Vanessa - Samuel Barber – Festival de Glyndebourne – 14/08/2018

Vanessa 

Samuel Barber 

Livret de : Gian Carlo Menotti
Retransmission de la séance du 14 Août 2018 au festival de Glyndebourne


Jakub Hruša | Chef d'orchestre
Keith Warner | Mise en scène
Ashley Martin-Davis | Designer
Mark Jonathan | Création lumières
Alex Uragallo | Projection designer

avec
Virginie Verrez | Erika
Emma Bell | Vanessa
Edgaras Montvidas | Anatole
Rosalind Plowright | La vieille Baronne
Donnie Ray Albert | Le vieux Docteur
William Thomas | Nicholas, le majordome
Romanas Kudriašovas | Le Valet de pied

Glyndebourne Chorus
Nicholas Jenkins | Chef de chœur
Orchestre philharmonique de Londres


Le compositeur américain Samuel Barber, contemporain, mais relativement "classique" dans son style, est surtout connu du grand public pour son "Adagio for Strings" (initialement "concerto pour cordes") qui est devenu une référence pour accompagner les grands enterrements, et qui a été repris tel quel ou arrangé dans des films célèbres comme Elephant Man (Lynch) ou Platoon (Stone).

Son opéra le plus connu est "Vanessa", écrit en 1957 sur un livret de son ami, partenaire à la ville et à la scène,  Gian Carlo Menotti qui fut aussi le metteur en scène de la Première production, donnée en 1958 au MET. 
Je crois que la version actuelle date de 1964, quand elle a été revue par ses auteurs pour la raccourcir aux trois actes que nous pouvons voir à Glyndebourne mais je n'ai pas trouvé énormément de détails concernant ces évolutions.
L'opéra n'est pas donné en France avant...l'an 2000 à l'opéra de Metz d'ailleurs puis en 2001 à l'opéra de Monte Carlo, dans une autre production. Cette dernière a été reprise en 2003 à l'Opéra du Rhin à Strasbourg puis à Mulhouse. Il a également été donné dans une troisième production en 2012 à Herblay, puis en 2014 à nouveau à Metz.

C'est dire qu'il est peu connu en France et que j'ai découvert avec beaucoup d'intérêt, cette retransmission qui bénéficie d'une très belle mise en scène pour un "opéra-théâtre", sorte de huis-clos un peu étouffant qui évoque Tchekov et les soeurs Brontë quand à l'atmosphère et Britten quant à la musique.

L'histoire se déroule dans une demeure cossue au début du siècle dernier, entourée de bois, d'un lac gelé l'hiver et de beaucoup de mystères.
Trois femmes, trois générations, s'y "affrontent" à fleurets mouchetés, presque sans éclat, mais avec l'énergie du désespoir, enrobée dans des siècles de bonne éducation mondaine et policée.
Au début de l'opéra, nous sommes dans le salon du manoir. Les trois femmes sont là. la plus âgée, la "vieille baronne" est silencieuse dans un fauteuil. les deux autres, Vanessa, sa fille et Erika la nièce de Vanessa, petite-fille de la vieille baronne, préparent avec les domestiques la réception à venir pour celui qu'on attend.
Depuis vingts ans.
Anatol, dont Vanessa était éprise et qui est parti en promettant de revenir un jour.
Depuis les immenses miroirs du fond de scène et les non-moins immenses tableaux, portraits de famille, sont recouverts de voiles. Tout semble figé dans cette attente infinie. Vanessa ne veut pas voir les effets de l'âge sur ses portraits de jeunesse ou dans son miroir.
Alors elle a tout recouvert et imposé aux deux autres femmes son éternelle attente.
Musicalement, dès le début, le parallélisme entre ces deux femmes, Vanessa et son portrait de jeunesse vivant, Erika, est subtil et obsédant. Les partitions de leurs chants sont similaires. C'est la plus jeune qui est la mezzo, la plus âgée qui est la soprano. Leurs mélodies se ressemblent mais celle de Vanessa est plus heurtée, lance des aigus plus agressifs, comprend des notes d'inégales valeurs qui rend son chant plus nerveux, plus agité. La partie d'Erika est au contraire beaucoup plus lyrique et plus calme.
Barber écrit presque du théâtre chanté, et donne une partition style "sprechgesang" ("parler-chanté, c'est à dire dans un style musical à l'écriture linéaire sans grands airs ou grands ensemble) à ses chanteurs, mais en gardant une tonalité et en ménageant un accompagnement orchestral classique malgré quelques bruitages intelligemment distribués. 
Il n'y a donc aucune difficulté à "entrer" dans l'oeuvre et elle distille peu à peu avec ces subtils changements de rythme musical et d'écarts de notes, une sourde angoisse malgré les moments légers.
Car l'invité qui arrive finalement au beau milieu de la soirée et en pleine tempête de neige, n'est pas celui que Vanessa attend depuis 20 ans mais son fils, du même prénom.
Le fil qui va du passé au présent ne cesse de s'enrouler, de se dérouler, tandis que les personnages se déchirent alors. Vanessa voudra avoir le fils pour remplacer le père, tandis qu'Erika se laissera séduire et engrosser pour finalement laisser sa tante vivre son bonheur (imaginé ou réel?) et s'enfermer à son tour dans le manoir où portes et fenêtres reprendront leur deuil sinistre.
La mise en scène de Keith Warner est une merveille d'intelligence et de beauté plastique, dans le strict respect des didascalies (qui sont très précises en l'occurrence puisque chaque scène est minutieusement décrite jusque dans les détails, les miroirs, l'escalier, le porte manteau, les fauteuils).
Le metteur en scène, au travers de videos projetées dans un noir et blanc discret, façon vieux films muets ou par des scènes mimées au ralenti, nous fait voir au delà des immenses miroirs : la forêt, l'église, le lac, la neige, la tempête, les splendeurs du passé avec ses dîners de gala et ses bals, ses amours et ses malheurs. C'est très réussi et renforce le côté "charme suranné" de l'histoire et de la partition.
La direction d'acteurs est également excellente, au millimètre, sans la moindre fausse note ou le moindre écart vis à vis du livret. 

