Cosi Fan Tutte - Mozart - Strehler/Milano - 1998

Cosi Fan Tutte

Opera Buffa

De Wolfgang Amadeus Mozart
Livret de Da Ponte


Direction musicale : Ion Marin

Mise en scène : Georges Strehler

Avec
Eteri Gvazava
Thérèse Cullen
Jonas Kaufmann
Nicolas Rivenq
Soraya chaves
Alexander Malta

Un petit compte-rendu de ce Cosi Fan Tutte presque exhumé grâce à un mélomane de You Tube qui nous offre ainsi la retransmission TV de l'époque, devenue un DVD introuvable.

Et quelle époque...

En regardant avec un immense plaisir la version complète de ce petit bijou que cisela Georgio Strehler juste avant sa mort, je me suis d'abord demandée ce qu'étaient devenus tous ces beaux et talentueux artistes ? Car à part l'interprète de Ferrando (Jonas Kaufmann qui a l'air d'un gamin mais connait déjà toutes les ficelles d’un excellent jeu d’acteur et qu’on reconnait fort bien, voix, physique et mimiques, sous ses déguisements) la plupart des autres  n'a guère fait carrière.

Eteri Gvazava, lumineuse et délicieuse Fiordiligi, belle et jeune soprano Russe, irradie de sa beauté, de son jeu intelligent et subtil, de sa superbe voix toute en nuance, ce Cosi Fan Tutte, a semble-t-il chanté des Violetta, d’autres Fiordiligi, a enregistré avec Abbado, puis semble s’être volatilisée.
Nicolas Rivenq (Gugliemo) baryton Français, est plus facile à retrouver et chante toutes sortes de rôles sans avoir réellement “percé". 
Je n’ai pas trouvé de traces de Thérèse Cullen (Dorabella) ou de Soraya Chaves.

Même Ion Marin, le chef d’orchestre, qui a fait une belle carrière, était à l’époque jeune, cheveux longs, fougueux à la tête d’un orchestre “Verdi” le bien nommé, et dirigeait Mozart comme on dirige la Traviata.

Moyenne d’âge des protagonistes : en-dessous de trente ans. Même pour Cosi Fan Tutte (qu’il n’est pas recommandé de chanter vieux), la performance est remarquable.

La présentation de l’enregistrement (DVD introuvable depuis longtemps) est à l’image du projet : on peut y lire

“ Le piccolo teatro de milano présente un spectacle de Georgio Strehler”

Puis le titre, l’auteur et (enfin) le compositeur :
“Cosi fan tutte”

Drama giocoso in due atti
Su libretto di
Lorenzo da Ponte

Musica di
Wolfgang Amadeus Mozart
(ouf).



La dernière oeuvre du remarquable Georgio Strehler c’est bien ce qu’est ce “Cosi fan Tutte” qui inaugura son “Piccolo Teatro” le 26 janvier 1998 à Milan, un mois après le décès tragique et soudain du génial metteur en scène. Metteur en scène de théâtre, qui fit la promotion des oeuvres de Brecht, de Becket, de Goldoni, Georgio Strehler fut LE metteur en scène de l’Odéon pendant les années quatre-vingt (c’est là que , personnellement, je l’ai découvert) et s’attaqua à l’opéra avec beaucoup de réussite. On lui doit beaucoup des mises en scène de la Scala et puis ces “Noces de Figaro” créées à l’ONP (Garnier) et encore jouées récemment à Bastille (en ayant perdu beaucoup par le changement de lieu).

Le Piccolo Teatro est créé par Georgio Strehler et Paolo Grassi en 1947 au sortir de la guerre pour promouvoir le “théâtre pour tous”. On y jouera beaucoup de Brecht, les deux fondateurs revendiquant clairement des idées de gauche,  d’égalité sociale, de combat contre les inégalités, d’ouvertures de la culture à l’Europe toute entière tout en respectant les traditions italiennes les meilleures. Le théâtre était minuscule au départ, il s’est agrandi par la suite.

