ténor se situait dans le
répertoire wagnérien puisqu’il a annoncé ne pas souhaiter reprendre d’autres
rôles dans le futur et que ses prochains engagements (et prises de rôles) se
situent dans des registres assez différents : Adriana Lecouvreur et Carmen en
particulier.
L’acte 3 le voit un peu sur les genoux (si je puis dire) alors
qu’Anna tient une forme éblouissante et on regrette un peu que ce ne soit pas
elle qui chante “In Fernem Land” puis son dernier “Mein Lieber Schwann”, les
moments les plus émouvants de l’opéra. Le tout est sans beaucoup de relief et
ne restera surement pas dans les annales des interprétations de Lohengrin.
Piotr Beczala est un ténor que j’apprécie et je reviendrai sur ses
futures prestations dans des rôles qui lui conviendront certainement beaucoup
mieux. Nous n’aurons pas la chance de l’entendre à Paris l’an prochain mais il
se produira sur d’autres scènes internationales tout aussi prestigieuses.
Les deux interprètes d’Ortrud et de Telramund ont également chanté
ces deux rôles à Bastille, quelques mois plus tard, en janvier 2017, avec le
Lohengrin inoubliable de Jonas Kaufmann.
L’Ortrud d’Evelyn Herlitzius a les défauts de ses qualités : il faut
l’avoir vue sur scène pour apprécier cette mezzo toujours à fleur de peau,
véritablement visitée par ses incarnations, qui ne peut pas rester en place –y
compris en version concert, y compris quand ses partenaires ne bougent pas-
Son Ortrud souffre maladivement d’une jalousie morbide et cruelle,
elle en devient laide à force de souffrir, se transformant en véritable harpie,
agressive et méchante. Mais la voix, sur le fil elle aussi, ne suit pas
toujours ce que l’artiste voudrait lui imposer. Elle prend des risques insensés
et son timbre devient souvent strident, désagréable à l’oreille, avant de se
rétablir miraculeusement. Elle chante une Brünnhilde terriblement humaine, une
Isolde terriblement ambigue, une Elektra qui fit beaucoup pour le succès de
l’inoubliable dernière mise en scène de notre regretté Patrice Chéreau. Là à
Dresde, davantage qu’à Paris, en tous cas les deux soirs où je l’ai entendue,
elle dérape de temps en temps nous gratifiant d’aigus criards et trop tendus,
et la mise en scène statique ne lui permet pas de donner tout ce qu’elle peut
donner. Dommage. Ce n’est pas sa meilleure prestation en Ortrud.
Quant au baryton Polonais Tomasz Konieczny, ce Telramund était son premier mais pas son dernier puisqu’il l’a rechanté à Vienne puis à Paris. C’est également un habitué de Wagner puisqu’il a incarné Alberich, Wotan ou Kurwenal (et j’en oublie).
Le rôle est difficile et souvent distribué à un baryton de troisième
zone, ce qui est une erreur parce qu’il occupe une place importante dans
Lohengrin. Incontournable même dans les qualités requises notamment à l’acte 2
où il chante beaucoup plus longtemps que Lohengrin.
Tomasz Konieczny a encore pour ces débuts, quelques difficultés à se
sortir de ces passages difficiles à prononcer tels que
Doch eurem Zweifel durch ein Zeugnis wehren,
Das stünde wahrlich übel meinem Stolz!
Das stünde wahrlich übel meinem Stolz!
Ayant réécouté récemment l’enregistrement de sa prestation à Paris,
je peux dire qu’il a progressé depuis ce DVD dans la maitrise du rôle. Il avait
fait forte impression à la Bastille d’ailleurs, dans une mise en scène beaucoup
plus intéressante pour l’ensemble des artistes même si j’avais regretté que le
titulaire prévu du rôle dans cette première série en janvier 2017, Wolfgang
Koch soit tombé malade sans pouvoir assurer les deux représentations où
j’étais. Question phrasé et subtilité de l’interprétation, le baryton allemand
lui est supérieur à mon sens.
C’est un baryton un peu “brut de décoffrage” –mais que j’apprécie-
qui campait le shériff Jack Rance avec beaucoup d’efficacité, dans une
Fanciulla del West avec Nina Stemme et Jonas Kaufmann dont je vous recommande
l’acquisition si ce n’est pas déjà fait.


Le roi Henry (Heinrich der Vogler) de Georg Zeppenfeld est
admirablement interprété par la basse allemande, et se révèle le meilleur
artiste de l’ensemble même si ce n’est pas le plus connu. Beaucoup de classe
dans son interprétation –le chanteur est bon acteur- une voix superbe, un
phrasé parfait, rompu à la technique wagnérienne, je dois dire qu’il
m’émerveille à chaque fois que je l’entends : le roi Marcke dans Tristan un peu
partout y compris à Bayreuth, Gurnemantz dans Parsifal (idem), Hunding dans la
Walkure (notamment à Baden Baden l’an dernier), Hermann Landgraf von Thüringen dans Tannhauser à Munich cette année, bref,
c’est un wagnérien accompli, qui chante souvent à Dresde, et un très grand
artiste à suivre de très près. Il reprendra ce rôle dans la nouvelle production
de Lohengrin à Londres lors de la prochaine saison du ROH.
Je signale au passage le beau Heerrufer des Königs de Derek Welton,
baryton de la troupe du DOB (Deutsche Oper von Berlin), belle voix et belle
prestance pour un rôle de moyenne importance. Je le retrouverai avec plaisir en
Zaccharias en décembre prochain à Berlin, dans le Prophète de Meyerbeer, mis en
scène par Olivier Py.
Pour conclure : la représentation de ce Lohengrin, vaut d’être vue
mais ne laisse pas de souvenirs inoubliables malgré une incontestable qualité
musicale (et quelques pépites).
Deutsche Gramophon
2 DVD-Videos
0440 073 5319 6
Subtitles: German (Orig. Language)
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En marge :
L’étonnante vidéo de deux bêtes de scène
aux prises l’un avec l’autre
Evelyn Herlitzius (Kundry) et Jonas
Kaufmann (Parsifal)
Parsifal, Vienne, 2014. Extraits.
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