La Fanciulla del west - Puccini - MET - 27 octobre 2018

La Fanciulla del west


Giacomo Puccini


Livret de Carlo Zangarini (1874-1943) et Guelfo Civinini (1873-1954) d'après le drame de David Belasco (1853-1931), La Fille du far-west (The Girl of the Golden West).

Première : 1910 au MET de New York

Séance du 27 octobre 2018 - MET - Retransmission cinéma.
Chef d'orchestre : Marco Armiliato
Metteur en scène : Giancarlo Del Monaco(original), Gregory Keller(revival)
Décors, Costumes : Michael Scott

Minnie : Eva-Maria Westbroek
Dick Johnson : Jonas Kaufmann
Jack Rance : Zeljko Lucic
Sonora : Michael Todd Simpson
Happy : Joseph Barron
Joe : Scott Scully
Bello : Richard Bernstein
Harry : Alok Kumar
Larkens : Adrian Timpau
Trin : Eduardo Valdes
Sid : Jeongcheol Cha
Ashby : Matthew Rose
Nick : Carlo Bosi
Billy Jackrabbit : Philip Cokorinos
Wowkle : Mary Ann McCormick
Jack Wallace : Oren Gradus
Joe Castro : Kidon Choi
Un postiglione : Ian Koziara


Ce n’est pas l’opéra le plus connu de Puccini et c’est pourtant l’un de ses meilleurs, sur le plan du livret comme celui de la musique.
L’histoire est assez simple et emblématique de cet ouest des chercheurs d’or qui donna les meilleurs westerns : un camp de chercheurs déracinés, un saloon où l’on cache son magot, où l’on joue aux cartes, où l’on boit du whisky (sans eau) et où l’on écoute les cours de la splendide Minnie, femme libre et généreuse, tenancière du bar.
Le début de l’opéra présente ce cadre à la fois violent et romantique, avec ces chœurs d’hommes rudes qui cachent plus ou moins bien leurs cœurs tendres. 
Et puis il y a un shérif. Plutôt sévère et impitoyable. Qui fait régner l’ordre dans ce camp où l’or afflue et traque un mystérieux bandit nommé Ramerrez, pilleur d’or.
Mais il est surtout amoureux de Minnie. Rageusement, follement et il est prêt à tout pour gagner son cœur de femme indépendante qui ne veut pas s’attacher à un homme.
Et arrive l’étranger, qui boit de l’eau dans son whisky et danse la valse avec cette Minnie qu’il a croisé jadis. On devine le triangle amoureux classique des opéras. Ce qui l’est moins c’est ce portrait de femme magnifique, qui sauve le premier homme qu’elle a embrassé même si c’est un bandit, contre le shérif qui l’a blessé et veut l’arrêter puis contre la foule des orpailleurs prête à le lyncher.
Et Puccini offre une belle fin à son héroïne, une fin heureuse comme pour la remercier d’avoir été si courageuse dans l’ouest sauvage des hommes…
La mise en scène de Del Monaco est une petite merveille que j’ai personnellement trouvé largement supérieure à celle de Vienne (2013 avec Kaufmann et Nina Stemme). Sans complaisance particulière, elle met en scène scrupuleusement les évolutions de l’histoire, les décors sont très réussis et très réalistes, sans donner pour autant dans le cliché propret du western trop léché. On est davantage dans le western Leonien que dans la grande tradition Fordienne. Les couleurs sont sombres, les costumes austères, on sent qu’ils ont été beaucoup portés, le saloon est sombre et poussiéreux, la chaumière de Minnie est simple et rustique, confort minimum, la « rue » avec ses trottoirs de lattes de bois inégales et ses grandes bâtisses bancales est encombrée de meubles défoncés ou cassés. C’est du réalisme vraiment réaliste et sans fioritures. Et ça marche très bien….

Musicalement c’est du très beau Puccini, très varié musicalement, avec peu de grands airs mais beaucoup de sollicitations « héroïques » pour les artistes. Il faut une soprano plutôt, dramatique, un ténor lyrico-spinto capable de tenir des aigus « forte » tout en étant très sollicité dans le grave et le medium, et un baryton également rompu à l’opéra vériste avec ses caractéristiques. 

De ce côté-là au MET nous étions assez généreusement servis, avec une mention spéciale à Jonas Kaufmann, qui allie un chant irréprochable, risque et réussit de fabuleuses nuances et des changements de couleur de tout beauté, à un jeu scénique très convaincant en bandit de grand chemin pas vraiment méchant et très, très séducteur. 
En très grande forme vocale depuis des mois maintenant, il confirme par ce retour trimphal au MET, sa place très particulière de ténor capable d’exceller en un très court laps de temps dans Parsifal, Siegmund, les airs d’opéras italiens, le lied allemand, et le personnage de Dick Johnson dont il est un interprète idéal.

