Ernani - Verdi - Opéra de Marseille - 16 juin 2018
Ernani
Giuseppe Verdi - 1844
Livret de Francesco Maria Piave, d’après le drame
de Victor Hugo, Hernani.
Production de l’Opéra de Monte-Carlo / Opéra Royal
de Wallonie
Séance du 16 juin 2018 à l'opéra de Marseille
Direction Musicale Lawrence Foster
Mise En Scène Jean-Louis Grinda
Décors Isabelle Partiot
Costumes Teresa Acone
Lumières Laurent Castaingt
Elvira Hui He
Giovanna Anne-Marguerite Werster
Ernani Francesco Meli
Don Carlo Ludovic Tézier
Don Ruy Gomez De Silva Alexander Vinogradov
Don Riccardo Christophe Berry
Jago Antoine Garcin
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Situé entre
I Lombardi (1843) et “I due Foscari”
(1844) Ernani est l’un des opéras des années où Verdi doit en produire un par
an pour survivre et où il se bat souvent contre la censure. L’opéra comporte
beaucoup d’airs qui exigent une grande virtuosité dans quatre tessitures
différentes, ténor à la fois lyriques, mais avec des qualités spinto importantes (un peu comme
Manrico), soprano avec des passages de vocalises, baryton et basse aux parties
presque équivalentes. L’opéra comporte aussi plusieurs (très beaux) ensemble, à
trois, à quatre, des duos, des chœurs et des “tutti” variés et nombreux. Tous
les solistes sont extrêmement sollicités, il faut donc, comme dans Luisa Miller
(auquel on pense souvent en regardant Ernani), quatre chanteurs d’exception,
trois hommes et une femme.
L’opéra n’est pas inoubliable dans son déroulé et
son livret est assez pauvre, mais nombre de ses airs sont typiquement verdiens
et annoncent largement les futurs chef d’œuvre de Verdi comme la Traviata ou
Rigoletto.
Ludovic
Tézier disait dans un tweet avant
cette Dernière d’Ernani que j’ai vue à Marseille : “Marseille, Ernani, retour à mes premières amours. Que cette maison
sonne bien! Merci pour ce chaleureux voyage dans le temps, en compagnie de
collègues rayonnants qui ravivent de leur concert les ors patinés de mon vieux
théâtre. Bravo chœurs, orchestre et forces de l’opéra. A samedi !”
Il faut reconnaitre que le voyage à Marseille pour
entendre notamment le baryton français dans un de ses rôles les plus accomplis,
permettait de vérifier qu’en effet, la salle, pour ancienne et parfois
défraichie qu’elle soit, a une très belle acoustique pour les voix, que celles-ci,
en effet, “sonnent” très bien.
J’avais déjà vue la mise en scène de Grinda par le
truchement d’une retransmission depuis l’opéra de Monte Carlo, qui a donné lieu
à un DVD (Déjà Tézier et Vinogradov, mais Vargas et Vassililieva).
Elle prend un parti très statique, de
"tableaux", jouant sur la beauté des costumes et le positionnement
presque figé des chanteurs.
Le procédé récurrent du grand miroir oblique de
fond de scène qui reflète les artistes de la scène en les montrant vus par au-dessus,
lasse assez rapidement, du fait principalement d’une luminosité du miroir assez
agressive, sans que ce soit compensé par un intérêt quelconque à partir du
moment où la direction d’acteur prévoit, quant à elle, des mouvements
terriblement “attendus”, demandant finalement aux chanteurs de chanter le plus
souvent debout face au public. Le ballet est assez ridicule également.
Il y a pourtant de belles images essentiellement
sous la forme de ces “tableaux” de foules dont on devine les silhouettes derrière
un fin rideau avec jeux subtils de lumière mais rien ne retient longtemps
l’attention, sans les voix, ce serait souvent l’ennui et pour tout arranger,
les chanteurs souffrent manifestement de la chaleur dans d’aussi lourds
costumes, qui, même pour respecter l’époque, n’ont pas besoin d’être aussi
“chauds”.
La direction musicale de Lawrence Foster, à
l’inverse de cette mise en scène assez lourde, est aérée, vive et
rafraichissante, et donne du bien beau Verdi, attentive à ses instruments comme
à ses chanteurs qu’il couve en permanence d’un regard précis. Magnifique solo
de harpe accompagnant Ernani par exemple.
Les chœurs, masculins notamment, sont une des
grandes forces de cette représentation tout comme d’ailleurs les rôles
secondaires, très bien chantés de Don Riccardo par un Christophe Berry à la
voix claire et bien projetée, qu’on remarque immédiatement par sa présence sur
scène, tout comme la belle basse d’ Antoine Garcin pour Jago.
