Grande Messe des Morts (Requiem) de Berlioz - 27 avril 2018 - Philharmonie de Paris


Hector Berlioz (1803-1869) 
 Grande Messe des Morts (Requiem) 
opus 5, H 75 (1837) 
1. Requiem et Kyrie
2. Dies Irae - Tuba mirum
3. Quid sum miser
4. Rex tremendae
5. Quaerens me
6. Lacrymosa
7. Offertorium
8. Hostias
9. Sanctus
10. Agnus dei

Chœur de Radio France – 88 choristes
Nicolas Fink chef de chœur
Chœur de la Westdeutsche Rundfunk -  45 choristes
Robert Blank chef de chœur
Orchestre philharmonique de Radio France dirigé par Mikko Franck.
John Irvin ténor solo

Oeuvre atypique et démesurée, le Requiem de Hector Berlioz ne ressemble à aucun autre. Pour lui rendre justice il faut des lieux exceptionnels, telle cette salle de la Philharmonie de Paris, qui peut accueillir à l’arrière-scène les 150 choristes, sur la scène les huit paires de timbales, le gong, les grosses caisses, la centaine de cordes, les cuivres, les vents, les bois, et surtout les petites formations de cuivre qui se rajoutent et doivent être placées aux différents coins de la salle. Berlioz lui même disait qu’on pouvait doubler ou tripler le nombre d’instruments si la place le permettait.
Seulement voilà, c’est rare. 
Un concert grandiose de cette messe des morts avait été donné à Notre-Dame-de-Paris en janvier 2014, rassemblant un nombre très impressionnants d’instrumentistes et de voix mais dans un espace acoustique où le son se perd un peu.
La Philharmonie se prête à l’inverse parfaitement à cette immensité et à la spatialisation nécessaire, les formations de cuivre se rajoutant à ceux de la scène elle-même, étant placées à l’arrière du parterre de spectateurs, donc à l’opposé exact des choeurs. Un son puissant monte alors vers vous du soubassement (j'étais au premier balcon) alors même que les ensemble choeurs et orchestres se déchainent devant vous.

Dès les premières notes du Requiem et du Kyrie on est saisi par la beauté du son, la subtilité des choeurs, la splendeur des voix qui se répondent, voix graves, voix aiguës, dans un fondu magnifique. Les nuances semblent infinies avec une formidable maitrise de l’unisson, des crescendo et des decrescendo, du dialogue avec les cordes. Tout est magnifiquement scandé, prononcé, chanté. Montée chromatiques des cordes, descente “réponse” des choeurs à différentes voix, dès le début on est “pris” par la ferveur qui se dégage de l’ensemble et cette sorte de perfection qui est le signe des grandes formations musicales.
Du dies irae au Tuba mirum, petit à petit la solennité gagne la salle, la fanfare qui introduit le Tuba mirum, annonce l’immense, l’inouï. Grondement des timbales au loin, réponse des fanfares sous nos pieds, choeurs qui enflent leurs voix pour atteindre une sonorité phénoménale qui ne sature jamais et vous fait sortir de la réalité pour pénétrer le monde mystérieux des morts.
Car nous sommes au milieu de cette musique sublime. Entourés, submergés, noyés par ces accélérations, ces ralentissements, ces notes soudain portées au paroxysme, la salle est en état de sidération. Fantastique. Et de mieux en mieux si c’est possible à chaque instant.

Ces choeurs sublimes savent nous donner des piani de rêve en doux dialogue avec violoncelles, contrebasses, cor anglais et basson dans le quid sum miser avant que la colère ne revienne avec un Rex, Rex dynamique et grandiose.

