Parsifal - Richard Wagner - Munich - Juillet 2018

Parsifal

Richard Wagner
Direction musicale : Kiril Petrenko
Mise en scène : Pierre Audi
Décor : Georg Baselitz
Amfortas : Christian Gerhaher (prise de rôle)
Titurel : Bálint Szabó
Gurnemanz : René Pape
Parsifal : Jonas Kaufmann
Klingsor : Wolfgang Koch
Kundry : Nina Stemme
Bayerischen Staatsoper
Bayerisches Staatsorchester
Chor der Bayerischen Staatsoper

28 juin, 1er, 5, 8 et 31 juillet 2018.
Opéra de Munich.

C'est d'abord la direction musicale de Kiril Petrenko qui est très attendue comme tous ses Wagner (après le Ring qu'il reprendra à Munich fin juillet et qu'il a longtemps dirigé à Bayreuth, les Meistersinger vus il y a deux ans à Munich et Tannhauser l'an dernier).
Le chef Russe s'en va pour Berlin d'ici un an et ce Parsifal sera certainement une de ses références.
Mais l'oeuvre de Georg Baselitz et son poids évident dans l'ensemble de la représentations (pas simplement le monumental décor, mais aussi les costumes, le style des personnages, leurs postures et même l'interprétation de l'histoire) sont également une originalité de ce Parsifal. Audi s'est effacé derrière le peintre sculpteur expressionniste qui a dirigé l'ensemble de la conception de l'oeuvre.
Il en parle ainsi d'ailleurs et l'on sait que Jonas Kaufmann le connait bien depuis longtemps. Ces projets sont des oeuvres collectives entre artistes qui s'estiment et se comprennent.
Quant à la distribution, elle est également fort alléchante... mais il est inutile de développer... les chanteurs sont connus !

Séance du 5 juillet 2018
L'avantage (ou l'inconvénient ?) d'être l'une des production les plus attendues de l'année, c'est que la presse internationale s'est donnée rendez-vous à Munich dès la première et que des dizaines et des dizaines d'articles ont déjà été publiés, généralement et unanimement élogieux pour les artistes, superlatifs pour la direction musicales et très critiques voire assassin pour la mise en scène, insistant sur une soi-disant absence de direction d'acteur (alors que celle-ci est un "plus" évident à l'ensemble des prestations brillamment réalisées hier soir).
Je vais donc commencer par là.
Pas simplement par esprit de contradiction, mais parce que ce Parsifal n'est justement pas du tout une réalisation qui aurait gagné à être donnée en version concert par exemple.
Cela me parait être un contre-sens total par rapport à l'extraordinaire alchimie d'une "oeuvre complète" telle que celle que nous avons pu voir hier soir dans un état de grâce absolu.
Je l'ai expliqué précédemment, le travail entre Baselitz (plasticien, peintre de renommée mondiale), Audi (metteur en scène qui s'est volontairement inscrit dans les pas de l'oeuvre picturale imaginée par Baselitz, Petrenko qui a travaillé musique orchestrale, choeur et solistes avec cette monumentale oeuvre de scène, Kaufmann, figure centrale de la réalisation, omniprésent scéniquement sur le plateau, dont le personnage de Parsifal va connaitre une métamorphose spectaculaire au moment le plus "climax" de l'oeuvre de Wagner, le fameux "Amfortas die Wunde" au cours de l’acte 2.
Nous avons devant les yeux (et bientôt à l'écran), le déroulé fascinant d'une oeuvre complète qui ne souffre aucun défaut, aucune approximation et qui est servie par un plateau vocal de rêve, totalement adapté tout autant par l'expressivité du chant que par la précision des gestes et des mimiques, à ce grand dessein, dessin, voulu par l'équipe toute entière autour du concept original de Baselitz.
Dès l’ouverture, plutôt lente et intense, avec cette précision horlogère qui fait la qualité presque chambriste du Wagner de Petrenko, nous avons une immense toile de Baselitz devant les yeux, ses fameux personnages, blancs, jamais représentés d’aplomb. Le rideau se lève sur une sombre forêt, les arbres sont vivants, comme la forêt des contes enchantés, un immense totem, sorte de sculpture formée d’énormes madriers sombres dressés vers le ciel comme une arche, ou destinés à un immense brasier. 
Gurnemantz (fabuleux René Pape en sage aux cheveux longs, seuls habits clairs de cet ensemble obstinément sombre), commence son récit devant un autre feu, modeste et persistant, qui s’éteindra avec l’arrivée de Parsifal et de son cygne. Kundry (Premier aspect de Nina Stemme en robe de bure et cheveux hirsutes) dort recroquevillée sous l’immense carcasse d’un cheval mort. L’ensemble du plateau est en forte pente descendante des coulisses vers la salle. Les chevaliers du Graal en sombres et épais costumes s’en déferont pour apparaitre dans une nudité elle aussi construite, artificielle, celle des tableaux de Baselitz mise en scène comme dans un gigantesque dessin animé.
Parsifal est un "Knabe" (jeune garçon), le pur innocent, chevelure indomptée pour l’occasion, habillé d’un costume sombre (qui ressemble beaucoup à celui que Kaufmann portait au MET et on pense souvent à son personnage d’alors), plastron sous la veste représentant sa poitrine imberbe, voix immature. Il déboule littéralement du sommet de la pente pour se jeter sur et avec le cygne mort à deux pas de Kundry.


