Bérénice - Michael Jarrel - Opéra Garnier - 2 octobre 2018

Bérénice

Création mondiale

D’après Jean Racine, Bérénice

Musique : Michael Jarrell
Livret : Michael Jarrell


Direction musicale : Philippe Jordan
Mise en scène : Claus Guth
Chef des Choeurs : Alessandro Di Stefano
Décors : Christian Schmidt
Costumes : Christian Schmidt et Linda Redlin
Avec
Titus : Bo Skovhus
Bérénice : Barbara Hannigan
Antiochus : Ivan Ludlow
Paulin : Alastair Miles
Arsace : Julien Behr
Phénice : Rina Schenfeld

Opéra de Paris Garnier du 26 septembre au 17 octobre.

C’est la "création mondiale" de l'année commandée par la direction de l'ONP au compositeur Michael Jarrel dont voici le site pour les curieux


Séance du 2 octobre 2018
"Rome, par une loi qui ne se peut changer,
N'admet avec son sang aucun sang étranger"

C'est sans doute la phrase qui m'avait le plus marquée dans mes années collèges quand je fréquentais la Comédie Française en "matinée" pour aller voir tous les classiques qui y étaient régulièrement donnés pour un prix dérisoire à condition de faire la queue une heure avant et de se contenter du vertigineux poulailler.
J'avais, sinon, gardé de Bérénice une splendeur des alexandrins dans un drame digne et glacé des amours impossibles pour raison d'Etat entre Titus roi de Rome et Bérénice reine de Palestine. En général de Racine j'admirais la beauté de la langue et la concentration de l'action, l'intrigue étant souvent simplifiée pour en faire ressortir les principaux traits et ne pas disperser l'attention (même si je préférais Corneille...).

Bérénice et Titus s'aiment et Antochius, roi de Commagènes et ami de l'empereur de Rome, apprenant leur mariage prochain, décide de fuir Rome pour résister à l'amour secret qu'il porte à Bérénice. Il avoue à la reine ses tourments, alors même que Titus comprend qu'il doit renoncer aussi à elle, Rome s'opposant résolument à cette union "interdite".
La tragédie de Racine ne se réfugie dans aucune facilité, il n'y a aucune autre raison à la fatale séparation que ce drame, Titus et Bérénice s'aiment d'une passion qui ne sera pas remise en cause, ils accepteront leur destin sans chercher ni chantage ni mort.

Autant dire tout de suite que ce que Michael Jarrel et Claus Guth font de cette tragédie épurée, ne m'a pas convaincue au regard de cette écriture magnifique.

C'est un choix talentueux, il faut le reconnaitre, magnifiquement servi par l'orchestre dirigé par Philippe Jordan de main de maitre (ce répertoire contemporain, heurté et musicalement très contrasté, lui convient magnifiquement) et par ses interprètes.
Comme il s'agit d'une création commandée par l'ONP à Jarrel, Claus Guth a forcément travaillé en étroite collaboration avec le compositeur et leur osmose est parfaite.
On peut d'ailleurs saluer ce travail sans hésiter en ce qui me concerne : la scène est divisée en trois parties, trois salles, figurant l'impossibilité pour Titus (salle cour) et Bérénice (salle jardin) de vivre ensemble malgré leur passion. La salle du milieu, sol noir couvert de cendres, sera le lieu des "rencontres", des "affrontements" devrais-je dire.

Car la musique et le livret de Jarrel, comme la formidable direction d'acteurs de Guth, fait un choix "expressionniste" total. Les chants sont distordus à tel point qu'on ne comprend pas toujours les paroles, d'énormes écarts de notes caractérisent la partition lyrique avec de longs passages en [i]sprechgesang [/i]sur des notes pas forcément faciles pour les timbres (et tessitures) des chanteurs.
D'autant que la partition orchestrale (très riche) fait également appel à nombre de percussions, cuivres et autres instruments au timbre sonore.
Les gestes et attitudes sont elles aussi outrées : grands mouvements, heurts des personnages entre eux, désespoir exprimé à grands gestes ou en se roulant au sol etc.

C'est un parti pris avec tous ses symboles : la beauté et la grâce de la reine, le parlé hébreu de sa servante, les valises d'Antochius, les vidéos montrant la foule de Rome, Titus se prenant la tête sur scène tandis qu'on le voit statufié en vidéo dans la même posture  etc.


Et c'est esthétiquement réussi. Et magnifiquement servi par Bo Skovhus (Titus), Barbara Hannigan (Bérénice) au premier chef, tous deux offrant une prestation éblouissante et très "prenante" mais aussi par le touchant Ivan Ludlow en Antiochus sans oublier Alastair Miles (Paulin) et Julien Behr (Arsace) tous très brillants malgré la réelle difficulté de l'exercice. Ils épousent parfaitement l'oeuvre et la mise en scène et se fondent littéralement dans le récit et son dénouement tragique.

Mais je n'ai pas été vraiment convaincue par ce parti pris qui m'a paru en violente contradiction avec l'esprit et la lettre (et quelle lettre) de Racine. Pourquoi faudrait-il aussi violemment souligner les symboles de l'impuissance et du désespoir que Racine suggérait si bien uniquement par la beauté du verbe ?

Du coup, il s'est paradoxalement installé un certain ennui bien que l'oeuvre ne dure qu'une heure trente. Ne parvenant pas à "entrer" dans cette nouvelle Bérénice quelque peu hystérique, je suis restée à la surface des choses. L'inconfort légendaire de l'amphithéâtre et les spectateurs partant en cours de route ont achevé de m'agacer. 

Mais une grande partie du public, à l'inverse, a beaucoup apprécié l'oeuvre et son exécution. La salle de Garnier était remplie...

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