Les Huguenots - Meyerbeer - 28 septembre 2018 - ONP Bastille

Les Huguenots


De Giacomo Meyerbeer
Livret : Eugène Scribe et Émile Deschamps


Opéra en cinq actes (et ballet) - création en 1836 à l'Opéra de Paris, salle Le Pelletier.
Direction musicale : Michele Mariotti / Łukasz Borowicz
Mise en scène : Andreas Kriegenburg
Décors : Harald B. Thor
Costumes : Tanja Hofmann
Lumières : Andreas Grüter
Chorégraphie : Zenta Haerter
Chef des Choeurs : José Luis Basso

Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris

Avec
Marguerite de Valois : Lisette Oropesa
Raoul de Nangis : Yosep Kang
Valentine : Ermonela Jaho
Urbain : Karine Deshayes
Marcel : Nicolas Testé
Le Comte de Saint-Bris : Paul Gay
La dame d’honneur : Julie RobardGendre
Une bohémienne : Julie RobardGendre
Cossé, un étudiant catholique : François Rougier
Le Comte de Nevers : Florian Sempey
Tavannes, premier moine : Cyrille Dubois
Méru, deuxième moine : Michal Partyka
Thoré, Maurevert : Patrick Bolleire
Retz, troisième moine : Tomislav Lavoie
Coryphée, une jeune fille catholique, une bohémienne : Élodie Hache
Bois-Rosé, valet : Philippe Do
Un archer du guet : Olivier Ayault
Quatre seigneurs :
John Bernard
Cyrille Lovighi
Bernard Arrieta
Fabio Bellenghi

Opéra de Paris, Bastille, du 25 septembre au 24 octobre

Opéra de Paris, Bastille, du 25 septembre au 24 octobre
Ce chef d'oeuvre du Grand Opéra français, immense fresque historique mettant en scène le massacre de la Saint-Barthélémy, n'a pas été donné à l'opéra de Paris depuis 1936, Meyerbeer après avoir été l'un des plus brillants compositeurs du 19ème siècle, sans doute l'un des plus novateurs et précurseurs de bien des aspects de l'opéra (on y reviendra) ayant été victime d'une véritable omerta.
Giocomo Meyerbeer s'appelle en réalité Jakob Liebmann Beer. Il est né en 1791 à Berlin. Il se choisit un pseudonyme inspiré de son itinéraire musical : l'Italie (Giacomo) et en référence à sa famille : "Meyer" est le nom de sa mère, "Beer" le nom de son père.
Pianiste célèbre en Allemagne, il compose d'abord des opéras allemands, avant de se rendre en Italie où il s'inspire de Gioacchino Rossini et se rapproche des mouvements musicaux qui défendent l'importance du sujet historique comme toile de fond du genre "opéra". 
Son dernier opéra italien "Crociato in Egitto" l'amène ensuite au grand opéra français om il joue un rôle important à la fois dans l'enrichissement de la partition orchestrale de l'opéra et dans la défense d'idées politiques exprimées dans ses oeuvres : dénonciation de l'absurdité des conflits religieux et du danger de l'intolérance où les peuples sont manipulés par les dominants et massacrés, victimes innocentes de leurs conflits d'intérêt. les Huguenots dénonce la lutte de classe.
En ce qui me concerne, ce sera la première fois que je le verrai sur scène (bien que l'ayant beaucoup écouté...)

Rappel : L'ONP a du faire face à deux annulations de "prestige" : Diana Damrau (remplacée par Lisette Oropesa) en Août et Bryan Hymel (remplacé par Yosep Kang) en septembre quelques jours avant la Générale.

Première du 28 septembre 
Grande Première hier soir à la Bastille ! Meyerbeer enfin réhabilité, renaissant de l’oubli revenait à Paris avec son chef d’œuvre, les Huguenots, fleuron du « grand opéra français ».
Meyerbeer est oublié, calomnié, nié, victime de violentes campagnes antisémites dès la fin du 19ème et au début du 20ème siècle. L’œuvre monumentale, universel appel à la tolérance, qui dénonce les fanatismes religieux d’où qu’ils viennent et la manipulation des masses par les puissants pour leurs propres intérêts, retrouve aujourd’hui une vraie jeunesse et démontre sa brûlante actualité.
Œuvre musicalement fantastique, d’une richesse orchestrale, mettant en scène une bonne dizaine de personnages hauts en couleurs, des récitatifs et de grands airs sublimes, graves ou légers qui vont de l’opérette au drame le plus sombre, des duos en alternance ou en simultanéité qui sont du plus bel effet, des trios, des ensembles et… des chœurs d’une incroyable inventivité : dialogues chœurs/solistes, alternance rapide chœurs masculin/féminins, utilisation de la consonance des paroles comme instrument, avec toujours cette incroyable musicalité et ce rythme effréné des actions et des variations de climat qui en font une œuvre qui ne possède pas la moindre longueur et passionne de bout en bout.
Ne serait-ce que pour la découverte des énormes qualités de l’œuvre sur scène, il ne faut pas rater cette reprise historique.