Lors d’un furtif instant, moment musical grandiose, Parsifal et Kundry se jettent un furtif coup d’oeil, chacun avec son animal mort, esthétiquement grandiose, et terrifiant d’humanité, ils annoncent la suite.
Durant toute son initiation de l'acte 1, alors que la forêt a reculé, les arbres sont tombés, le choeur des chevaliers envahit l'espace, Parsifal auquel Kaufmann prête son talent exceptionnel d’acteur, déambule entre eux, son angoisse et son étonnement sont perceptibles. Quand ils se dénudent, il serre sa veste contre sa poitrine. Le final de l'acte 1 laisse les spectateurs en extase : Parsifal est entré sous "l'arche", un rayon lumineux l'éclaire tandis que la scène disparait dans l'ombre, il regarde vers le ciel, irradié de lumière sur les dernières notes fabuleusement rendues par un orchestre en état de grâce sous la houlette de génie de Petrenko. Nina Stemme, Christian Gerhaher et René Pape se surpassent alors par la beauté de leur chant et de leur jeu, incarnant littéralement ces personnages profondément marqués par leurs destins jusque dans leurs chairs, respectant au millimètre l'interprétation précise et lumineuse du chef.

L’acte 2 commence, une nouvelle fois avec un rideau représentant une oeuvre géante de Baselitz, Klingsor apparait de dessous le rideau et chante devant celui-ci : personnage haut en couleur, dont les parties du corps nu sont également artificiellement représentées, Wolfgang Koch s’aquitte merveilleusement bien de sa tâche, on regrette que le rôle soit si court, tant il est bien chanté. La Kundry magistrale de Nina Stemme est cette fois une belle blonde nordique, habillée d’une robe princesse noire (puis d’une longue robe noire). Le rideau se lève ensuite sur le décor d’un immense mur blanc de pierres grises, fendu d’une longue brèche béante par laquelle Parsifal apparait se penchant sur les corps des chevaliers qu’il a tué, considérant avec une stupéfaction mêlée de doutes sur la raison de sa présence au château maléfique, ses mains rougies de sang.
L’acte 2 est celui qui, musicalement, m’a fait le plus d’effets à l’écoute audio. En visuel c’est tout simplement un de ces très grands moments d’opéra dont tout amateur rêve en permanence. C’est une véritable rencontre au sommet entre Kaufmann et Stemme, entre Parsifal et Kundry, qu’on rêverait de voir plus souvent à l’opéra à ce degré d’alchimie et d’entente entre les deux chanteurs qui se connaissent bien et s’entendent parfaitement bien pour exprimer leurs deux extraordinaires personnages, les deux rôles qui scelleront le destin du royaume du Graal en brisant l’enchantement.
Le scandale qui a valu de très injustes (et obscurantistes) protestations en salle lors de la Première, c’est le choix d’avoir fait des filles fleurs de jeunes femmes habillées d’un costume représentant une nudité à l’esthétique picturales expressionniste.
Or c’est parfaitement en phase avec l’ensemble de la lecture de ce Parsifal et le chant littéralement extraordinaires de ces filles-fleurs est un véritable envoutement dont la voix et la beauté de Kundry sortiront miraculeusement le pauvre Parsifal.
L’acte se déroule avec un réalisme poétique phénoménal avec cette rupture violente et assumée qui transforme radicalement Parsifal.