Georgio Strehler est mort d’une crise cardiaque fin 1997 quelques jours avant la première de ce Cosi Fan Tutte, prévu pour 39 représentations avec deux équipes de chanteurs, et qu’il ne verra jamais. C’était l’opéra qu’il avait choisi pour inaugurer les nouveaux locaux du Piccolo Teatro.

C’est d’autant plus émouvant de voir dans cet enregistrement, des scènes des répétitions qui montrent le maestro dirigeant ses jeunes gens, leur montrant comment évoluer sur la scène, comment chanter en restant naturel, comment se coucher ou se redresser. Fabuleux témoignages d’images qui accompagnent une ouverture menée tambour battant par un Ion Marin survolté.


Jonas Kaufmannsouvent parlé  des leçons du metteur en scène qui lui a appris la scène après lui avoir fait l’honneur de le sélectionner parmi une centaine de candidats. Il avait été sévère pourtant, demandant aux futurs Ferrando de chanter allongé, à genoux, les yeux fermés etc etc et reprochant à Kaufmann… son âge. Moins de 25 ans telle était sa règle, à laquelle il a finalement légèrement dérogé. Une des “chances” du jeune Kaufmann, qui avait alors 28 ans (avec son Jacquino dans un Fidelio mis en scène par Kuzej la même année). 
Il raconte notamment que Strehler les laissait évoluer avant de leur prodiguer des conseils en rafale puis de leur dire : “réfléchis bien avant d’entrer en scène à la manière dont tu veux interpréter le personnage et ensuite, ne bouge plus de ta ligne de conduite”.




Dès le premier acte, aidés en cela par la baguette vitaminée de Marin (qui semble pourtant parfois vouloir calmer les ardeurs de l’orchestre), Cosi Fan Tutte démarre avec lyrisme, talent et jeunesse. 

Les 4 jeunes gens font merveille. Belles voix, beaux jeux d’acteur, communion parfaite, physique et âge des rôles. Strehler les avait voulu jeunes, beaux et talentueux. Il a parfaitement réussi son pari.
C’est un Cosi rapide, enlevé, et joué devant un très beau décor, très minimaliste mais esthétiquement parfait qui prend le parti de souligner la gémellité et la symétrie parfaite des situations. Rideau représentant le Teatro San Carlo di Napoli en fond de scène pour le premier tableau, un duel vocal ténor-baryton très réussi, situé dans un café sur la place, devant le théâtre, puis le rideau s’ouvre (théâtre dans le théâtre) et dévoile la mer. 



Pour l’essentiel le plateau représente alors une jetée-plage en planches, avec la mer au fond, et quelques accessoires “jumeaux” qui scanderont les scènes : deux lits de plage, deux lits de chambre, deux fauteuils d’osier, deux parois verticales qui s’écartent ou se resserrent selon les “pièces” représentées. 
Les costumes évoquent les déguisements perpétuels des protagonistes, base des ambiguités de Cosi, chapeau, coiffures, robes, pantalons, vestes, perruques, moustaches, tout est interchangeables entre les couples de femmes, d’hommes, mixtes qui ne cessent de changer de rôle.  
Tantôt le plateau baigne dans la lumière rose du petit matin, tantôt dans la lumière bleu marine du crépuscule, la mer et le ciel changent de couleurs, les bateaux glissent sur l’onde, les costumes d’Albanais ou de militaires sont blancs comme les robes des dames, tout est clair, innocent, presque comme un jeu d’amour que se livreraient de grands adolescents.


Et c’est un vrai ballet orchestré au millimètre de terrain auquel se livrent les 6 artistes de ce très bel opéra. 
Chaque geste est pensé, étudié, préparé et magnifiquement interprété comme s’il était totalement naturel. 
On entre, on sort, de la cour, du jardin, du bateau amarré en fond de scène, on se croise, on se touche, on s’étreint, on se fâche, on mime, on s’allonge, on “meurt” pour de faux, on danse avec élégance, et jusqu’aux saluts finaux, eux-même parfaitement réglés : les artistes arrivent en courant, s’arrêtent à peine pour saluer, ressortent, rentrent à nouveau, le choeur débarrasse la scène des accessoires et enlèvent les chandeliers qui éclairaient le dernier tableau, un anonyme ramène un seul chandelier à la fin, la lumière est tombée, le fantôme de Maestro Strehler a droit à ses minutes de standing ovation. Emotion. 
Rideau.