Dommage que Meyerbeer ne soit pas toujours servi au niveau optimum ni dans la mise en scène, ni dans la direction musicale, ni dans la distribution.
Mais, révélant son génie, il résiste bien !

Pour cette Première, c’est la direction Mariotti qui m’a laissé le plus circonspecte voire souvent déçue : peu d’élan, un orchestre comme « éteint » ou trop peu sonore pour faire vivre les contrastes de la partition et la montée dramatique. Les chœurs, par contre, sont brillants et compensent un peu cette lecture que j’ai trouvée « brouillonne » et sans ligne directrice clairement identifiée. Je ne sais pas quel rôle a joué le plateau assez hétérogène avec un rôle principal arrivé tardivement, dans les difficultés du chef, mais le fait est que l’orchestre et singulièrement les cordes, ne sonnaient pas comme d’habitude. Frustration persistante tout au long de la soirée, culminant au final : il est louable de respecter les chanteurs qui n’avaient pas tous loin de là, de très grandes voix, mais là, cela se faisait un peu trop au détriment de l’admirable orchestration de Meyerbeer… ces réserves ne justifiaient en aucun cas les huées dont le chef a été victime à l’issue de cette première et qui m’ont choquée.

La mise en scène adopte le parti pris de la neutralité bienveillante et universelle : décors à dominante de blanc mettant en valeur les couleurs des costumes : les rouges pour les Catholiques assassins, le noir et le gris pour les Huguenots austères et intégristes, le vert pour Valentine, l’espoir et le blanc puis le doré pour la lumineuse Marguerite.
Kriegenburg donne quelques indications rattachant sa vision des Huguenots à la réalité historique dans ses costumes mais sans plus : après tout Meyerbeer a choisi d’illustrer l’un des moments les plus tragiques de l’intolérance religieuse et du fanatisme pour traiter du sujet pas pour raconter le massacre de la Saint Barthélémy. D’ailleurs au fronton de la scène, les paroles terribles d’un croisé de 2063, inscrivent leur déclaration de mort tandis que des rais de lumière rouge symbolisent le sang coulant à flot.
Et il faut bien dire que les terribles paroles des chœurs ou du comte de Saint-Bris, sont l’éternelle justification des crimes de masse les plus horribles encore de nos jours…
Les décors qui évoluent à chaque acte tout en gardant une structure commune, sont globalement fonctionnels et très esthétiques. Trop. Car la scénographie est dans la même veine : celle d’un lent ballet des corps presque statufiés par moment, formant de très beaux tableaux (on songe à Brueghel juste au moment de l’arrivée des Bohémiennes), mais ne facilitant pas la sensation de la montée dramatique, de la tension nécessaire entre les uns et les autres qui aboutira à la préparation du massacre puis à sa réalisation.
Difficile de dire ce qu’auraient pu donner un plus long de préparation des chanteurs pour s’emparer davantage du concept et traduire davantage (ou en meilleure osmose entre eux) ce parti pris en tension dramatique.
En bref, il manque un peu de sueur et de sang pour rendre compte de la tragédie.

Mais avec une distribution homogène et 7 étoiles, comme l’opéra le voudrait, rien de tout cela n’aurait été très important, à mon avis.
Malheureusement cette Première souffrait de pas mal de défauts de ce côté-là. 
Alors je vais commencer par saluer les très, très belles prestations : 
Celle de Karine Deshayes, parfaite en page Urbain et qui a réveillé l'opéra par son arrivée au premier acte et celle de Lisette Oropesa, qui n'a quand même pas tout à fait les moyens du rôle mais les défend drôlement bien.

