La Nonne sanglante - Gounod - Opéra Comique - 2 juin 2018

La Nonne Sanglante

Charles Gounod
Livret d'Eugène Scribe

Direction musicale Laurence Equilbey 
Mise en scène David Bobée 
Dramaturgie David Bobée et Laurence Equilbey

Rodolphe :  Michael Spyres
Agnès : Vannina Santoni
La Nonne : Marion Lebègue
Luddorf : André Heyboer le 2 puis Jérôme Boutillier
Arthur : Jodie Devos
Pierre l’Ermite :  Jean Teitgen
Le baron de Moldaw : Luc Bertin-Hugault
Fritz, Le Veilleur de nuit : Enguerrand De Hys
Anna : Olivia Doray
Arnold : Pierre-Antoine Chaumien*
Norberg : Julien Neyer*
Theobald : Vincent Eveno*
*membre du Chœur accentus

Danseurs Stanislas Briche, Arnaud Chéron, Simon Frenay, Florent Mahoukou, Papythio Matoudidi, Marius Moguiba
Choeur accentus Orchestre Insula Orchestra
Nouvelle production Opéra Comique Coproduction Insula Orchestra, Bru Zane


Séance du 2 juin 2018 à l'Opéra Comique. 
Retransmission  à partir du 12 juin
https://culturebox.francetvinfo.fr/musique/la-nonne-sanglante-de-gounod-a-l-opera-comique-274323
L’opéra avait été oublié depuis longtemps. Il avait connu un succès mitigé lors de sa création en 1854 à l’opéra de Paris et n’avait jamais été repris depuis.
Le livret de Scribe était d’ailleurs passé de main en main, l'adaptation musicale de l'histoire de la "Nonne sanglante" macabre et fantastique, a été envisagée par plusieurs compositeurs, y compris Verdi et Berlioz mais c'est le jeune Gounod qui n'avait alors qu'un seul opéra à son répertoire, Sapho, qui a mis en musique cette histoire de fantômes, d'amour fou, de rivalité de clans et de vengeance implacable. En cinq actes avec ballet.

Et le résultat est une découverte très agréable, incontestablement valorisée par la production de l'Opéra Comique, la direction de Laurence Equilbey et sa lecture nerveuse, colorée et dynamique, la mise en scène dépouillée mais d'une noirceur efficace de David Bobée et l'interprétation des principaux artistes à commencer par l'orchestre Insula.
Outre les choeurs parfaits d'Accentus et les danseurs qui assurent le fameux "ballet" incontournable du grand opéra français avec brio, il faut saluer la performance des principaux artistes solistes. Ce, d 'autant plus que les rôles sont difficiles : on insiste souvent sur celui de Rodolphe, qui est à la fois le plus long et le plus sollicité dans les grands écarts mais, si court soit-il, celui d'Agnès ne m'a paru plus facile du tout, au contraire dirai-je, que ce soit dans ses solos, le duo avec Rodolphe de l'acte 5 où elle lui répond en écho avec la nécessaire acrobatie identique des passages de graves aux aigus sans "liaison" ou les ensembles avec choeur où sa voix, comme de celle de Rodolphe doit ressortir nettement. Quant au rôle d'Arthur, il comporte, lui aussi, quelques acrobaties vocales complexes tout comme celui de la nonne. Gounod n'était pas tendre pour ses solistes dans sa composition vocale...



Michael Spyres, souffrant le mois dernier, et encore un peu handicapé par une bronchite récente lors de son récital dans ce même cadre, a retrouvé tous ses moyens et le rôle de Rodophe semble écrit pour lui, en tous cas pour un ténor capable de changements brutaux de registres. Il s'y investit avec coeur et fougue, sachant tout autant éblouir la salle par son lyrisme comme par ses moments plus héroiques, timbre magnifique, coloration et expressivité dans tous les registres, sens dramatique parfait sur scène, bref, pour moi, le rôle où je l’ai vu le plus accompli depuis quelques années. 

Marion Lebègue brillante nonne, Jodie Devos irrésistible page et Jean Teigen majestueux moine (malgré un petit "raté" lors de son premier air...vite rattrapé), lui emboitent le pas par la splendeur de leurs performances. J'aurais un peu plus de réserves concernant la prestation de André Heyboer mais il était annoncé souffrant ce qui justifie amplement les précautions qu'il prenait. Vanina Santoni joue magnifiquement comme d'habitude et on sent à quel point elle aime ces rôles dramatiques qu'elle investit avec talent et sans réserve. Mais la voix ne suit pas vraiment, trop petite et trop peu ample pour un rôle de ce type où elle est parfois couverte dans les superbes ensembles de la partition et où, surtout, elle force souvent pour "passer". 