Par rapport à sa précédente prestation à Vienne, il a mûri son personnage, l’a rendu plus sombre et moins enjoué, un Dick plus Ramerrez marqué par le destin que gentleman de Sacramento. Et il réussit tout. Son arrivée au saloon, réveillant la foule un peu assoupie et créant immédiatement de l’animation, ses duos avec Minnie à l’acte 2 dans la chaumière quand il tente de la séduire (que d’acrobaties vocales maitrisées), y parvient et se découvre toute une batterie de scrupules à l’égard de cette femme autant décidée et batailleuse que naïve, et son final (ovationné après l’air pendant que l’action continuait sur le plateau), le fameux « Ch’ella mi creda libero et lontano » qui est la prière de Dick demandant à ses bourreaux de ne pas révéler à Minnie qu’il a été exécuté, « qu’elle le croit libre », « qu’elle l’attende avec l’espoir de son retour » qui est l’une des plus belles pièces écrites par Puccini pour un ténor et l’une des plus belles déclarations d’amour de l’opéra.

Pour Kaufmann, le retour au MET était un peu un challenge puisqu’après en avoir été l’enfant chéri, il avait fait douter le public en annulant une série de performances de Manon Lescaut, une nouvelle production montée pour lui, puis faute d’un accord avec la direction du MET, il disparaissait de l’affiche d’une nouvelle production de Tosca l’an dernier.
Retour gagnant sans réserve avec ces quatre représentations durant lesquelles les critiques positives puis enthousiastes sont allées crescendo tout comme d’ailleurs l’accueil du public carrément délirant pour cette dernière.

Eva Marie Westbroek a déclaré adorer le personnage et honnêtement, elle le rend très très crédible, lui offrant une interprétation splendide. La caméra de la retransmission scrute les expressions faciales des artistes en permanence et le jeu de la belle soprano hollandaise est aussi impressionnant que celui de n’importe quelle actrice de cinéma de talent. Les évolutions de ses états d’âme, les facettes de son caractère, ses hésitations face à la trahison de Ramerrez et la manière dont elle affronte le shériff (une partie de poker littéralement ahurissante de justesse entre les deux protagonistes pendant que Johnson git au sol blessé) puis la foule des hommes qu’elle va menacer et séduire tour à tour pour arracher leur reddition.
Du coup devant autant d’abattage, on oublie que ses aigus sont parfois à la limite du craquage et qu’elle force souvent sa voix pour passer les parties les plus difficiles de sa partition. Mais comme, pour finir, elle y arrive, même si sa voix est moins adéquate que celle de Nina Stemme dans le même rôle, elle emporte l’adhésion par son formidable engagement.

Ce n’est qu’au beau milieu du deuxième acte que j’ai réalisé qu’avec la présence de Zeljko Lucic en Jack Rance, nous avions les trois mêmes protagonistes que pour le fameux Andrea Chénier de Londres (2015). Le baryton a de réelles qualités tant dans le chant que dans le jeu, son shérif est massif et impitoyable dans sa haine du « bandit » qui lui ravit le cœur de Minnie, il complète très avantageusement la distribution des rôles principaux même s’il lui manque parfois un tout petit peu de charisme, il est bien meilleur dans Puccini et le vérisme que dans Verdi (Rigoletto ou Germont père).

On notera un excellent Sonora de Michael Todd Simpson qui « sort » du lot, et un très amusant Nick de Carlo Bosi (le seul italien …), des chœurs d’hommes magnifiques surtout au final, et un orchestre très bien dirigé par Armiliato qui accompagne les chanteurs en permanence dans ces déferlements musicaux très « imagés » au style parfois heurté, qui illustrent pas à pas l’histoire et les situations. 
Une très belle réalisation marquée par la qualité de la réalisation et des interprètes.






Le petit plus : ma critique du DVD de Vienne parue sur le site d’ODB en novembre 2015

DVD Sony Classical, sortie Novembre 2015- Représentation enregistrée à l'Opéra de Vienne en Octobre 2013


La fanciulla del West

Puccini

Direction musicale : Franz Welser-Möst
Mise en scène : Marco Arturo Marelli
Costumes : Dagmar Niefind
Chef de chœur : Thomas Lang

Minnie : Nina Stemme
Dick Johnson: Jonas Kaufmann
Jack Rance :Tomasz Konieczny
Nick: Norbert Ernst
Ashby: Paolo Rumetz
Sonora: Boaz Daniel
Trin: Michael Roider
Sid: Hans Peter Kammerer
Bello: Tae-Joong Yang
Harry: Peter Jelosits
Joe: Carlos Osuna
Happy :Clemens Unterreiner
Larkens: Il Hong
Billy Jackrabbit: Jongmin Park
Wowkle: Juliette Mars
Jack Wallace / José Castro: Alessio Arduini
Le Postillon: Wolfram Igor Derntl