Karine Deshayes s’impose dès son entrée en scène à l’acte 1 : le volume de sa voix et la clarté de sa diction, la précision de ses trilles, vocalises et autres acrobaties vocales, la beauté du timbre et le jeu de scène précis qui accompagne la belle performance vocale, tout indique la grande maitrise d’un rôle. Et comme depuis l’ouverture, mis à part les chœurs, on nage dans l’à peu près, c’est un vrai bonheur des yeux et des oreilles. La mezzo confirmera tout au long de l’opéra ses immenses qualités pour le grand opéra français et son adéquation parfaite au rôle. Dommage qu’un de ses airs ait été coupé (" Non, non, non, vous n’avez jamais, je gage ") que Karine Deshayes chantait dans les Huguenots donnés à Strasbourg (avec Gregory Kunde en Raoul dans la mise en scène d’O. Py).

Lisette Oropesa  impose une Marguerite très "personnelle" et incroyablement charismatique de tous les points de vue ce à quoi je ne m'attendais pas et qui me fait changer d'avis sur elle (j'avais été moins convaincue par les précédents rôles où je l'avais entendue). Lumineuse autant que généreuse, elle campe une Marguerite jeune et belle, qui aime l’amour, la joie, les jeux et voudrait à tout prix conjurer les malheurs qui se dessinent à son horizon avec cette montée des périls née du fanatisme.
Merveilleux « Ô beau pays de la Touraine » dès le début de l’acte 2, omniprésence dans les duos qui suivent et fantastique air de « Ah si j’étais coquette », qui tient de l’opérette alors que monte la musique de la tragédie et qu’elle interprète magistralement étourdissant littéralement le spectateur par sa virtuosité alliée à un véritable et gracieux bal sur scène. Quel talent époustouflant. Alors on lui pardonnera bien volontiers d’avoir quelques limites dans les aigus les plus dramatiques où la voix est un peu pincée et om son chant manque un tout petit peu de corps quand il s'agit d'aborder les parties plus dramatiques.
Mais quand on pense que c'est une prise de rôle, décidée tardivement du fait de l'annulation de Diana Damrau, on est encore plus sincèrement admiratif. 
Lisette Oropesa a gagné des galons de star à Paris hier soir...


Ensuite viendra le « Marcel » de Nicolas Testé, qui, hélas rate son entrée (le « Piff, paff, piff, paff » de l’acte 1 pris trop tôt et décalé), mais se rattrape assez rapidement, incarnant un suivant fidèle ami de Raoul très humain et souvent touchant (« Ah ! voyez ! Le ciel s’ouvre et rayonne ! », exalté…)

Au même rang le Nevers de Florian Sempey, jeu peut-être un peu outré parfois surtout dans une mise en scène aussi stylisée et suggérée, mais belle voix et belle prestance et puis surtout, il chante vraiment du Meyerbeer, qui exige tout à la fois de savoir vocaliser (ce qu'il fait très bien en rossinien accompli) et de savoir dramatiser malgré quelques graves pas tout à fait justes et parfois l’impression d’une légère méforme.

Excellents petits rôles de Cyrille Dubois (hélas un peu inaudible dans les trios), d’Elodie Hache (étonnante et remarquable bohémienne) et de Philippe Do en Bois-Rosé.

Par contre j’ai trouvé Paul Gay très décevant si on excepte un très beau « Et vous qui répondez au Dieu qui nous appelle « à l’acte IV. La voix semble sinon, avoir du mal à se déployer hors du plateau et le personnage de Saint-Bris n’a guère l’autorité et le fanatisme qui lui conviendraient pourtant. 

Ma plus grande déception vient du chant d’Ermonella Jaho (Valentine) dont la voix m'a parue très confidentielle, "confinée" sur le plateau et n'éclatant pas dans la salle, presque précautionneuse malgré une belle incarnation scénique (et une très importante expressivité vocale). Le timbre souvent envahi par un vibrato excessif, n’est pas toujours très beau et les graves sont en difficulté dans un rôle qui demande une large tessiture avec des moments d’amplification dramatique qu’on ne percevait guère. Là aussi l’outrance du jeu ne remplace pas ce qui ne passe pas par la voix et hier soir, Jaho a sans doute montré que le rôle ne convenait ni au style ni à la voix de celle qui m’a fait pleurer plusieurs fois en Cio-Cio-San (Madame Butterfly).

