L'Ange exterminateur - Thomas Adès - MET - 18 novembre 2017

L'Ange exterminateur

De Thomas Adès

D'après le film de Luis Buñuel

En direct du MET, retransmission cinéma, samedi 18 novembre

Compositeur : Thomas Adès
Mise en scène : Tom Cairns
Direction Musicale : Thomas Adès

Distribution
Audrey Luna (Leticia Maynar)
Amanda Echalaz (Lucia de Nobile)
Sally Matthews (Silvia de Ávila)
Sophie Bevan (Beatriz)
Alice Coote (Leonora Palma)
Christine Rice (Blanca Delgado)
Iestyn Davies (Francisco de Ávila)
David Portillo (Eduardo)
David Adam Moore (Col. Álvaro Gómez)
Rod Gilfry (Alberto Roc)
Christian Van Horn (Julio)
John Tomlinson (Dr. Carlos Conde)
Frédéric Antoun (Raúl Yebenes)
Joseph Kaiser (Edmundo De Nobile)
Kevin Burdette (Señor Russell)

Au cinéma, le 18 novembre à 18H55
Une oeuvre très bien composée, très fidèle au film, envoûtante et magnifiquement interprétée.


L’Ange Exterminateur est d’abord un film, sous influence surréaliste, du cinéaste Luis Bunuel, qui, lors de sa sortie en 1962, laissa critiques et spectateurs dans l’expectative quant à l’interprétation finale de cette étrange histoire : une bande de grands bourgeois sortait de l’opéra et décidait d’aller dîner ensemble dans la demeure des Nobile, couple riche à la nombreuse domesticité, habitant rue de la Providence.


Pour des raisons mystérieuses, tous les domestiques fuient la maison dès le début, sauf un, puis au fur et à mesure que la soirée avance, la volonté de partir semble fuir tous les convives qui vont, sans raison apparente, ne pas pouvoir s’en aller avant 4 jours. Ce huis-clos étouffant va les voir peu à peu dégénérer, retrouver leur animalité, perdre tout vernis social, tandis qu’à l’extérieur une foule se fait réprimer par les forces de police quand elle cherche, en vain, à pénétrer dans la maison.
Luis Bunuel a souvent écrit des histoires de désirs humains qui ne se réalisaient pas. La clef de cet étrange et envoûtant récit se trouve dans l’une de ces illustrations, renforcée par la peinture de la décadence de la société bourgeoise dès lors qu’elle “perd” le service des prolétaires qui suent sang et eau pour elle.
Il y a des images fortes : la maitresse de maison avait prévu un gag avec trois moutons et un ours qui entrent dans la maison au début de l’histoire et vont servir par la suite de révélateur de la dégénérescence des hôtes piégés, qui sacrifient le mouton après avoir tenté de convaincre l'hôte de se supprimer, le suicide des deux amoureux, les deux qui ont le courage de quitter la scène par le seul moyen qu'il leur reste, l'idée génial de reprendre une séquence du début pour la finir différemment, ce qui anéantira le sortilège provisoirement puisque, en boucle, dès leur libération et leurs retrouvailles avec ceux de l'extérieur, les convives des Nobile, reproduisent la malédiction.'Several of the GUESTS realise the worst and react with horror : No one is able to leave the stage..."


Thomas Adès et le metteur en scène Tom Cairns ont travaillé ensemble pour l’opéra qu’Adès  a tiré de ce film et qui a été présenté pour la première fois au festival de Salzbourg en 2016 puis repris à Amsterdam et Londres et, par chance, au MET avec cette retransmission au cinéma qui nous a permis de le voir.
Après “the Tempest” adapté de la Tempête de Shakespeare, véritable foisonnement musical et visuel, qui plaçait d’emblée Adès parmi les très bons compositeurs d’opéras contemporains, cet Ange confirme son talent.
Adès sait tout à la fois composer une partition orchestrale d’une très grand richesse, dont les tonalités sont d’ailleurs parfois assez classiques, qui ménagent de grands moments dramatiques très forts, associant cordes, cuivres, une impressionnante batterie, des cloches, des mini-violons et surtout les fameuses ondes Martenot (photo ci dessous), ce clavier électronique qui permet d’évoquer “les voix venues d’ailleurs” et qu’on voit d’ailleurs à l’écran lors de la retransmission à plusieurs reprises bien qu’il ne soit pas présent dans la fosse mais à distance avec écran de contrôle montrant Adès dirigeant son orchestre.