Orchestre et choeur du Wiener Staastoper


Une très belle version de la Fanciulla del West vient de sortir chez Sony Classical : celle que l'opéra de Vienne nous avait offert à l'automne 2013, qui m'avait beaucoup plu à l'époque et que j'ai pris beaucoup de plaisir à revoir grâce à cette captation de qualité.
La Fanciulla n'est pas l'opéra de Puccini le plus joué ni le plus connu et c'est bien dommage car, à mon sens, il a énormément de qualités.
Une très grande modernité musicale, une ouverture sur scène de foule en partculier (comme dans Manon Lescaut) avec thèmes récurrents qui deviennent vite obsessionnels, un orchestre aux tonalités jazz (et dont les musiques de films s’inspireront largement à l’ère du cinémascope) et une écriture qui laisse une grande place à l’action et à la mise en scène.
L’histoire est belle et émouvante, très western avant l’heure du cinéma d’ailleurs. Ces chercheurs d’or qui ont tout quitté pour migrer vers les terres désertes et sauvages de l’ouest pour chercher fortune, qui trompent leur ennui et leur nostalgie en écoutant de la musique, en jouant (et en trichant) aux cartes, en buvant de whisky, en écoutant Minnie leur lire des passages de la bible, sont admirablement campés et décrits par les scène de groupe fort nombreuses de cet opéra.
On a la tenancière de bar (la soprano) cultivée au grand coeur, le shériff méchant et autoritaire (le baryton) mais amoureux d’elle et bien sûr le bandit (le ténor) venu pour voler l’or des chercheurs qui manque de finir pendu mais sera sauvé par la belle folle amoureuse de lui.

La mise en scène de Marelli qui transpose un peu l’époque (western début 20ème, quand les mythes ont du plomb dans l’aile et que les chercheurs vivent dans des baraques en tôle ondulée, sinistres en plein hiver). Mais l’ambiance western est parfaite, les scènes de groupe admirablement joués par une pléthore de chanteurs, tous parfaitement bien dans leur rôle.
C’est même assez rare de voir sur scène une si parfaite homogénéité et une telle crédibilité dans tous les rôles.
Les entrées en scène de Minnie (explosant au milieu de la dispute des hommes tandis qu’ils se taisent tous respectueusement et instantanément) et de Dick Johnson ( réveillant le plateau un peu assoupi, sac au dos et lançant un vigoureux “Chi c’è, per farmi i ricci? “ pour s’annoncer).
L’ensemble est dominé par le duo magique, dont personnellement je ne me lasse pas, formé par Jonas Kaufmann et Nina Stemme.

Elle est une Minnie au chant superbe, aux infinies nuances, tour à tour bonne, généreuse, naïve, follement amoureuse, passionnée, en colère, toute douce, fondant devant le charme de ce bandit dont elle finira par admettre la duplicité sans lui retirer pour autant son amour. 
Il est un malfaiteur à l’image des beaux garçons de l’ouest dans les westerns où le bandit était représenté par la star d’Hollywwod et qu’on finissait toutes amoureuses de lui (d’ailleurs il avait plein d’excuses à avoir mal tourné et c’est la même chose pour le Johnson de Kaufmann).
Son interprétation vocale est de haut vol, les nuances dans son chant, la beauté de sa voix à la fois sombre et éclatante dans les aigus, son jeu d’acteur est hors pair et jamais “faux”.
Du coup, ils peuvent esquisser une très belle valse ensemble ou rester assis l’un près de l’autre, à se guetter, à se chercher sans beaucoup bouger, assis sur la longue table du bar, gestes à l’économie mais chants superbes des deux artistes, regards furtifs, expressions des mains et des visages, c’est suffisant, c’est magique, c’est phénoménal.
La scène “je t’aime moi non plus” qui se passe dans la petite maison (dans la prairie) de Minnnie est tout simplement géniale : ah Minnie habillée d’une improbable “robe de soirée” pour plaire à ce bandit de Johnson, resté en tenue de cow boy et leurs regards échangés, il voudrait bien aller plus loin, elle est pure et se défend comme une jeune fille chaste, lui montre son album de photos, le mettant à la torture. Jamais rien vu d’aussi bien joué et chanté depuis très longtemps à l’opéra.Mais son “Un bacio, un bacio, un bacio solo! ” répété avec force et séduction aura raison de ses hésitations.
Et quelle énergie, quelle conviction quand Nina Stemme surmontant ses réticences, tombe dans les bras du beau Kaufmann. 
Le summum est atteint quand elle prendra sa défense au dernier acte. Un rôle de femme amoureuse et courageuse, très beau, que la mise en scène et Nina Stemme valorisent comme l’un des plus beaux rôles féminins de Puccini.

Les seconds rôles sont tous d’un très haut niveau, comme boostés par la qualité générale du plateau et la beauté de la mise en scène. J’ai notamment remarqué une fois encore Boaz Daniel, parfaitement à l’aise dans son rôle de Sonora ou Alessio Arduini, très bon Wallace. Mais on pourrait tous les citer sans problème.

Exception faite finalement (et c’est dommage) de Tomasz Konieczny qui n’est pas parfaitement convaincant en shérif : la voix manque d’éclat et de nuances et est un peu engorgée. Excellent acteur malgré tout .

La direction de Welser-Möst est excellente : un Puccini plein de couleurs, d’accents, de douceur pour accompagner les scènes d’amour, de violence et d’élans pour accompagner les moments où l’action se tend, ou le drame se noue. Il accompagne de très près les chanteurs, les enveloppe des sonorités superbes de l’orchestre et valorise l’ensemble de ce très bel opéra.

A voir absolument ! 



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