On hésite ensuite à qualifier le chant de Yosep Kang qui a eu le courage de remplacer presque au pied levé la défaillance tardivement annoncée de Bryan Hymel. Le ténor n’est pas à l’aise sur la scène avec des partenaires avec qui il a peu répété, c’est son baptême du feu dans l’acoustique difficile de Bastille. Etc etc
Mais bon, il n’est pas à la hauteur et les circonstances ne peuvent empêcher de le dire. C’est le rôle principal et il vaut mieux ne pas avoir Michael Spyres (ou Juan Diego Florez) dans l’oreille quand il entame son « Sous ce beau ciel de la Touraine », voix raide, timbre dur, legato absent, justesse discutable. Bon on n’est pas sous le charme et rien ne viendra vraiment rattraper cette première mauvaise impression. Jeu stéréotypé et figé, pas la moindre nuance, peu de grâce dans son chant, aigus escamotés ou peu élégants, bref c’est un Raoul auquel on ne croit guère. 
Le duo entre Raoul et Valentine, à l'acte 4, l’un des moments les plus lyriques et émouvants de l’œuvre, situé dans le décor devenu petite pièce par un jeu de panneaux coulissants, est par ailleurs un modèle de contraste catastrophique entre le jeu hyper-expressionniste de la soprano  et la placidité gauche du ténor. Du coup aucune émotion ne passe. Et on se demande pourquoi elle se met dans des états pareils pour ce Raoul-là...

Que dire en conclusion ?
D’abord que c’est impressionnant de réaliser qu'après 1120 représentations à Paris, cet opéra a disparu de l'affiche depuis 1936. 
Finalement c'était bien cette réhabilitation d'une oeuvre majeure et au message puissamment universel et oh combien d'actualité, qui était l'événement principal hier soir. Meyerbeer est sorti triomphant de ce retour je pense. Je n'ai croisé que des amis plutôt ravis de l'oeuvre elle-même (à une exception près). Et j'avoue avoir été bluffée encore une fois (après de multiples écoutes discographiques) par l'inventivité musicale et la beauté des textes : le petit air de Marguerite "si j'étais coquette" est un vrai délice manière opérette au milieu de cette tragédie en marche, l'arrivée des bohémiennes évoque la future scène de tirage des cartes de Carmen, les choeurs ont à plusieurs reprises des paroles dont la consonance est elle-même musicale, et dont le rythme évoque les tambours, la guerre, la haine...
On mesure d'ailleurs au nombre de "grands airs", de duos, de trios, d'ensemble et de "tutti" des choeurs hommes, femmes alternant le plus souvent, qu'il faut réunir beaucoup de talents pour donner une représentation à la hauteur de l'oeuvre.
Alors ne ratez pas ce retour même s’il n’est pas parfaitement servi. 

Videos de l'opéra de Paris






Et le débat sur le site ODB
http://www.odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=20847


Discographie par ce lien
Par ce lien, une liste dont je ne suis pas sûre qu'elle soit exhaustive


Le dernier enregistrement "gravé" daterait donc de 2009-2010 avec Spyres dans le rôle-titre

Détails :
Les Huguenots by Giacomo Meyerbeer performed in French
Conductor Leon Botstein - 2009(LI)
Orchestra - American Symphony Orchestra
Chorus - Bard Festival Chorus

Marguerite de Valois - Erin Morley
Valentine de Saint-Bris - Alexandra Deshorties
Urbain - Marie Lenormand
Raoul de Nangis - Michael Spyres
Compte de Nevers - Andrew Schroeder
Compte de Saint-Bris - John Marcus Bindel
Marcel - Peter Volpe




Et cet enregistrement récent "live"
Deutsche Oper Berlin, Season 2016-2017
“LES HUGUENOTS”
Grand Opéra in five acts Libretto by Eugène Scribe and Émile Deschamps
Music by Giacomo Meyerbeer
Marguerite de Valois PATRIZIA CIOFI
Valentine, daughter of Count de Saint-Bris OLESYA GOLOVNEVA
Urbain, the Queen’s page IRENE ROBERTS
Raoul de Nangis, a Protestant gentleman JUAN DIEGO FLÓREZ
Marcel, Raoul’s servant ANTE JERKUNICA
Le Comte de Nevers, a Catholic gentleman MARC BARRARD


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