Les petits “plus” du blog


L’intégrale de ce Cosi Fan Tutte




Un article de Libération racontant la première séance à Milan.

Extrait :
Un projet de Strehler. C'est Strehler qui avait décidé d'inaugurer le nouveau Piccolo en musique, avec Cosi fan tutte de Mozart. Deux jours avant sa mort, il le répétait encore et les images diffusées dans le hall témoignent de l'extraordinaire vitalité qui l'animait. Déchaîné, le vieux maestro étreint les chanteurs, coure, se roule par terre, chante et bat la mesure. Comme un gamin au milieu de jeunes gens: orchestre, chef, choeur et solistes n'ont guère plus de 30 ans de moyenne d'âge. Tout le projet prend d'ailleurs à rebours l'économie classique de l'opéra: aucune tête d'affiche, un décor simple, des chanteurs choisis par le metteur en scène, et une programmation au long cours: 32 représentations (soit quatre ou cinq fois plus que la norme pour l'opéra) assurées par deux distributions en alternance. Les répétitions étaient suffisamment avancées pour que la décision de maintenir le spectacle après le décès de Strehler s'impose d'elle-même. Ce n'est pas pour autant une mise en scène de Strehler, mais comme le précise le programme un «projet» mené à son terme par l'équipe.

http://next.liberation.fr/culture/1998/01/29/cosi-un-air-de-strehlermozart-inaugure-le-nouveau-piccolo-teatro-en-deuil-de-son-fondateur-cosi-fan-_226265




Les archives du Piccolo Teatro

Et cet interview réalisée par Jérôme Pesqué en 2006 sur le forum d’ODB où Jonas Kaufmann évoquait ce Cosi fan Tutte et notamment son audition en ces termes :

Avez-vous passé une audition pour cette production ? Il n'y avait que des jeunes chanteurs. 

Oui, la première idée était d'engager des chanteurs de moins de vingt ans, mais pour Fiordiligi c'est difficile. Après, il a dit vingt-cinq mais c'était aussi très difficile. 
J'ai fait une audition au Piccolo Teatro. Il a dit qu'il voulait vraiment travailler avec moi : « On fait une Lucia di lamermoor ensemble, tu as déjà chanté le rôle ? » « Non, j'ai seulement vingt-six ans ! » « Tu dois chanter Edgardo ! Désolé, mais tu es vraiment trop vieux pour Ferrando. » « Maître, j'étais sûr qu'un jour quelqu'un me dirait cela, mais pas aujourd'hui ! » (rires) 
Mais après, on m'a téléphoné pour me dire qu'il me voulait vraiment. Ça a été très difficile, parce que j'avais déjà signé un contrat à Stuttgart pour chanter Jaquino. J'étais vraiment désolé, j'ai dit que j'avais signé un contrat et que ça n'allait pas avec leur planning. « Non ! Il faut que tu chantes ici, j'appelle Strehler? » 
Alors ils ont accepté que je vienne cinq jours en retard et que j'aille répéter à Stuttgart entre les spectacles. En répétition, il parlait beaucoup de toutes les émotions et des situations, pendant une heure, voire plus. Alors, nous le priions de faire une seule petite fois ce qu'il demandait. « Oui, tu entres là, la sortie est là-bas, le reste à toi. » Après, très content : « Oui, très bien, mais si tu demain tu le penses différemment, n'essaie pas de reproduire la même chose, tu dois toujours inventer et suivre tes émotions. » 
Mais après sa mort, tous ses assistants se sont mis à tout reproduire, au millimètre près : « Ah, encore quinze centimètres à gauche ! » avec des photos et des vidéos des répétitions

http://odb-opera.com/joomfinal/index.php/les-dossiers/48-les-chanteurs/136-entretien-avec-jonas-kaufmann



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