Mais l'ensemble est surtout dominé par un duo de
voix magnifiques, celle du baryton et de la basse, les deux “clé de fa” (de
leurs portées...) Ludovic Tézier et Alexander Vinogradov, tous deux stars de la
soirée d’ailleurs, à juste titre.
Ludovic Tézier est au sommet de son art du chant
verdien : il est capable de donner mille couleurs différentes à sa voix, selon
les airs et l’expression qu’il veut transmettre : héroïsme, colère, virilité,
tendresse, regret, nostalgie. A ce niveau de beauté du timbre de précision du
phrasé et de la diction italienne, on est déjà sur l’Olympe surtout quand se
rajoute ce beau legato dont il a le secret et qui donne toujours l’impression
que sa voix danse en chantant. Et le baryton français que j’ai désormais vu
dans des dizaines de salles et de rôles avec de plus en plus de plaisir, incarne
à présent ce Don Carlo avec une force de conviction qui égale son Posa ou cet
autre Don Carlo, celui de la Forza où il me laissera pour toujours un souvenir
impérissable.
On lui reproche parfois son immobilisme sur scène,
c’est moins gênant dans ce rôle « majestueux » mais on regrette un peu quand
même que la mise en scène ne le pousse guère à exprimer les colères de son
personnage autrement que par sa voix et son expression faciale.
Mais la surprise pour beaucoup de spectateurs
venus, notamment, pour entendre Tézier dans un de ses plus beaux rôles, a été
l’incroyable Silva de Vinogradov. J’avais déjà vanté les mérites de la basse
russe depuis que je l’avais découvert dans les deux opéras de Rachmaninoff
donnés à la suite l’un de l’autre : Aleko et Francesca da Rimini. Davantage de
spectateurs l’ont récemment découvert dans le Luisa Miller retransmis en direct
du MET, avec Placido Domingo et Sonya Yoncheva où il incarnait déjà un conte
Walter remarqué.
Hier soir il était Silva avec tous ses aspects
contradictoires, son amour sincère pour Elvira, son sens de l’honneur, son
respect pour le roi malgré la situation,
Là aussi le timbre est magnifique et la technique
du chant verdien de haute volée. Mais outre la noblesse de la voix, il surprend
par son aisance sur scène et sa faculté à exprimer par gestes simples et
naturels, les affres du pauvre Silva. Le charisme des deux artistes domine la
scène, rend la performance exceptionnelle mais souligne aussi les difficultés
pour les deux autres rôles à se hisser à un niveau comparable.
On redescend en effet d’un cran avec l’Ernani de
Francesco Meli. Le ténor italien a pour lui une présence sur scène qui ne
laisse pas indifférent mais souvent insatisfait. Il est incontestablement
engagé dans un rôle qu’il essaye de servir au mieux mais parait toujours en
deçà de ce que l’on attend d’un Ernani charismatique qui devrait largement «
marquer » le plateau de sa présence. Or dès qu’apparaissent Silva et/ou le roi,
Ernani semble disparaitre tant on cesse de se concentrer immédiatement sur lui.
Quand il est seul on s’ennuie un peu. Le chant ne démérite pas non plus mais
reste un peu fade, un peu uniforme malgré les nuances très jolies dont il est
capable et le timbre manque singulièrement de couleurs surtout pour un ténor
formé à l’école italienne. On rêve d’y voir un Grigolo avec ses excès, avec sa
fougue, avec sa passion, qui correspondrait tellement mieux à l’idée qu’on se
fait d’Ernani. Même si Méli, incontestablement, a une belle technique,
supérieure à celle de son prédécesseur dans cette mise en scène, Ramon Vargas.
Là où le bât blesse sérieusement, à mon sens,
c’est avec l’Elvira de Hui He. Engagée elle l’est également, mais la voix ne
suit pas. Trop lourde la plupart du temps pour évoquer la jeune fille prise
entre son devoir et ses amours, le timbre n’est plus très beau, quelques
fausses notes trahissent des difficultés techniques sans doute récurrentes, et
globalement le couple ne fonctionne pas très bien et ne nous donne pas un très
beau chant.
La soirée restera donc
essentiellement marquée par le beau duo masculin, sans parvenir à emporter une
adhésion totale et permanente, la mise en scène, la faiblesse de la direction
d’acteurs, plombant quand même largement tout caractère épique et héroïque
qu’on attend dans cet opéra.
Le petit "plus"
Placido Domingo en Ernani, la Scala, direction Mutti.
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