Mais Adès sait aussi composer des parties “voix” d’une grande richesse lyrique, à la manière d'un opéra "choral" de belle facture : nous avons là toutes les tessitures, richement illustrées : la basse, les barytons et les ténors (et un contre-ténor), tous avec des timbres différents, une grande variété de sopranos également de la mezzo à la colorature aigue et acrobatique, qui parait-il chante la note la plus haute jamais entendue sur la scène du MET (un "la" dont Audrey Luna a le secret....). Les choeurs sont également omniprésents. Il y a davantage de dialogues chantés que d’airs à proprement parler, mais il en existe quelques uns quand même en particulier tout comme des ensembles, les uns et les autres atteignant des sommets dans l’émotion. Je citerai en particulier la montée perceptible de la panique à la fin de l’acte 1 où les voix restées, polies et policées, laissant poindre quand même une certaine hystérie, deviennent suraigues et discordantes dans un ensemble très impressionnant. Le moment où ils désirent tous sacrifier une victime innocente pour se sortir de la nasse est musicalement et scéniquement fantastique également, tout comme le final, avec le grand solo de Leticia, la soprano du repas, qui les sauve tous de la malédiction.




L’opéra entrelace le film et réciproquement. D’autant plus que lors du repas au début de l’acte 1, les convives discutent en présence de la soprano (Leticia dite "la Walkyrie") et du chef d’orchestre de la représentation de Lucia Di Lammermoor qu’ils viennent de voir tous ensemble.
Leur folie ira jusqu’à briser un violon pour faire cuire les moutons.
Le décor de l’opéra est simple. Il représente un bout de salon, la salle à manger (avec sa grande table dressée et ses candélabres, réplique de celle du film), le piano à queue et côté jardin, la paroi où se situe le dressing, la salle de bain et la porte de sortie qu’aucun ne réussit à se décider à franchir.
Lors de l’acte 2 et de la scène de foule, le plateau se divise en deux, l’intérieur et l’extérieur de la maison, séparés par un invisible no mans land infranchissable. D’autres évolutions mineures apparaissent au cours du récit mais l’ensemble reste sobre et efficace.

Thomas Adès dirige son oeuvre de main de maitre, on sent sa tension, sa passion, à animer son énorme orchestre, tout autant de ses nombreux chanteurs et, ma foi, c’est vraiment un artiste à suivre de très près dans son évolution de compositeur chef d’orchestre contemporain, l’un des plus prometteurs de l’opéra.


Il a, pour sa réalisation, outre un très bon orchestre (avec quelques morceaux solistes au piano et à la guitare qui sont des régals, l'intervention récurrente et obsessionnelle des ondes Martenot et quelques belles envolées des deux mini-violons), une troupe de chanteurs d’exception, aussi bons comédiens que bons interprètes qui forment une équipe très soudée.
Audrey Luna (Leticia Maynar, la jeune soprano) confirme son adéquation phénoménale à la musique d’Adès (elle était Ariel dans the Tempest) et sa capacité à sortir des sons suraigus avec beaucoup d’élégance. Elle a le charme de la jeune soprano passionnée par son art et qui sauvera les convives de la mort. Amanda Echalaz est une Lucia de Nobile, dont le prénom fait écho à l’opéra dont ils parlent pendant le diner, maitresse de maison au port aristocratique, très, très bien élevée et contrainte de sortir de sa bonne éducation pour faire face au malheur qui frappe sa maison. Sally Matthews (Silvia de Ávila) et Sophie Bevan (Beatriz), les deux “blondes”, une découverte pour moi, sont incroyablement crédibles dans leurs débordements respectifs, sopranos toutes deux, elles démontrent un vrai talent scénique.
Alice Coote (Leonora Palma) est beaucoup plus connue. Mezzo interprète du compositeur dans Ariadne ou de Ruggero dans Alcina, pour ne prendre que deux de ses dernières apparitions à Paris au TCE, elle est une irrésistible Leonora tout comme Christine Rice (Giuletta dans les Contes à Londres récemment) campe, comme à Londres une Blanca Delgado très impressionnante.

Du côté des ténors, l’excellence est également au rendez-vous : Iestyn Davies (contre-ténor) est Francisco de Ávila, plus torturé que jamais, maladif et obsessionnel tandis que David Portillo campe un Eduardo à la très belle voix qui tente de garder sa dignité, que Frédéric Antoun (décidément surprenant après avoir été un Cassio remarqué dans l’Otello du ROH en juin et juillet) est un Raúl Yebenes, très espagnol et très coléreux et que Joseph Kaiser en maitre de maison, tombe plusieurs fois dans le désespoir avec beaucoup de classe.


Les barytons Rod Gilfry (Alberto Roc) et David Adam Moore (Col. Álvaro Gómez, ah les belles décorations qu'il ne quitte jamais...), les basse-barytons Christian Van Horn (Julio, le très digne domestique resté seul à servir ces messieurs-dames) et basses John Tomlinson (truculent Docteur Carlos Conde) et Kevin Burdette (le Señor Russell) complètent avec talent la richesse des tessitures prévues pour les voix dans cet opéra dont on peut imaginer combien les ensembles sont riches et séduisants.




Une très belle réussite pour un opéra que je reverrai avec plaisir en salle, en espérant qu’il soit monté à Paris très rapidement. Il le mérite.



Trailer du film



Trailer de l’opéra












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