Fidelio - Beethoven - Théâtre des champs Elysées - 6 Octobre 2018 -

Fidelio 

Ludwig van Beethoven 
Livret de Joseph Sonnleithner
1804 (et 1814 pour la version définitive).

Fidelio est un hymne à la liberté, un pamphlet contre l’arbitraire et une formidable leçon de courage, celui d’une femme qui se déguise en homme pour sauver son mari. Car le « héros » de cet unique opéra de Beethoven est bien le fameux « Fidelio », en réalité Leonore, femme de Florestan injustement emprisonné et condamné à mourir dans son cachot.
On ne voit Florestan qu’à l’acte 2 d’ailleurs où il apparait émergeant de son « trou », privé de nourriture et de lumière, hagard et chantant le fameux « Gooooooooot, welch dunkel hier » (Dieu qu’il fait sombre ici).
Le rôle de Leonore-Fidelio convient a priori à une soprano dramatique mais il pourrait aussi être chanté par une mezzo-soprano. C’est un rôle magnifique…




Séance du 6 octobre 2018, théâtre des champs Elysées, version concert.

Il faut que j'avoue d'abord mon scepticisme à l'égard de l'oeuvre elle-même qui est davantage une somme de grands airs solistes et d'ensembles magnifiques, de grandes pages orchestrales qu'un opéra. Il faut donc, là plus qu'ailleurs, pour en faire un opéra et rendre compte de la tension dramatique et de la jubilation qui s'ensuit, mettre en scène l'oeuvre et avoir des interprètes qui ne se contentent pas de chanter. 
Or ce soir là (et la froideur du public en a témoigné), l'oeuvre a eu vraiment du mal à décoller. 
Pourtant  cette version concert, au moins pour les artistes qui maitrisent leur partition et n'en ont pas souvent besoin, est un peu animée, avec une toute petite mise en espace et quelques accessoires très secondaires. Insuffisante sans doute parce que l'intention est ambiguë, facultative en quelque sorte (contrairement au magnifique Rigoletto l'avant-veille dans la même salle) et que tous les artistes ne se prêtent pas au jeu.
Je n'ai moi-même réussi à apprécier le Kammerorchester de Bâle qu'au deuxième acte, pendant la célèbre mini-ouverture qui annonce si bien le fameux "Goooot, wie dunkel hier" d'un Florestan émergeant péniblement de sa torpeur, à moitié mort de faim et dont les hallucinations sont la plus belle page de ce rôle.
Lors de l'ouverture à proprement parler (dire de "Fidelio") les violons étaient un peu désaccordés et grinçaient désagréablement. Si on ajoute un rythme très désordonné du chef et quelques couac du cor, ça partait mal. 
Froideur totale de la salle d'ailleurs alors que j'ai déjà vu cette ouverture (célèbre) littéralement ovationnée retardant le début  de l'opéra.
Heureusement, arrivent deux délicieux jeunes premiers, Regula Mühlemann en Marzelline et Patrick Grahl en Jaquino. Belles voix très allemandes, prosodie parfaites, beaux aigus, rythme de la phrase et caractère primesautier des échanges, un vrai bonheur vocal.  Mais leur scène est assez anecdotique...
L'orchestre (qui est de petite taille, rappelons-le, conformément aux traditions de l'époque) se fait alors assez discret ne couvrant jamais les voix qui se déploient magnifiquement. J'ai beaucoup aimé ces deux jeunes artistes, piliers de l'acte 1 qui culmine avec le fameux quatuor de toute beauté et magistralement interprété hier soir. Car entretemps sont arrivés successivement le Rocco tout en nuances de Albert Dohmen puis la puissante Leonore de Adrianne Pieczonka et l'impressionnant Don Pizarro de Sebastian Holecek, une vraie voix de méchant, baryton-basse fantastique lui aussi.
Le contraste entre la foncière bonté de Rocco et la cruauté impitoyable de Pizarro est particulièrement crédible malgré la version scénique et c'est encore les insuffisances de couleurs de l'orchestre qui gâchent un peu la confrontation.
Avec Michael Spyres, Adrianne Pieczonka est l'artiste que j'ai vu le plus souvent sur scène auparavant dans des rôles divers dont une superbe Senta à Londres il y a quelques années puis la comtesse dans Capriccio à Garnier. C'est une belle artiste très engagée dans ces rôles, elle tient bien en main et en voix cette Léonore qui a le rôle principal de Fidelio et sa complicité avec ses partenaires est très efficace.
Alors oui, ses aigus sont parfois difficiles et sa voix force un peu dès qu'elle doit "monter" ce qui est un peu dommage mais dans le médium et la grave la voix se déploie superbement et elle possède elle aussi son Beethoven sur le bout des cordes vocales. Elle était en effet Leonore à Salzbourg avec Jonas Kaufmann (l'un des Florestan de référence depuis un peu plus de 10 anas maintenant) dans la production de Claus Guth qui a donné lieu à un DVD et où l'orchestre de la philharmonie de Vienne n'avait rien "d'époque" et avait donné du Beethoven dans une luxuriance de sons et de couleurs magnifiques où les parties orchestrales avaient été littéralement ovationnées.
Le choeur des prisonniers qui achève l'acte1, moment musical magnifique (O welche Lust), est fort bien interprété et l'un des moments d'émotion de ce spectacle, de même que le choeur final.

