Chroniques munichoises - festival d'été 2018 - Yoncheva - Les vêpres - Orlando

Chroniques munichoises (suite)


Festival d'été 2018 

L'étalement sur 7 jours du Ring laissait quelques soirées libres. Nous en avons profité pour assister au concert en plein air (gratuit) de Sonya Yoncheva, puis pour découvrir un délicieux Orlando Paladino, mené de main de maître, avant de tomber sur "la" soirée ratée (il faut bien qu'il y en ait une), celle des Vêpres siciliennes.

Concert "Oper für alle" avec Sonya Yoncheva - 21 juillet - Marstallplatz
Orlando Paladino (Haydn) - 25 juillet - Prinzregenttheater.
Les vêpres Siciliennes (Verdi) - 26 juillet - Opéra de Munich



Concert "Oper für alle" avec Sonya Yoncheva - 21 juillet - Marstallplatz

Johannes Brahms (1833–1897)

Tragische Ouvertüre op. 81
Allegro ma non troppo – Molto più moderato – Tempo primo
(ATTACCA-Jugendorchester)

Giuseppe Verdi (1813– 1901)
• Ouverture des Vêpres siciliennes
• « Toi qui sus le néant » (air d'Élisabeth, Don Carlos)
• Musique du ballet de Macbeth
• « Tacea la notte placida » (aria de Leonora, Il trovatore)
• Musique du ballet d'Aida
• « Pace mio Dio » (aria de Leonora, La forza del destino)

Antonín Dvořák (1841–1904)
Symphonie n° 8 en sol majeur op. 88
1. Allegro con brio
2. Adagio
3. Allegretto grazioso – Molto vivace
4. Allegro ma non troppo
(Bayerisches Staatsorchester)

La place était quand même bien remplie malgré le déluge qui s'est abattu dès 20 heures sur les malheureux spectateurs. Auparavant nous avions pu admirer l'organisation des munichois pour les concerts en plein air sur le pavé : grandes couvertures étanches, petits coussins, longues capes de pluie, sandwiches et boissons, bref parés pour les fraiches soirées qui suivent le déchainement des éléments.
A 20h 30 quand le concert commence, il ne pleut plus et des rangées entières de spectateurs assis sur le sol remplissent la place tandis que les moins équipés se placent des deux côtés debout.
L'ouverture tragique de Brahms est assuré par le jeune orchestre ATTACCA sous la baguette de Allan Bergius.
Mariotti est en forme quand il s'attaque à la si-souvent-donnée-en-concert ouverture des Vêpres siciliennes avec l'orchestre de l'opéra et cela réchauffe la "salle", en moyenne assez jeune d'ailleurs voire très jeune.
Puis arrive la diva. Dont le style et la voix (je me répète) font de plus en plus souvent penser à la Callas.
Elle commence par "Tacea la notte placida", avec reprise, (Le Trovatore) et non par Don Carlos comme annoncé sur le programme papier distribué à l'entrée, et c'est absolument magnifique de maitrise, d'expressivité, de beau chant. Sa voix s'est considérablement élargie dans le medium et son timbre est capiteux, riche, harmonieux.
Après le ballet de Macbeth (bof), elle continue par Don Carlos "Toi qui sus le néant". Moins maitrisé à cause des aigus un peu rétrécis et d'un léger manque de souffle,mais comme toujours des moments divins (parce qu'elle exprime si bien ce que son héroïne vit) et une direction Mariotti qui rappelle à quel point celle de Jordan fut lourde et manquant de nuances. Mariotti annonce le drame par son introduction avant d'accompagner la chanteuse dans ce superbe air du final.
Après le ballet de Aida (bien mieux !), elle termine par "Pace mio dio" (la Forza) et son "Malediccione" final est époustouflant (tout l'air aussi), asséné avec force, autorité, longuement tenu, qui donne des frissons (supplémentaires il commence à faire très froid). Elle a cette Leonora dans la voix. Elle devrait pourvoir assurer le rôle dans quelques temps.
Un air de Luisa Miller (qu'elle domine magnifiquement comme on le sait depuis sa pris de rôle au MET), et c'est fini.
Pour nous aussi, on déclare forfait et on se sauve dans une brasserie pour diner et se réchauffer....