Le reste de la distribution est de très bonne tenue : Luc Bertin-Hugault, Enguerrand De Hys, Olivia Doray, Pierre-Antoine Chaumien, Julien Neyer, Vincent Eveno, je ne veux oublier personne car chacun, a occupé brillamment sa place. Diction parfaite pour tous et compliments appuyés à Spyres, qui comme Osborn récemment dans Benvenuto Cellini et Matthew Polenzani dans la Favorite par exemple, prouve que les chanteurs américains sont particulièrement doués pour respecter la prosodie de l'opéra français. Pas une once d'accent US dans une prononciation parfaite de tous points de vue.

Car cet opéra est bien chanté et bien joué, avec une direction d'acteur efficace, et la noirceur très gothique (sans être trop satanique et en gardant son romantisme) de la mise en scène, allie beauté esthétique et efficacité de lecture de l'opéra.

L'ensemble est de très belle tenue pour un opéra que je découvrais, et qui mérite de l'être, aussi magnifiquement servi que ce soir à l'Opéra Comique par cette coproduction de Insula Orchestra et de Bru Zane. Sortie probable d'un DVD et retransmission sur Culture Box à partir du 12 juin.

Une belle soirée gothique et romantique !


Le petit “plus” : A propos de Michael Spyres.

Le "ténor" américain est né en 1980 à Mansfield dans le Missouri dans une famille de musicien. Dans une interview (1) donnée l'an dernier à Paris, il expliquait lui-même les caractéristiques très spécifiques de sa voix qui le classent dans la catégorie rare des baryténors :
"Je fais partie de la catégorie des « baritenore », comme l'était au XIXème siècle Andrea Nozzari. Un de mes amis a procédé à une batterie de tests sur ma voix lorsque j'étais à l'Université et après les avoir étudiés de près, comparés sous différents aspects scientifiques, il en a déduit que ma voix était celle d'un baryton à l'aigu développé, mais pas celle d'un simple ténor, car le spectre de mon instrument n'est pas le même.
Je suis donc baritenore, car je chante des rôles qui mélangent des éléments, ou des zones qui appartiennent aux deux catégories, ce que beaucoup de gens ont du mal à comprendre. La plupart du temps j'entends dire que je ne devrais pas aborder tel ou tel emploi, mais si on regarde ce que les chanteurs des années cinquante inscrivaient à leur répertoire, on se rend bien compte que les voix ont considérablement changé ! Pour ce qui me concerne, j'ai entendu tout et son contraire et même les plus fameux professeurs que j'ai pu rencontrer m'ont asséné des choses tellement contradictoires, que j'ai bien pensé un moment ne jamais y arriver."

J'ai entendu Michael Spyres de nombreuses fois en live : la Muette de Portici et le Pré-aux-Clercs (et hier la Nonne Sanglante) à l'Opéra comique, Mitridate, Ermione et Carmen au TCE, Mitridate au ROH, Les contes d'Hofmann à Munich, la Clémence de Tito à Garnier, le récital de l'opéra comique.

Je l'ai également écouté en Enée des Troyens dans l'enregistrement CD récent, dans Guillaume Tell lors d'une retransmission, et surtout en Faust dans la Damnation, un de ses rôles le plus courant ces dernières années.
Le rôle de Rodolphe qu'il chante actuellement dans la brillante production de la Nonne Sanglante à l'opéra Comique, est l'un de ses meilleurs rôles tandis que son Don José ou son Hofmann me sont apparus hors de ses cordes et de ses qualités vocales.

Spyres a pour lui un ambitus impressionnant qu'il négocie sans difficulté passant plus d'un octave d'un coup sans décrocher, un très joli timbre tout à la fois lyrique et riche en harmoniques, une projection satisfaisante pour les salles sus-nommées, moins évidente si l'orchestre est un "grand" orchestre, un très beau jeu de scène très convainquant et surtout, un investissement total dans ses rôles.
Last but not least, difficile de trouver plus jolie diction dans l'opéra français, pas seulement parce qu'il n'a aucun accent américain mais aussi parce qu'il a une très jolie manière de négocier consonnes et voyelles, syllabes complexes et rythme du ver ou de la phrase, qui lui est très personnelle et rend son français fluide et expressif comme s'il le parlait naturellement. Son intelligence du texte dans une langue qui n'est pas la sienne est constamment bluffante.

Ses projets :
- Fernand dans la Favorite au Liceu du 8 au 28 juillet en alternance avec Costello
- Almaviva aux Chorégies d'Orange les 31 juillet et 4 Août
- Edgardo dans Lucia à Philadelphie en septembre
- Florestan dans Fidelio au TCE
- Don Ramiro dans la Cenerentola à Vienne
- Polione dans Norma à Zurich

Ses enregistrements sont tous ici
http://www.michaelspyres.com/recordings.html


(1) Concertclassic, Propos recueillis le 24 janvier 2017 et traduits de l'anglais par François Lesueur
http://www.concertclassic.com/article/une-interview-de-michael-spyres-tenor-celui-qui-perd-sa-voix-cest-quil-la-cherche

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