Michael Spyres est un Florestan vaillant, qui se tire très honorablement d'un rôle particulièrement  difficile pour lui, mais il n'incarne pas suffisamment le personnage pour créer l'émotion qu'il est censé susciter dans le public. De ce point de vue il "rate" son entrée, son "Goooot" n'est guère tenu et l'amplification n'est pas très excitante d'autant plus qu'on a du mal à imaginer vraiment le pauvre Florestan au bord de la mort par inanition tant le ténor arbore un costume magnifique, des joues roses et fraiches et un visage serein. Alors que ses partenaires "jouent" depuis le début de la représentation, il est vrai que leurs personnages sont plus faciles à caractériser.. Le chant est très beau, timbre magnifique,  belle projection, allemand correct mais on le sent un peu vissé à sa partition dans une "team" qui maitrise visiblement bien mieux la progression de l'oeuvre. Globalement la prestation est très belle  et irréprochable tant sur le plan de la diction que sur celui du naturel d'un chant parfois forcé notamment dans le médium mais en général réussi. Mais le talent spécifique de Spyres n'est pas spécialement valorisé par ce type de rôle (ni vocalises, ni suraigus, beaucoup de chant type Lied), alors qu'il semble peiner à plusieurs reprises, rouge et visiblement mal à l'aise dans un costume très serré (cravate !) tandis que ses partenaires donnent l'impression d'un promenade de santé tranquille.
C'est beau et soigné mais ce n'est pas convainquant et il n'est pas sûr que Spyres ne gâche pas son immense talent dans ce genre de rôle.
Quand on est l'un des meilleurs Raoul, Mitridate, Faust de la Damnation, voir maintenant Fernand de la Favorite, pourquoi chanter Florestan que tant de ténors peuvent interpréter aussi bien que lui ? Pourquoi risquer d'abîmer sa voix en s'obligeant à forcer sur le médium qu'il a un peu faible, on le sait, dans ce genre de rôle qui ne se situe nullement aux extrêmes là où il excelle et où il est rare...
Certains critiques à l'inverse l'ont considéré comme un modèle de l'interprétation de Beethoven. Si tant est que ce terme ait un sens pour son unique opéra, si l'on veut parler "modèle", il faut regarder ce que font les autres chanteurs de la soirée du 6 de préférence à Spyres plus atypique et moins "allemand" dans son style. Loin de moi l'idée de lui reprocher son manque de "germanité", j'aime plutôt quand une interprétation sort des sentiers battus et Spyres est l'un des ténors surdoués de sa génération en la matière.
Mais son manque de "germanité" dans un chant nécessairement très scandé, très solennel, où la prononciation des consonnes, le rythme des phrases musicale est très codé, ne s'accompagne pas d'une interprétation originale qui construirait un Florestan à fleur de peau et bouleversant comme on est en droit de l'espérer d'un ténor de cette qualité.
L'absence d'émotion tue le rôle... c'est le boulot de Florestan de créer le maximum d'émotion dès son premier air....

On l'a compris je ne garderai pas un très grand souvenir de cette soirée en panne d'émotions dans une salle loin d'être pleine et qui n'a pas non plus été bouleversée même si elle a salué chaleureusement les différentes prestations, dont certaines étaient incontestablement magnifiques.


Les petits "plus" :

John Vickers dans Fidelio, 1962-
et 1974



Leonie Rysanek Ernst Haefliger, Dietrich Fischer-Dieskau dans Fidelio (Munich)


Jonas Kaufmann dans Fidelio, Zurich 2004.




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