Les vêpres Siciliennes (Verdi) - 26 juillet - Opéra de Munich
Direction musicale : Omer Meir Wellber
Mise en scène : Antú Romero

Hélène : Rachel Willis-Sørensen
Ninetta : Helena Zubanovich
Henri : Bryan Hymel
Guy de Montfort : George Petean
Procida : Erwin Schrott
Danieli : Matthew Grills
Mainfroid : Galeano Salas
Robert : Callum Thorpe
Thibaut : Long Long
Le Comte de Vaudemont : Johannes Kammler
Le Sire de Béthune : Alexander Milev

Bayerisches Staatsorchester
Choeur du Bayerischen Staatsoper

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La mise en scène de ces Vêpres est tout sauf lisible et après l'exercice que je me suis infligée en visionnant le Lohengrin de Bayreuth hier matin sur mon ordinateur, j'ai cessé d'essayer de deviner ce que le metteur en scène avait voulu dire dans l'un et l'autre cas et tenter de m'y retrouver, tout en adressant encore une fois un compliment appuyé au metteur en scène, qui a si joliment illustré le Ring dont l'apothéose est pour ce soir.
Mais à peine m'étais-je réjouie de re-découvrir que cet as de Kriegenbourg était justement le metteur en scène des Huguenots qui ouvriront la saison de Paris bastille, et que Bryan Hymel était annoncé pour hier soir, donc a priori remis de ses graves problèmes vocaux, que patatras, je m'aperçois qu'il n'en est rien et que le ténor a manifestement abimé sa voix pour de bon....
Henri est un rôle difficile mais il en était venu à bout brillamment à Londres l'an dernier et si on excepte son timbre un peu nasillard notamment du à une émission nasale pas des plus élégantes, il m'avait éblouie par sa virtuosité et son engagement. Lors de la Première de cette nouvelle production (décidément hermétique), le 11 mars dernier, Hymel avait du s'arrêter de chanter à la fin des deux premiers actes et avait du annuler toutes les autres représentations pour crash vocal. Il était revenu tout content en avril pour les répétitions de Roméo qu'il devait alors incarner au MET mais il annonçait le 20 du mois qu'il devait encore renoncer à ce rôle.
Depuis, il a peut-être chanté un ou deux concerts, mais, à ma connaissance, n'a pas repris de rôle important à la scène avant ces vêpres.
Je ne suis pas spécialiste des voix mais ce qu'on a entendu hier soir, ressemble aux premières alertes sérieuses dans la voix de Villazon pour ceux qui s'en souviennent et 

 n'augure rien de bon pour la suite. Tout était chanté en force, au bord de l'accident (non évité plusieurs fois) d'une voix sur le fil, avec un timbre épouvantable et, à part quelques passages plus calmes où le ténor parvenait à retrouver son sang-froid, à stabiliser sa voix et à maitriser son vibrato, on le voyait tellement à la peine qu'on souffrait en effet pour lui...L'acte 4 tourna même au désastre. Et le ténor lui-même en avait l'air désolé lors des saluts. Mais ce qui passe pour une méforme d'un soir dans une saison brillante, est plus suspect quand l'artiste s'est déjà arrêté de longs mois pour crash vocal dans le même rôle très difficile.
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Je pense que toute la représentation a été suspendue à ces difficultés du rôle principal : Erwin Schrott ne semblait pas totalement à son aise, même s'il est toujours très brillant dans ce rôle de Procida, il montrait des difficultés dans le registre très grave et une prononciation assez relâchée, Rachel Willis-Sorensen semblait parfois déstabilisée dans son chant régulier et brillant pas la fièvre de Hymel tentant de réguler sa voix lors des duos -elle a néanmoins été remarquable, mais ses aigus étaient très rétrécis-. Quant à Georges Petean, il a promené son Monfort avec une certaine bonhommie, pas toujours adéquate au rôle, mais avec une tranquille assurance d'artiste connaissant le job et nous offrant de très  jolis moments ("mon fils") et d'autres plus patauds.
La direction de Omer Meir Weber ne m'a pas emballée non plus : trop lente, avec trop peu de subtilité, souvent à la hache et manquant de couleurs globalement pour un opéra que personnellement j'aime beaucoup mais où je n'ai pas retrouvée la magie des représentations londoniennes récentes.
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Garder le ballet oui, mais rajouter sur la musique de ce ballet exécutée par l'orchestre, une musique électronique sans rapport beuglée par des hauts-parleurs, ça m'a choquée...(le maestro avait un casque pour diriger ses instrumentistes...)
Soirée très très mitigée donc....