Et en phase avec la musique.
J'avais entendu le chef tchèque Jakub Hrůša dans le Rusalka (mise en scène de Robert Carsen) repris à l'ONP en avril 2015 sans être totalement convaincue même si j'avais noté la tension extrême qu'il donnait à l'orchestre, ce qui le conduisait parfois à couvrir les chanteurs (à Bastille, hélas, impossible de juger vraiment...). 
En retransmission pour ce Vanessa, je l'ai trouvé excellent, valorisant vraiment l'oeuvre et en phase totale avec instrumentistes et chanteurs.
Un grand bonheur de ce point de vue.
C'est en effet l'Erika incandescente et pourtant si posée, de la mezzo-soprano (française) Virginie Verrez qui domine le plateau : sa voix est magnifique, timbre très riche et très colorée, douceur et force tout à la fois, ce n'est jamais crié même dans les parties les plus violentes (et elle en a), c'est parfaitement maîtrisé, elle est belle, elle est jeune, elle souffre et nous avec elle. Elle était Flora Bervoix dans la Traviata à Paris en Février dernier et je crois que nous en avions parlé...(elle sera à nouveau à Paris dans ce rôle en septembre-octobre puis en décembre).

Emma Bell (Vanessa) campe un personnage fantasque à la partition plus difficile à négocier puisqu'elle exprime musicalement ses sautes d'humeur. Excellente Elisabeth à l'opéra de Berlin pour la dernière fois que je l'ai vue, j'étais ravie de la retrouver dans un rôle attachant de femme mûre qui retrouve ses élans de jeunesse sans même s'apercevoir des souffrances de sa nièce. Quelle chanteuse et quelle actrice elle aussi, la rencontre entre les deux femmes est juste et leur relation complexe est magnifiquement bien rendue.

La troisième femme, témoin du passé et du présent, la vieille baronne, est également dignement incarnée par Rosalind Plowright avec jusque ce qu'il faut de vieillesse dans la voix et de fierté dans le port pour compléter le tableau de ce gynécée étouffant.
Le vieux docteur (qui a quelques scènes comiques dont celle où il est ivre, ou celle où il apprend danser à Anatol), c'est Donnie Ray Albert, lui aussi juste ce qu'il faut de pique-assiette, de mémoire de l'histoire (et des petites histoires) de la famille, de bon vivant qui ne voit pas ce qui se passe autour de lui. Excellent.

Mes réserves iront à Edgaras Montvidas mais ce n'est pas nouveau. C'est un ténor (lituanien) qui a des qualités (notamment dans le jeu), qui est capable de très beaux passages lyriques tant que les aigus ne sont pas sollicités et qu'il n'a pas de grands écarts de notes à produire. Dans le cas contraire, la justesse est très approximative et la voix se fait légèrement crécelle dans les aigus. Bon, pas grave, il passe très bien la plupart du temps.



Et surtout, c'est l'ensemble de l'équipe qui sert collectivement cette oeuvre assez facile d'accès (je dis cela pour ceux qui sont réticents face à l'opéra du 20ème siècle) qui a été fortement ovationnée au festival.
Espérons juste qu'une salle comme Garnier ou Favart ait l'idée de la monter dans cette production très réussie et esthétiquement très soignée qui met en valeur une bien belle oeuvre. La distribution n'est pas difficile à trouver...

Un aperçu...




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