La voix de Kaufmann change brutalement de registre pour passer à celui du heldentenor en pleine puissance, Petrenko fait respecter un lourd silence avec le premier “Amfortas”, donne l’orchestre puis Kaufmann poursuit son chant héroïque, sans plus rien du “knabe” un peu ahuri, avec la force d’un homme dont la mission est alors tracée. Le chanteur se redresse, son air farouche et sombre dit bien la force de sa décision, notre Parsifal secoue la salle dans un monologue puis un duo avec l'extraordinaire Kundry de Nina Stemme, qui me restera longtemps en mémoire...
L'affrontement avec Klingsor se fait sans violence. Parsifal a pris conscience de son pouvoir (de sa "force" intérieure), il désarme et terrasse Klingsor tandis que derrière eux, les murs du château de papier s'écroulent...
L’acte 3 s’ouvre après un interlude musical à rideau fermé, troisième oeuvre de Baselitz, les personnage la tête en bas. L’orchestre de Petrenko sonne magnifiquement, sombre, tourmenté, mais avec ces éclairs et cette luminosité qui lui est propre et qui dessine l’espoir, nous avons ces étranges incursions wagnériennes vers les thèmes des Meistersinger, puis le rideau s’ouvre sur un décor inversé. Tout ce qui était au sol à l’acte 1 est au plafond, la pente de la scène va de la salle aux coulisses, les chevaliers tout comme Parsifal, habillé en sombre chevalier d’un moyen âge de légende celtique revisité par une “Fantasy”, surgissent du bas pour monter vers nous. Effet très impressionnant là encore. 
Le baptême et la rédemption, la guérison d’Amfortas qui demeure couché (mort?) près du bord de la scène, tout se déroule avec la lenteur de gestes majestueux qu’accompagne le chant halluciné du fantastique Christian Gerhaher, une révélation dans un nouveau rôle pour lui, tandis que Le Gurnemantz de Pape et le Parsifal de Jonas Kaufmann, poursuivent la logique de leurs personnages avec un pouvoir de conviction idéal. Presque silencieuse mais puissamment présente par son jeu, la Kundry de Stemme est cette fois asexuée, robe sac et cheveux courts coupés à la diable, tandis que le Parsifal de Kaufmann, se défaisant de son armure de cuir, apparait dans un costume moulant, le sexe enserré dans une coquille très évocatrice.





On l'a dit et écrit : les chanteurs se surpassent à chaque instant, on ne saurait rivaliser de superlatifs ou tenter d'établir une hiérarchie sans signification particulière, tant ils, elles, ont tous, toutes été absolument parfaits dans - j'insiste volontairement- ce qui apparait comme un vrai travail d'équipe, une construction collective qui confine au génie et a laissé, hier, le public dans un état second, provoquant une standing ovation spontanée.
Mais rien de tout cela n'aurait eu lieu sans l'incroyable génie musical de Kiril Petrenko, qui de la hauteur de sa position, surplombe l'orchestre pour être à la hauteur des chanteurs qu'il soutient en permanence. Avec Petrenko, personne n'a besoin de mettre sa voix en péril. Il n’y a pas de concours de décibels, mais une émulation réciproque pour adopter ce style bouleversant qui est un peu la marque de Petrenko.
Du beau chant, expressif, nuancé, sublime.

Wagner enfin.






Photos du bayerische Staatsoper

Retransmission en live de la Première, le 28 juin à 16h sur BR Klassik
https://www.br-klassik.de/programm/radi ... 33320.html

Retransmission vidéo en livestream le 8 juillet

Vidéo "résumé".




Sur mon blog : présentation
https://passionoperaheleneadam.blogspot ... ra-de.html

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Et pour la dernière du 31 juillet cette belle photo de Kiril Petrenko couvert de fleurs par ses musiciens...
https://www.instagram.com/p/Bl6P2q8HDlc/


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