Orlando Paladino (Haydn) - 25 juillet - Prinzregenttheater.
 L’image contient peut-être : 21 personnes, personnes souriantes

Direction musicale : Ivor Bolton

Mise en scène : Axel Ranisch
Angelica : Adela Zaharia
Rodomonte : Edwin Crossley-Mercer
Orlando : Mathias Vidal
Medoro : Dovlet Nurgeldiyev
Licone : Guy de Mey
Eurilla : Elena Sancho Pereg
Pasquale : David Portillo
Alcina : Tara Erraught
 

Mais la veille fort heureusement, nous avions cette très amusante (et passionnante) représentation d'Orlando Paladino par une équipe de chanteurs exceptionnels qui se sont pris au jeu (et au drame) des quadruples mises en abyme de la mise en scène ingénieuse et jubilatoire. Le héros chevaleresque Orlando est fou de jalousie devant l'amour de Angelica et Medoro : tout faire pour les séparer est son obsession maladive qui charpente tout l'opéra. Parallèlement il y a la tendre et belle histoire d'amour entre Eurilla et Pasquale. Et la sorcière Alcina (figure bien connue de l'opéra baroque) et le chevalier Rodomonte qui tiennent Orlando en échec. La mise en scène prend le parti héroico-comique de Haydn tout en faisant de la première histoire d'amour, le récit d'un film muet projeté dans un cinéma de quartier dont les usagers sont en même temps less héros de l'opéra.
C'est tellement bien fait que les faiblesses d'une œuvre un peu trop longue et qui manque de tensions, disparaissent totalement.

Mais, au delà de ces remarques sur la structure de l'opéra, je voudrais souligner sa qualité musicale d'abord, que je n'avais pas eu le temps d'entendre autrement qu'en enregistrement. Il est lui-même un joyeux mélange de styles et de morceaux, de comique avec fantastiques exercices de vocalises ou syllabiques (une scène digne du catalogue de Leporello dans DG par exemple), de tragique, des arias époustouflantes pour toutes les voix, des duos, des ensembles, des rebondissements incessants, bref une fête pour les oreilles qui me semble annoncer Rossini...

L'orchestre de chambre de Munich et son chef Ivor Bolton font des merveilles dans le strict respect de la musique baroque (petite formation idéale qui accompagne sobrement les récitatifs, assure merveilleusement les interludes et soutiens les arias et autres ensembles avec brio.

La distribution n'appelle elle aussi que des éloges avec des chanteurs comme Mathias Vidal ou David Portillo que nous avons entendus quelques fois au Théâtre des Champs Elysées ces dernières années, et qui confirment dans cette acoustique exceptionnelle et dans ce cadre idéal d'accompagnement orchestral de bonne taille, leur immense talent : belles voix, belles vocalises, engagement et plaisir à jouer et à chanter. Mathias Vidal est littéralement déchainé en Orlando furioso, et son interprétation est éblouissante de justesse, projection superbe et réalisation globale très brillante. Mais il faut une mention spéciale aussi  à l'éblouissant David Portillo, qu'on aurait plaisir à revoir rapidement, ce ténor belcantiste américain est surdoué (pour mémoire il avait été un formidable Pedrillo dans l'enlèvement au TCE en 2015). Mais le jeune ténor Dovlet Nurgeldiyev, manifestement de la troupe de Hambourg et que je ne connaissais pas, est également très prometteur : timbre magnifique, aucune difficulté dans le moindre aigu, belle régularité dans le chant, il campe un Medoro, romantique et émouvant.
On ne présente plus Edwin Crossler-Mercer, souvent torse nu dans la représentation, pectoraux impeccables, chant un peu sombre mais qui sied parfaitement au personnage, avec Matthias Vidal, leur complicité évidente fait merveille.
Mais j'ai gardé le meilleur pour la fin.
Car la voix la plus impressionnante, la plus étonnante, la plus scotchante, à tel point qu'on se dit que c'est presque trop opulent, trop beau, trop merveilleux pour être vrai, c'est celle de la belle Adela Zaharia, mon coup de coeur depuis sa Lucia en décembre dernier à Munich en remplacement de Damrau, et qui confirme (et plus encore) qu'elle a un talent fou, fou, fou...Elle est tellement étonnante qu'elle fait inévitablement de l'ombre aux deux autres rôles féminins pourtant brillamment tenus par l'énergique Tara Erraught (Alcina) et la délicieuse Elena Sancho Pereg (Eurilla).
Bref beaucoup de talents réunis, une mise en scène géniale, le beau cadre du jardin du Prinzregententheater pour l'entracte, un bel orage en prime, que du bonheur quand même....




 

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