La Traviata - Verdi - Opéra de Paris - 8 octobre 2018

La Traviata

de Giuseppe Verdi
Livret : Francesco Maria Piave d'après Alexandre Dumas, "la Dame aux camélias"
Création en 1853 à la Fenice de Venise.


Direction musicale : Giacomo Sagripanti
Mise en scène : Benoît Jacquot
Décors : Sylvain Chauvelot
Costumes :Christian Gasc
Chef des Choeurs : Alessandro Di Stefano

Violetta Valéry : Aleksandra Kurzak (sept./oct.)
Flora Bervoix : Virginie Verrez
Annina : Cornelia Oncioiu
Alfredo Germont : JeanFrançois Borras (sept./oct.) sauf 26 oct. : Roberto Alagna
Giorgio Germont : George Gagnidze (29 sept.>17 oct.) (Luca Salsi 21 > 26 oct.)
Gastone : Julien Dran (sept./oct.)
Il Barone Douphol : Igor Gnidii
Il Marchese d'Obigny : Christophe Gay
Dottore Grenvil : Luc Bertin-Hugault

l'ONP reprend  la mise en scène de Benoit jacquot pour la 43ème représentation  depuis sa création et avant une nouvelle "Traviata" promise pour la rentrée 2019 avec un retour à Garnier (retour bienvenu, l'opéra de Verdi y trouve plus naturellement l'intimité dont il a besoin )
Cette dernière reprise se fera en deux temps :
- en octobre avec Alexandra Kurzak et Jean-François Borras (et Germont en alternance entre Ganidzé et Salsi). Et une soirée avec Alagna.
- en décembre avec Ermonella Jaho, Charles Castronovo et Ludovic Tézier (qui chantera Simon Boccanegra presque en même temps...)
Je reviendrai sur cette deuxième série, comptant bien y retourner en décembre.


Retour sur la soirée du 8 octobre
La mise en scène de Benoit Jacquot, inaugurée il y a quelques années maintenant, avec le trio Damrau, Demuro et Tézier, vieillit vraiment bien. Autant lors de la Première, je l'avais trouvée lourdingue, appuyant les grandes caractéristiques de l’œuvre de manière excessive par son choix de décor (immensité du lit à l'acte 1, de l'arbre et, escalier monumental occupant l'autre partie de la scène à l'acte 2, tout petit lit misérable à côté du grand lit détruit et inutilisable à l'acte 3) et peu inspirée concernant la direction d'acteurs réduite au minimum.
Mais petit à petit, certaines modifications ont été apportées, les chœurs et danses sont plus fluides, et, pour finir, la beauté des décors frappe quand le jeu astucieux des éclairages, les dévoile brutalement en phase totale avec la fosse.
En tous cas, ce lundi 8, la représentation a été accueillie avec enthousiasme, certains applaudissements ont même fusé lors du dévoilement du décor de l'acte 2 première partie (l'arbre géant fort astucieusement éclairé) de la part d'un public qui m'a paru très hétérogène : beaucoup de jeunes, discutant de l'histoire en repartant, beaucoup d'étrangers aussi mettant les nerfs des ouvreuses à rude épreuve dans un melting pot de langues et... pas mal de places vides, exactement comme pour les Huguenots, me permettant de me replacer au parterre très facilement.

La bonne tenue de la soirée doit beaucoup à la direction de Giacomo Sagripanti, fluide et inventive, permettant une lecture peut-être moins dramatique de l’œuvre que d'autres, mais faisant ressortir très intelligemment la beauté des voix, des duos, des ensembles, des chœurs qui composent cet opéra lequel comporte quand même quelques unes des plus belles pages de Verdi de ce point de vue. Sans perdre de vue l'importance de l'orchestre, le jeune chef couve ses chanteurs d'une attention efficace et admirable qui m'a permis, je pense pour la première fois après une dizaine de représentations de cette mise en scène à Bastille, d'apprécier l'acoustique des lieux quand elle est bien maitrisée (en tous cas depuis le parterre).