Il est temps de parler du génie de Mikko Franck à la tête de ce magnifique orchestre de Radio France, et de celui du chef de choeur qui a su préparer une aussi belle prestation de concert si je puis dire.
C’est assez incroyable de voir le travail du chef sur le terrain, qui guide son petit monde, parfois juste des mains car il a du s’asseoir durant les mouvements lents mais la plupart du temps debout, près de ses violons, ne perdant de vue aucun instrumentistes, guettant les choeurs, faisant gronder les cordes, sonner les cors, tonner les timbales dans ces les variations infinies que Berlioz a donné à chacune de ses parties. Ce mouvement est rempli de contrastes, parfois suppliants, parfois majestueux, les choeurs réalisent là une véritable interprétation au sens le plus noble du terme.
Et puis vient le petit miracle du Quaerens me, chanté entièrement a capella, comme si une seule voix venue du ciel ou d’ailleurs, s’était démultipliée et s’élevait avec grâce. Comme si une cohorte d’anges passaient doucement au dessus de vos têtes. Les larmes vous montent aux yeux d’émotion. Pourvu que cela ne finisse jamais se dit-on...

Puis vient le Lacrymosa, dans un style totalement différent (le génie précurseur de Berlioz), il change de rythme, se chante en canon légèrement décalé entre les différentes “voix”, il vous prend et vous entraine comme une bourrasque vers la vallée de larmes et de peines des morts. Avec une sorte de fatalité d’un mouvement qui balance régulièrement avec ses reprises comme un écho infini. Interprétation de rêve là encore. L’entente entre les sombres couleurs de l’orchestre, où percussions et cuivres scandent la douleur et la peine, et le caractère aérien des voix est sublime. Le drame est perceptible et l’émotion intense. Le final de ce morceau est presque convulsif avec une accélération des cuivres et des percussions qui se noient dans les voix pour donner un des effets les plus impressionnants de ce requiem. Cymbales. Gong. Cordes frottées des violons dans un mouvement intense. Montée. Maximum de magnifique ampleur sans atteindre jamais la moindre saturation. On décolle juste. Silence.

L’Offertorium est un long mouvement (le plus long) lancinant, basé sur un motif très simple note-demi ton-note, d’abord un la-si bémol-la puis à la tierce, répété par les choeurs masculins, puis par les cordes. Une  étrange et envoûtante litanie a remplacé le drame des airs précédents. Elle est parfois entrecoupée par des évasions presque lyriques des cordes vers des mélodies romantiques qui semblent montrer la voie d’un autre monde, avant de reprendre obstinément. Etrange écriture, richesse de la composition musicale... fascinant.  Et parfaitement maitrisé une fois encore par l’ensemble des interprètes. Le mouvement se termine pianissimo, avec toujours le même thème, qui fusionne en deux longues notes tenues par les choeurs des femmes reprises par les violons.
Dans l’Hostias, très court en contraste, ce sont les trombones qui donnent de la voix en écho aux choeurs masculins, aux flûtes et aux cordes. Air scandé, plus solennel et de facture plus classique où, là encore, les choeurs nous offrent le meilleur dans une diction parfaite, et un souffle qui semble infini au service de la beauté majestueuse de la composition.

Avec le sanctus arrive la partie du ténor soliste qui s’installe sur l’aile droite arrière de l’orchestre. La voix de John Irvin est belle et sonne bien avec les réponses en sourdine des choeurs. Le chant est sans doute trop homogène, manquant des nuances que le choeur déploie en permanence mais il a du remplacer rapidement Spyres, souffrant, et n’a pas forcément eu le temps de répéter suffisamment...
La réponse des choeurs féminins est splendide, tout comme le canon qu’instaurent à leur tour les voix masculine, dans une fugue progressivement chanté par tous les choristes et accompagnées par l’ensemble de l’orchestre.

L’Agnus dei conclut la messe reprenant plusieurs des thèmes du requiem. Et l'on y entend également l'un des thèmes de la Damnation de Faust. Fatalité du destin même dans la lumière annoncée...

Pour Berlioz la mort c’est le néant. Réflexion grandiose, triste, dramatique et mélancolique tour à tour, sa composition originale en fait l’une des plus grandes messes des morts.
Une soirée hors norme pour une oeuvre qui ne l’est pas moins....

France Musique retransmettait le concert en direct vendredi soir et sa captation est toujours disponible. Mais malgré le soin apporté à l’enregistrement, on est loin de percevoir l’incroyable beauté ressentie en direct dans la salle... reste la beauté de l’oeuvre et de son interprétation.










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