Mais c'est la composition d'Alexandra Kurzak en jeune Violetta, à la voix pure, presque ingénue, au très fort engagement dramatique, presque fataliste, qui allie une fabuleuse technique vocale à une sensibilité à fleur de peau littéralement bouleversante, qui a dominé la soirée de la première à la dernière note (et quelle note !).
J'ai été très fortement impressionnée, le public aussi et je dois dire qu'il n'est pas si facile de décortiquer les raisons de cette réussite totale. Car Madame Kurzak (j'y tiens... ) n'est pas banale. 
Elle n'est pas la trentième Violetta entendue ici ou ailleurs dans ma longue série de Traviata.
Elle retient immédiatement l'attention et créée une très forte émotion dès son arrivée sur scène. Les mouchoirs étaient nombreux lors de sa "mort".
Soulignons d'abord peut-être, que c'est une excellente comédienne ce que j'avais déjà remarqué dans les rôles précédents où je l'ai vu en salle (Adina, Maria Stuarda, Micaela, Alice Ford). Robe blanche à l'acte 1, robe noire au 2 puis longue chemise au 3, tout dans son allure, sa manière de se mouvoir sur scène, sa grâce infinie de belle jeune femme, conduit à une adhésion totale et immédiate. Sa silhouette et sa voix ont gardé la jeunesse qui sied à la jeune Violetta de Verdi, qui se meurt prématurément devant nos yeux.
Mais un jeu aussi juste d'actrice, ne serait rien si l'émotion ne passait pas aussi par le chant. Je la savais bonne technicienne du bel canto avec une belle précision des notes dans les vocalises et une jolie voix fruitée, capable de couleurs différentes selon les évolutions du personnage. Elle a gagné (et c'était déjà perceptible dans la Juive dont j'avais regardé la retransmission) en largeur de voix, en richesse des harmoniques, sans rien perdre de la pureté du timbre et finalement, c'est assez rare. Les aigus sont toujours d'une grande beauté, les suraigus sortent sans difficulté, tous ses grands airs sont négociés avec beaucoup de facilité et d'aisance, et elle a, en réserve, une très belle technique de longues notes filées du "forte" à la mezzo voce et réciproquement, qui nous a donné un final presque murmuré avant un très long crescendo parfaitement maitrisé et le cri ("Joie") en forte avant l'effondrement physique.
Tout en sobriété quant aux gestes, et en émotion quant à la voix. Son timbre évoque Yoncheva à présent, celui des sopranos qui savent faire passer l'émotion dans leur voix.
Certes, on pourra préférer des Violetta à la voix plus grande ou plutôt plus large, comme Netrebko dans sa jeunesse, mais, outre que Kurzak a une projection parfaite et que ses murmures s'entendent même dans le vaisseau de la Bastille, les évolutions de sa voix la conduisent assez naturellement vers ce genre de rôle où elle se révèle passionnante. J'insiste sur ce côté inédit et excitant car des artistes capables de renouveler un rôle aussi souvent donné et de s'y faire intelligemment remarquer, sont assez rares.



Ses partenaires sont malheureusement moins intéressants.
La rencontre avec son Alfredo de mari à la ville, qui en fut un fabuleux, risque d'être un grand moment lyrique pour l'unique date où Roberto Alagna ré-endossera le rôle du fiston après des années d'absence (dans cette œuvre). D'autant qu'on aura alors le bon baryton Luca Salsi en Germont père.
Car le 8 octobre, ce n'était pas très équilibré à mon goût...

JeanFrançois Borras m'a déçue : je l'attendais dans la partie lyrique d'Alfredo (acte 1 et début de l'acte 2) et il rate ses airs, voix chevrotante dès qu'il tente des nuances, et ligne de chant brouillon et mal tenue le plus souvent, voix très instable, pas d'aigu, bref fort peu d'applaudissements dans cette partie de l'opéra. Il est bien meilleur dans l'Alfredo tragique quand il doit donner de la voix : en mode "forte", voire fortissimo son chant se stabilise et devient beau et efficace, bien scandé. Mais dès qu'il doit revenir à la mezza voce lors du final que Violetta murmure, il est de nouveau mal à l'aise, instrument non maitrisé par moment. J'imagine qu'il s'agit très certainement de la méforme d'un soir.

George Gagnidze (après Placido Domingo même rôle même endroit l'an dernier....), campe un Germont père assez convainquant globalement mais la voix accuse des durcissements qui limitent les effets de ses legato et des nuances qu'il tente de donner à un chant devenu un peu uniforme. Il n'a pas le charisme du ténor devenu baryton, et on manque décidément là aussi d'un vrai beau Germont père en attendant le retour de Tézier qui avait, lors de la Première en 2015, littéralement réveillé le plateau en débarquant sur scène pour la plus grande joie des spectateurs.

Virigine Verrez est toujours une Flora très sonore, très bien chantante, et très présente, Cornelia Oncioiu une adorable Anina, émouvante et dévouée, et Julien Dran,un bon Gastone. Je dis "toujours" car sans avoir vérifié, j'ai l'impression de les avoir vu dans cette salle et dans ces rôles, à chaque reprise de cette Traviata. En fait il était Gastone début 2016 puis début 2018 (Domingo et Rebeka suite au désistement d'Anna Netrebko). En 2016 j'ai vu plusieurs représentations pour avoir toutes les distributions : Sonya Yoncheva avait annulé la première, remplacée par Maria Agresta, j'y suis retournée pour la voir puis encore une troisième fois pour avoir Placido Domingo en Germont père, d'où mon impression concernant Julien Dran. Et puis je trouve qu'on ne parle pas assez de ce bon ténor dont il m'est arrivé de penser qu'il aurait été un meilleur Alfredo que le titulaire du rôle...

les chœurs et les ballets sont excellents, rompus à l'exercice et à cette mise en scène. L'effet inversé des bohémiennes (dansé par des hommes) et des matadors (dansé par des femmes) toujours aussi drôle et plaisant, moment de légèreté juste avant que le drame ne se noue avec la violente scène de la monnaie.
Malgré mes réserves sur les deux Germont, la soirée était globalement l'une des plus réussies parmi celles que j'ai vues jusqu'à présent (mais j'ai raté Jaho, que j'aime beaucoup en Violetta, dans cette mise en scène, je la verrai en décembre).
Au delà de la Violetta très charismatique de Aleksandra Kurzak, je pense qu'on peut retenir des ensembles très réussis, notamment la scène de la monnaie (la meilleure de loin pour Borras), et le final très, très émouvant et très juste, sans pathos inutile et du coup, faisant mouche, un orchestre qui donne lui aussi le meilleur de lui-même et un chef qui dirige tout cela avec beaucoup de talent.




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